ENTRETIEN – Matthew J. Kirby s’est vu confier la lourde tâche de reprendre l’univers d’Assassin’s Creed, pour Ubisoft. Son premier roman, traduit aux éditions Bayard par Anath Riveline, comptait parmi les grandes attractions du Salon de Montreuil. Entre Templiers agressifs et Assassins permissifs, l’auteur nous raconte l’histoire de son roman.
Le 08/12/2016 à 17:13 par Nicolas Gary
Publié le :
08/12/2016 à 17:13
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Matthew J. Kirby : Eh bien, je n’ai pas trouvé cela difficile du tout. L’une des raisons pour lesquelles Ubisoft m’a sollicité, c’est que mes précédents romans avaient une trame historique. Mais également des éléments de science-fiction et de fantasy. La première chose que nous avons faite, avec eux, fut de discuter ensemble : je leur ai alors demandé quelle était leur vision, ce qu’ils souhaitaient. Ils m’ont dit de me débrouiller (rires !).
Les attentes du public étaient cependant importantes, et très précises : les fans voulaient des ninjas et des Vikings... Alors, dans le deuxième et le troisième tome, il y en aura. Mais pour ce premier opus, j’ai avant tout souhaité faire le lien avec les jeux vidéo. Le jeu Syndicate est sorti pendant que j’écrivais, et se déroule dans l’époque victorienne. J’ai transposé mon histoire, à New York, dans Manhattan, à la même époque.
Concernant les recherches, il y en a eu beaucoup – et j’adore ça. Je trouve d’ailleurs toujours plus d’éléments que je ne peux en utiliser. Donc, la seule chose qui m’a été demandée était que le livre devait s’adresser aux jeunes lecteurs – et suivre les règles de ce monde d’Assassins. Et finalement, ce que je leur ai envoyé, avec mes personnages, la trame leur a parfaitement convenu.
Matthew J. Kirby : L’une d’entre elles est que l’Animus [un artefact propre à l’univers] utilise la mémoire génétique et j’ai opté pour le premier dévoilé dans les jeux. Ce genre de point était fondamental. Mais je vous confirme qu’ils ne m’ont pas obligé à jouer à tous les jeux ni regarder les films : de toute manière, j’étais déjà accro. J’écris des livres similaires, mais je suis aussi un grand joueur notoire (hilare).
Matthew J. Kirby : Ce qui fonctionne particulièrement bien, dans Assasin’s Creed, c’est passer au crible ces questions d’identité, notre essence propre. Les deux personnages interviennent à des moments clefs de l’univers pour la confrérie des Assassins. Altaïr a redoré leur blason, et Owen survient, dans mon livre, à une époque où les Templiers ont décimé une grande partie de cette confrérie. Owen incarne un sang neuf, et les autres personnages pourront donner une nouvelle vie.
Matthew J. Kirby : Eh bien... j’ai reçu un email d’un lecteur qui m’a dit que le livre lui avait donné l’inspiration nécessaire pour devenir un assassin, en découvrant qu’ils existaient réellement... J’espère qu’il plaisantait ! Plus sérieusement, les jeunes lecteurs attendent avant tout de l’honnêteté de la part de l’auteur.
Cette histoire se déroule à une période très sombre de l’histoire américaine, en 1863, en pleine Guerre de Sécession. Abraham Lincoln a organisé un recrutement pour engager plus de soldats – et dans le même temps, il suffit de payer une certaine somme pour s’y soustraire. Les jeunes fortunés échappent à la guerre, mais pas les pauvres. Alors le jour où, à New York, les gens devaient se faire enrôler, il y eut des émeutes terribles dans la ville, avec des combats meurtriers.
Dans le même temps, la situation exacerbait les tensions raciales, parce que des Blancs du nord refusaient de se battre pour libérer des Noirs du sud. Un moment tragique de notre histoire, et ça aurait été une faute professionnelle que d’aseptiser ces événements : si j’essaye de présenter les faits de manière acceptable pour les jeunes, ils sont là. La violence est présente, mais j’espère avoir raconté tout cela correctement.
Matthew J. Kirby : En fait, je le verrai plutôt comme un conte philosophique. Les Assassins représentent l’exercice de sa volonté – et la possibilité d’agir à sa guise –, quand les Templiers, incarnent l’ordre et le contrôle – et la nécessité de guider les hommes. Ces deux organisations souhaitent pour l’humanité un monde prospère et en paix. La différence, ce sont les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir.
