L'internaute est-il devenu incapable de vivre sans pirater ? Et sans trembler, l'idée ne reviendrait-elle pas à envisager que la technologie soit finalement nocive pour l'humain ? « Les gens qui travaillent l'information électronique sont continuellement distraits. Ils changent d'activité basique en moyenne toutes les trois minutes, et de projet toutes les dix minutes. Il est juste impossible pour eux de s'investir entièrement dans quoi que ce soit si l'on change de sujet aussi rapidement ».
Le 05/01/2012 à 16:01 par Clément Solym
Publié le :
05/01/2012 à 16:01
Une addiction à la technologie, doublée d'une incapacité à se concentrer puisque professionnellement ou même à titre privé, le net nous entraîne - incite ? - à être constamment mobiles, voilà qui serait à mettre en relation avec une autre forme d'addiction, à la contrefaçon.
Pour toutes les industries culturelles, les éditeurs de logiciels, les médias également, le monde moderne ne serait plus que lutte permanente contre le piratage. La croissance de cette pratique augmente, au point que l'on se demande comment était la vie avant que l'on ne puisse tout obtenir en deux ou trois clics.
Le Pire-ate à venir ?
Pourtant, pirater, contrefaire, cela n'a rien de neuf. Et même, dans certains cas, la pratique a gagné ses lettres de noblesse. Quand il s'agit de fournir des versions pirates des livres de Taslima Nasreen en Inde, seul l'imbécile parle de violation du droit d'auteur : il faut saluer au contraire l'acte de résistance et la nécessité de lutter contre une forme exacerbée de censure. Mais sur le net, on a du mal à se dire qu'il pourrait y avoir là un acte de résistance. Et de fait, les États approchent la situation avec des outils de répression - dont le nouveau synonyme est devenu pédagogie.
SOPA, Hadopi, LOPPSI, et consorts, autant de législations qui ont surgi du néant pour interdire, bloquer, contrer - et surtout, s'abstenir de réfléchir. Pourtant, la leçon d'Al Capone : on obtient plus avec de la corruption et du chantage qu'avec du chantage seul.
Alors, il serait bon de poser deux idées majeures :
1- Vouloir enrayer et stopper le piratage sur le net, c'est l'histoire de ce Breton qui voulait vider la mer : perte de temps, d'argent et d'énergie.
2- S'aliéner le consommateur en le faisant d'entrée de jeu passer pour un criminel, c'est aller contre la présomption d'innocence. Plus un éditeur de contenu investit dans la lutte contre le piratage, plus son client est en droit de se sentir un brin insulté.
Gratuité, licences libres, DRM et usages
On trouve une réflexion assez complète dans Futurebook sur les questions liées au «nain ternet» dans ses rapports au piratage. On y passe ainsi en revue plusieurs éléments qui motivent la volonté d'accéder gratuitement aux oeuvres, aux textes, aux jeux, etc. De la question de la gratuité, bien ancrée désormais dans la tête des internautes, et dont il faudra apprendre à la désapprendre, en passant par la question du prix demandé pour un contenu dématérialisé, voilà déjà un panorama intéressant d'approché.
Mais l'avènement des licences Creative Commons, qui autorisent la reproduction, la manipulation ou encore la transformation complète, à condition de rester dans le cadre de la licence, a également servi à bouleverser la notion de droit d'auteur. De là, la question problématique ou la problématique question de la propriété - contrebalancée immédiatement par celle des verrous numériques, qui restreignent l'usage que l'on peut faire de son achat.
Avec un DRM, le contenu acheté est tronqué, voire castré, et nécessite un nouvel acte de piratage pour que le client puisse pleinement profiter de ce qu'il vient de s'offrir.
Ce n'est qu'un début...
Dans tous les cas, lutter, c'est prendre les enjeux de ce marché de demain dans le mauvais sens. D'autant plus qu'avec le temps, cette fameuse addiction au piratage se développera plus encore. On n'est pas alcoolique, on le devient. On n'est pas non plus piratophile, on le découvre, à mesure que les offres autour de soi nous donnent l'impression - justifiée ou non - que l'on est pris pour une vache à lait.
Et avec des législations doublées d'acteurs et de sociétés qui sont des marchands de piratage, qui le découvre sous chaque pierre soulevée, qui en font des statistiques affinées, pour mieux vendre leur contrôle du net ou leurs prestations de services, voilà qui n'arrangera rien à l'affaire. Le piratage est un acte social, découlant d'une logique de consommation poussée. Disposer de plusieurs dizaines de gigas de fichiers MP3 dans son baladeur, c'est de la surconsommation, ni plus ni moins.
... poursuivons le débat
Et c'est alors cette même logique, qui nous pousse à engloutir, dans laquelle nous évoluons au quotidien. Dans les propos que Craig Johnson, auteur américain, nous avait tenus, concernant l'essor du livre numérique dans son pays, c'est bien de cette logique de consommation immédiate dont il était question.
« Aujourd'hui, certaines maisons ont des ventes qui dépassent 25 % de leurs revenus, générées par le livre numérique. Mais nous achetons différemment, là-bas. Ici, vous avez de nombreuses librairies, et contrairement aux Américains, la France n'a pas cette impatience permanente de la nouveauté. Avec le Kindle, les gens ont un livre immédiatement, et l'achètent en quelques secondes. Malheur au libraire qui ne peut pas leur proposer la nouveauté dès qu'ils la réclament. C'est aussi pour cela qu'ils ont recours aux livres numériques. »
Avoir le plus vite possible, et pouvoir consommer immédiatement, alors que les sollicitations abondent et se multiplient indéfiniment...
Quand le monde de la BD n'a jamais publié autant de livres, que celui de l'édition texte s'acharne à dépasser ses records de production - et en parallèle engage des sociétés pour traquer le net, à la recherche de ces oeuvres contrefaites que l'on nous pousserait justement à acheter, étalées qu'elles sont dans les librairies, chez les revendeurs, sur les sites en ligne - alors, une question reste. De qui se moque-t-on ?
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