Le Mont Saint-Michel fête cette année le millénaire de son abbatiale romane (1023-2023), joyau médiéval connu dans le monde entier. Transférés à Avranches pendant la Révolution française, ses 203 manuscrits médiévaux (voir la partie 1) sont maintenant conservés dans la bibliothèque patrimoniale d’Avranches. Un vaste programme de restauration suit deux siècles plus tard. Un musée leur est également dédié, sous le beau nom de Scriptorial.
Entourés par la mer, deux rochers voisins sont d’abord appelés Tumba (mont), qui deviendra le Mont Saint-Michel, et Tumbellana (monticule), qui deviendra le rocher de Tombelaine.
D’après le récit légendaire de Revelatio (dont une copie du IXe siècle est conservée dans un manuscrit montois), saint Michel apparaît à trois reprises pendant le sommeil de saint Aubert, évêque d’Avranches, lui enjoignant de construire une église sur le Mont Tombe.
Le premier oratoire du Mont voit donc le jour en 708, avec une communauté de douze clercs, nous explique Jean-Luc Leservoisier dans son passionnant livret Les manuscrits du Mont Saint-Michel (éditions Ouest-France, 2007).
Introductio monachorum, un autre manuscrit montois, relate le remplacement des clercs de saint Aubert en 966 par des moines bénédictins sous l’égide de l’abbé Maynard. Apparaissent une bibliothèque - à savoir quelques manuscrits dans une armoire - et un scriptorium.
Si la première bibliothèque montoise tient dans une armoire, celle des siècles suivants devient l’une des plus belles bibliothèques ecclésiastiques de l’Occident médiéval. Elle attire savants et lettrés, mais elle subit aussi catastrophes naturelles et troubles politiques, avec incendies, écroulement de bâtiments, pillages de guerre, vols et incurie.
Cette bibliothèque est réorganisée au XVIIe siècle par les Mauristes, religieux de la congrégation de Saint-Maur, arrivés au Mont en 1622 pour remplacer une communauté bénédictine défaillante. Un catalogue dressé en octobre 1639 compte 280 manuscrits.
Les Mauristes ajoutent l’ex-libris Ex monasterio sancti Michaelis in periculo maris (Du monastère de Saint-Michel-au-péril-de-la-mer) sur la première page intérieure de chaque volume. Ces ex-libris s’avéreront très utiles quelques siècles plus tard pour retrouver les livres et les numériser.
Comment la bibliothèque du Mont arrive-t-elle à Avranches? Pendant la Révolution française, suite à un décret de l’Assemblée constituante de 1790, les bibliothèques de la noblesse et du clergé sont confisquées pour constituer les premiers fonds publics, ancêtres de nos bibliothèques municipales, et les communautés religieuses sont dissoutes.
À la requête des autorités révolutionnaires, les 3.550 livres de la bibliothèque montoise (dont les manuscrits) doivent impérativement quitter le Mont Saint-Michel pour être confiés à la Ville d’Avranches, alors chef-lieu de district. Ils font désormais partie du patrimoine de l’État.
En 1791, sous la surveillance de la Garde nationale, les livres et les manuscrits traversent les sables de la baie du Mont Saint-Michel dans des charrettes pour être transférés sur le continent. La légende veut que certains livres aient été entassés dans des tonneaux.
Ces livres sont d’abord stockés dans une salle humide abritant le dépôt littéraire provenant des communautés religieuses dissoutes, et qui comprend non seulement la bibliothèque du Mont mais aussi d’autres fonds ecclésiastiques (ceux de l’évêché et du chapitre cathédral d’Avranches, ceux des abbayes de La Lucerne et de Montmorel, etc.). Dans ce dépôt littéraire règnent le désordre et l’incurie, sans compter les vols. Si 255 manuscrits montois sont encore recensés en 1795, ils ne sont plus que 200 environ en 1850.
Suite à la création de la Société d’archéologie d’Avranches en 1835 par une dizaine de notables de la ville, l’un d’entre eux, Eugène Castillon de Saint-Victor, réalise un premier catalogue, qui recense les manuscrits, les incunables et les ouvrages imprimés.
En 1850, lors de la construction du nouvel Hôtel de Ville, une vaste salle est aménagée au deuxième étage pour abriter le fonds patrimonial. Œuvre de l’architecte François Cheftel, cette salle de 18 mètres de long, 9 mètres de large et 7 mètres de haut est ensuite tapissée de livres de haut en bas. Deux escaliers à vis permettent d’accéder à la galerie abritant les rayonnages supérieurs.
Les manuscrits sont présentés au public sous forme de cabinet de curiosités en 1924 et dans les années qui suivent. Ils sont ensuite épargnés par la Seconde Guerre mondiale (1939-1945) grâce à leur transfert dans le château d’Ussé-Rigny, en Touraine, alors que la ville d’Avranches est partiellement détruite pendant les combats de la Libération en juillet 1944.