Bien entendu, on serait séduit en premier lieu par le mode de vie des Assassins, sauf que l’exercice de leur volonté peut aller jusqu’à tuer un de nos proches. Alors, l'affaire devient plus complexe : le livre pose aux lecteurs la question du libre arbitre et du choix de sa propre destinée, à travers les personnages.
Matthew J. Kirby
Matthew J. Kirby : Ubisoft cherche des moyens pour raconter des histoires à travers d’autres moyens. Le monde d’Assassin’s Creed, l’Histoire devient l’aire de jeu, sans aucune limite aux éléments que l’on peut explorer. Mon livre ne ferait pas un bon jeu vidéo, parce qu’il s’inscrit dans un laps de temps très limité, dans un même lieu, et les personnages ne donneraient pas forcément envie pour un jeu. Mais on me dit que c’est un bon livre.
D’ailleurs, Ubisoft est devenu éditeur de livres, en créant une filiale éditoriale. Ils ont les moyens de communication, les univers, les finances... ils peuvent toucher de nouvelles audiences, qui ne sont pas nécessairement des adeptes de leurs jeux. Dans les classes où j’ai pu rencontrer des élèves, seul un tiers connaissait ces jeux, c’est très significatif. Le livre est écrit pour tout le monde.
Matthew J. Kirby : À vrai dire, Owen est en lutte constante avec cette notion. Son père a été accusé d’avoir cambriolé une banque, d’avoir tué un gardien : il fut mis en prison, où il est mort. Le fils est convaincu de l’innocence de son père, mais doit arriver à le prouver. C’est ainsi qu’il va partir en quête des souvenirs, et utilisera l’Animus pour voyager dans le temps. Mais dans le même temps, il est écartelé par les interrogations : coupable, innocent ? Toute sa construction tourne autour de cela.
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En réalité, il vit avec ce credo constamment. Il l’a adopté pour mener à bien sa mission. Et cela va le guider dans les souvenirs d’un Assassin... Dans le second livre, ce seront d’autres considérations, toujours autour de cette phrase. Quant au troisième livre, je n’en parlerai pas, il est en cours d’écriture.
Matthew J. Kirby : Les gens croient toujours que les premiers sont les méchants et les seconds les gentils. Grave erreur. Tous tentent d’améliorer le monde. Il est intéressant d’avoir, au milieu de cela, des personnages de 16 ans, qui vont balancer entre les deux camps, opter pour l’un des deux, et finalement en changer par la suite. La construction personnelle s’articule autour des choix réalisés, d’après leur expérience, qui se modifient évidemment selon celles qu’ils vivent.
Dans tous les cas, à la manière de Spider-Man, de grands pouvoirs impliquent de grandes responsabilités. Les deux camps vont utiliser les enfants pour obtenir une arme – la dague d’Hernan Cortès – très puissante. Et pour ces adolescents, tout l’enjeu est de trouver à qui donner l’arme, parce qu’ils seront responsables du pouvoir qu’ils apporteront. Tout l’apprentissage que les enfants vont faire doit les guider vers le meilleur des choix.
Quand ils passent dans l’Animus, ils vont voyager dans un corps, et reviennent avec des qualités qu’ils conservent, comme une mémoire génétique. Cela doit aussi leur venir en aide. Et pour complexifier un peu l’ensemble, je réfléchis à la manière dont les Assassins et les Templiers pourraient arriver à travailler ensemble. Cela me titille, c’est assez stimulant. Mais je n’en dirai pas plus !
Matthew J. Kirby : Je n’ai pas écrit ce livre comme une leçon, pas plus que je n’essaye d’inculquer des leçons aux jeunes qui lisent. Simplement, je m’efforce de leur poser des questions complexes, qui leur permettent d’interroger le monde qui les entoure. À bien des égards, le contexte historique du livre permet d’établir de réels parallèles avec le monde contemporain : les conflits raciaux persistent, les luttes de pouvoir sont plus violentes, les riches et les pauvres demeurent...
Par contre si vous me demandez qui des Templiers ou des Assassins sont nécessaires pour les États-Unis je vous réponds de suite : aucun des deux (rires). Les peuples ont besoin de voter, en toute démocratie, pour élire la personne adéquate.
traduction assurée par Philippe Aronson
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