Ce début de mois de juin a été marqué par la proposition et le rejet par les socialistes de l'amendement 474 à la réforme pénale, il proposait, suivant le modèle brésilien, des remises de peine en échange de fiche de lecture. À cette occasion, ActuaLitté a contacté différentes associations et institutions œuvrant pour la lecture dans les maisons d'arrêt et les centres de détention, afin de mieux connaître l'action des bibliothèques, véritable moteur de l'intégration sociale, dans des lieux où règne bien plutôt la « désintégration ».
Le 17/06/2014 à 14:31 par Louis Mallié
Publié le :
17/06/2014 à 14:31
christian.senger, CC BY SA 2.0, sur Flickr
Qu'est-ce qu'une bibliothèque en prison ? « C'est un lieu où la pression retombe. Les détenus lisent bien sûr, mais beaucoup viennent aussi pour se retrouver, discuter, jouer aux cartes, parcourir les journaux. C'est le seul lieu où ils ne se sentent plus surveillés », explique l'association Lire c'est vivre, qui s'occupe depuis 1987 de la gestion des bibliothèques de la Maison d'Arrêt de Fleury Mérogis.
Gérer la bibliothèque d'un centre pénitentiaire suppose deux rôles distincts : d'abord celui des associations et institutions qui s'occupent de l'administration de la bibliothèque, des subventions, du fond, des collections, des actions culturelles - qui assurent le métier de bibliothécaire en somme. Ensuite celui des détenus eux-mêmes : formés en tant qu'auxiliaires par les institutions et associations, ils prennent en charge le service de la bibliothèque au quotidien auprès des détenus. Ces derniers sont la clef de voûte du système : apprenant seuls les bases d'un métier propices à l'intégration, ils font le pont entre la bibliothèque et leurs camarades détenus.
De multiples activités pour rappeler aux détenus qu'ils ne sont pas uniquement ... des détenus
Quoi qu'il en soit, bénévoles et professionnels sont nombreux, et de ce fait les actions culturelles diverses. Au sein de la Maison d'Arrêt de Fleury Mérogis, l'association Lire c'est vivre propose ainsi un éventail très large d'activités hebdomadaires et de rencontres. Chaque semaine, un animateur culturel propose un cercle de lecture classique auquel peuvent participer tous les détenus inscrits à l'une des neuf bibliothèques du centre.
De plus, un atelier de création est proposé suivant la même fréquence, au terme duquel un ouvrage collectif est publié. Grâce à l'association, les détenus ont ainsi confectionné deux recueils de contes, sept recueils de textes (poèmes, lettres fictives, nouvelles…) et une douzaine de bandes dessinées ! En outre, ils ont eu la possibilité de dialoguer avec de nombreux écrivains comme l'algérien Mohamed Kacimi, l'année dernière.
Par ailleurs, les bibliothèques des centres carcéraux sont également le théâtre (hem...) de la découverte de la scène pour de nombreux détenus. Ainsi en va-t-il de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, tout autant que du centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan, où Marianne Truesse, responsable de la commission établissement pénitentiaire de l'Association des Bibliothécaires de France, raconte avoir œuvré pour la mise en place l'an dernier d'un « karaoké théâtre ». Proposé à la fois au quartier femme et au quartier homme, il plaçait détenus et détenues face à un écran où défilait un texte, accompagné d'indications scéniques. L'initiative a rencontré un grand succès, permettant par là à plusieurs détenus et détenues d'aborder un genre littéraire dont le goût est peu répandu dans le milieu carcéral.
Aussi, c'est à travers leur caractère ludique et didactique que les bibliothèques se rapprochent du détenu, en lui rappelant … qu'il n'est pas uniquement un détenu. « Ce sont souvent des gens très seuls, abandonnés de tous, qui ont peu d'estime d'eux-mêmes et ont du mal à s'envisager autrement », explique Jean Caël, responsable du département Prison-Justice, du Secours catholique. Car la précarité culturelle cause et augmente la barrière qui sépare le détenu de l'autre. Et c'est pourquoi, à l'instar de nombreuses associations, le Secours catholique propose un service de correspondance anonyme aux détenus intitulé « S'écrire au-delà des murs ». Le principe est simple, et regroupe environ 1000 bénévoles correspondant anonymement avec un deux ou trois détenus en général.