Après la guerre, les manuscrits retrouvent leur place initiale puis ils sont exposés chaque année pendant tout l’été jusqu’en 1963. Mais les conditions d’exposition leur sont néfastes, d’abord à cause de la lumière naturelle déversée par les hautes fenêtres et ensuite à cause de la chaleur dégagée, excessive pour des documents aussi anciens. Lorsqu’ils ne sont pas exposés, les manuscrits sont rangés dans un placard humide, comme tant de placards de cette région côtière.
Les plus beaux manuscrits sont exposés au Musée municipal d’Avranches en 1963 et dans les années qui suivent, cette fois à l’abri de la lumière naturelle, mais le taux d’humidité reste trop élevé et les lampes incandescentes des vitrines dégagent une chaleur excessive.
En 1982, on remarque des moisissures ayant attaqué livres et manuscrits. Si le fonds patrimonial gagne de la place suite au déménagement du fonds de lecture publique dans un bâtiment neuf de la place Saint-Gervais, il continue de s’abîmer sous l’emprise du salpêtre, des moisissures et des vrillettes (insectes). Les manuscrits sont aussi la cible de champignons actifs, suscitant l’inquiétude générale à l’échelon local, régional et national.
En 1986, sous l’impulsion de Jean-Luc Leservoisier, nouveau conservateur de la bibliothèque patrimoniale, et d’Élisabeth Lucas, maire adjointe à la culture, un vaste programme de sauvegarde est mis en place.
Les manuscrits sont envoyés à la Bibliothèque nationale de France pour y être désinfectés dans son annexe de Versailles, puis ils sont transférés à Orléans pour y être microfilmés et photographiés par l’Institut de recherche et d’histoire des textes (IRHT). Des archives photographiques sont constituées – à savoir une diapositive couleur pour chaque enluminure – afin de procurer des documents de substitution et ne manipuler les originaux que si nécessaire.
Une chambre forte est achevée en juin 1987 dans la bibliothèque patrimoniale d’Avranches pour accueillir les manuscrits à leur retour. D’une surface de 16 mètres carrés, cette chambre forte peut contenir mille volumes sur des rayonnages en bois, « matériau capable d’absorber l’humidité excédentaire, et de la restituer en cas de sécheresse ». Équipée d’une centrale de traitement de l’air, elle offre des conditions de conservation adéquates, à savoir une température de 18 degrés et un taux d’humidité de 55%, nous explique Monique Dosdat dans L’enluminure romane dans les manuscrits du Mont Saint-Michel (éditions Ouest-France, publié en 1991 et réédité en 2006).
La grande salle du fonds patrimonial est elle aussi rénovée, avec l’installation d’un faux plafond et d’un éclairage indirect, tout comme la pose de filtres anti-ultraviolets sur les hautes fenêtres. L’ensemble des collections est remis en état, avec désinfection des livres sur place puis reclassement. La bibliothèque patrimoniale retrouve sa beauté passée en décembre 1988, avec inauguration du fonds rénové en mai 1989.
À lire - Les manuscrits du Mont Saint-Michel. Partie 1. Un trésor médiéval
Toujours sous l’impulsion de Jean-Luc Leservoisier, conservateur de la bibliothèque patrimoniale, et de l’équipe municipale, la Ville d’Avranches lance ensuite le projet d’un musée des manuscrits du Mont Saint-Michel, qui répond au beau nom de Scriptorial.
Adossé à l’un des remparts de la ville, ce musée à l’architecture résolument contemporaine ouvre en août 2006 pour célébrer la mémoire spirituelle, intellectuelle et artistique de la communauté montoise.
Depuis son ouverture, le Scriptorial expose en permanence douze manuscrits dans sa salle du Trésor, avec rotation tous les trois mois, pour éviter que ces manuscrits ne s’abîment à la lumière, même tamisée.
Une autre salle du Scriptorial est consacrée à la fabrication des manuscrits, à savoir le traitement des peaux (mouton, chèvre ou veau) avant que celles-ci ne deviennent parchemin ou vélin, la préparation des encres et des pigments, le taillage des plumes d’oie, la copie, la décoration et l’enluminure des manuscrits, et enfin leur reliure.
Les fac-similés numériques des manuscrits sont librement disponibles sur le web depuis avril 2017 dans la Bibliothèque virtuelle du Mont Saint-Michel. Cette bibliothèque virtuelle est une réalisation conjointe de l’Université de Caen, du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) et de la Ville d’Avranches.
Retrouver la première partie de ce reportage : Les manuscrits du Mont Saint-Michel. Partie 1. Un trésor médiéval
Crédits image : Carte ancienne (circa 1630) de la baie du Mont Saint-Michel appartenant au fonds patrimonial de la médiathèque de Granville (Manche). Photo de Claude Rayon.
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