À une époque où les études supérieures étaient réservées aux hommes, elle envisageait de se travestir pour écarter cet obstacle : Sor Juana Inés de la Cruz, qui vécut pendant la seconde moitié du XVIIe siècle au Mexique, incarne aujourd'hui un certain archétype de la femme savante, indépendante et féministe. Malgré son succès, elle se retira dans un couvent pour dédier sa vie à l'art et à l'écriture.

Considérée comme la première poétesse des Amériques, Juana Inés de la Cruz serait née entre 1648 et 1651 au Mexique (alors la Nouvelle-Espagne), et son histoire fait désormais partie des légendes littéraires. Venue au monde dans un milieu rural modeste, élevée par sa mère et son grand-père sans figure paternelle, Juana Inés de la Cruz aurait rapidement mis des livres entre ses mains. Beaucoup de livres : selon ses écrits, elle aurait commencé à lire à l'âge de 3 ans...
Entre 12 et 15 ans, elle part pour la capitale du pays Mexico, où se fait rapidement connaitre comme la jeune prodige qui signe déjà des poèmes remarquables : la cour du vice-roi de Nouvelle-Espagne l'accueille bientôt. Cette porte ouverte lui permet d'étancher, pour un temps, sa soif de connaissances, avec l'apprentissage du latin, des mathématiques, de la philosophie.
Dame de compagnie de la vice-reine du Mexique, la Marquise de Mancera, à partir de 1662, Juana Inés de la Cruz est courtisée, tant par les lettrés que par des prétendants : avant ses 30 ans, elle entre au couvent de Saint Jérôme, à la fois pour dédier ses écrits à Dieu et pour échapper à la célébrité.
« Elle est entrée dans un couvent pour devenir une érudite, montrant petit à petit que son écriture pourrait être un bienfait au service de Dieu », explique Seonaid Valiant, spécialiste des lettres latino-américaines à l'université d'État de l'Arizona. « Elle se souciait profondément de la qualité et du but de sa vie et le fait de l'exprimer en a fait un personnage américain. Sor Juana utilisait le mot “Je” : elle nous dit : “J’ai de l’ambition. J’ai des besoins.” Elle est l’une des premières Américaines à dire cela. »
L'université américaine a fait l'acquisition d'un document exceptionnel signé par Juana Inés de la Cruz, le Neptuno alegórico (1680), un texte en prose qui décrit l'arrivée du nouveau vice-roi de la Nouvelle-Espagne, commandé par l'archevêque de Mexico. Deux exemplaires originaux seulement sont connus.
Dans ce texte, Juana Inés de la Cruz décrit le nouveau vice-roi sous les traits de Neptune émergeant des flots, une référence qui dit tout, selon les chercheurs, des vastes connaissances de l'auteure en matière de culture classique. « Elle était autodidacte et connaissait tous les grands érudits classiques. Avec cette première édition, nous pouvons aborder le texte avant qu'elle n'y incorpore des corrections dans la troisième édition », note encore Valiant.
Juana Inés de la Cruz s'était constitué l'une des plus importantes bibliothèques de la Nouvelle-Espagne, qu'elle vendra à la fin du XVIIe siècle pour en reverser les profits aux pauvres. À sa mort, en 1695, elle était encore entourée de près de 200 livres.