Christiane Taubira, garde des Sceaux
L'initiative a un rôle profondément bénéfique sur les détenus, en ce qu'elle lui permet d'une part de dialoguer avec une personne extérieure, et d'autre part, d'apprendre - ou réapprendre - à écrire ! « Beaucoup de détenus lisent leurs lettres avec leurs camarades de cellule qui ont alors envie de faire de même… mais ils ne savent pas écrire. Alors, ils apprennent et essayent. Pour tous c'est l'occasion d'apprendre à mieux s'exprimer, mieux écrire tout en conservant une relation à l'extérieur de la prison. », raconte Jean Caël. Et nul besoin de préciser combien l'apprentissage et l'amélioration de l'écriture peuvent être bénéfiques pour la réinsertion, ne serait-ce que que d'un point de vue professionnel…
L'amendement 474 ne fait pas l'unanimité
Il est surprenant de découvrir que l'amendement était loin d'être approuvé par tous. Pour l'association Lire c'est vivre, l'amendement est une erreur. En effet, celui-ci ne considère pas assez la valeur intrinsèque de la lecture : « La lecture est un droit. De fait, la bibliothèque participe à la réinsertion », explique l'association. Et de citer sur son site l'article 27 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948 « toute personne a le droit de prendre part à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent ». C'est pourquoi Lire c'est vivre insiste donc sur le fait que la lecture ne doit pas prendre d'autre aspect pour le détenu : « il ne faut pas mélanger droit et fonction. » L'association craint en effet que par l'amendement, la bibliothèque ne devienne un lieu vu uniquement comme moyen de sortir plus rapidement, et non plus d'épanouissement personnel et de réinsertion.
Du côté de l'ABF, Marianne Truesse, juge que l'amendement est certes, une très bonne idée… mais celui-ci ne prend pas assez en compte les institutions qui agissent déjà dans le cadre du milieu pénitencier. Ainsi, le fait que le référant du détenu chargé de suivre ses lectures puisse être un bénévole du Secours catholique paraît aberrant à la commission, pour qui seuls les professionnels conventionnés ont une réelle légitimité pour ce genre d'action : « Il faut que ce soit les professionnels qui s'en occupent », insiste la commission.
En ce sens, Mme Truesse a tenu à insister sur la légitimité institutionnelle des professionnels réunis dans la commission établissement pénitentiaire de l'ABF. Ainsi, dans le département de la Gironde, les bibliothécaires chargés des centres pénitentiaires de Bordeaux-Gradignan sont, outre leur formation professionnelle, conventionnés par l'administration pénitentiaire elle-même, la région Aquitaine, et le SPIP (Service Pénitentiaire d'Insertion et de Probation) - entre autres. Autant d'institutions qui assurent un « cadre » solide, permettant la tenue des engagements qui, dans le bénévolat, seraient moins certains.
Comme nombre d'associations et institutions, le Secours catholique pointe le fait qu'il s'agit donc bien par là de tirer les prisonniers de l'oisiveté qui les déresponsabilise, rappelant que l'administration pénitentiaire, en charge de la sécurité « ne peut pas accomplir de miracles ». « 93 % des détenus sont pauvres, mais pas seulement financièrement : culturellement aussi. Environ 1/5e d'entre eux est illettré, (…) et un adulte m'avoue avoir constaté dans un centre de détention de mineurs que les jeunes parlaient avec moins de 400 mots », souligne enfin le responsable du département Prison-Justice du Secours catholique.
Pour l'ensemble de la société, associations et institutions de bibliothécaires dans le milieu carcéral jouent donc un rôle qui doit être plus valorisé. Si l'administration pénitentiaire peut se défier des bibliothèques (elles pourraient par exemple apprendre aux détenus à mieux critiquer la prison, leur fournir des outils pour mieux « magouiller »...), la société ne le peut : les livres sont peut-être le meilleur moyen de réintégrer l'individu et de lui garantir une place dans les systèmes sociaux. Contacté par ActuaLitté, maître Alexandre Duval-Stalla précisait combien apprendre à bien s'exprimer est primordial pour les accusés qui peuvent alors mieux suivre le déroulement de la procédure, et mieux s'expliquer...
Le projet d'amendement ne disparaît pas : il sera débattu au Sénat demain en commission des lois, avant d'être examiné le 24 juin prochain en séance publique.
Commenter cet article