Les caricaturistes nous dépeignent volontiers un Edgar Poe écrivant dans un bureau obscur, entouré d'éléments allégoriques de la vanité humaine, éventuellement en compagnie de chats noirs et autres oiseaux de malheur. En réalité, le poète avait sa conception toute particulière de l'aménagement intérieur, qu'il partagea avec les lecteurs de The Philosophy of Furniture, paru en 1840 dans les pages du Burton's Gentlemen's Magazine. Un essai jugé excentrique, dans lequel le Sudiste confiait son aversion pour la décoration « yankee ».
Le 25/02/2014 à 18:32 par Julien Helmlinger
Publié le :
25/02/2014 à 18:32
La chambre idéale de Poe, selon le Brooklyn Museum
En matière d'aménagement d'intérieur, le poète maudit aurait eu tendance à choisir son mobilier tout comme ses mots, jamais au hasard. Celui-ci ayant notamment écrit que si « n'importe quel homme pourrait se faire juge en droit commun, il faudrait être un génie pour faire un bon juge en matière de tapis ». Au fil de son texte, sur un ton ludique et satirique, Poe critiqua alors vivement la conception nord-américaine « absurde » de la déco.
Peut-être que l'esprit critique ne réglait pas tant ses comptes avec la beauté des lieux qu'avec celles des âmes à travers son argumentaire, en dressant un certain parallèle entre les deux. Il dénonçait notamment un certain étalage de richesse, en soutenant que son pays n'ayant pas connu de noblesse de sang ce sera « façonné une aristocratie du dollar ».
Selon l'écrivain, les Américains auraient à leur grand dam confondu affichage ostentatoire de biens matériels et richesse spirituelle.
L'aménagement idéal, une tête bien faite ?
Au fil de son récit, l'écrivain détailla longuement ce qu'il présenta comme un aménagement de paysage intérieur idéal. Celui d'une « petite chambre non ostentatoire », faisant référence à la forme du parallélogramme, avec deux grandes fenêtres de verre rouge, des rideaux extérieurs de tissu argent et intérieurs de soie cramoisie et frangée d'or.
Il décrivit un univers dominé par les couleurs de pourpre et d'or, et ce, du tapis aux canapés et sans faire l'impasse sur la lampe d'Argand. Malgré l'éclat de ces coloris, tout doit y investir l'habitant d'un sentiment d'une « tranquillité à l'éclat magique ». Les espaces extérieurs, selon la longue description de l'auteur, doivent orienter l'occupant vers la paix spirituelle.
Bien que la notion n'avait probablement que peu voyagé vers l'Occident en ce temps là, sa présentation du lieu de vie idéal semble évocatrice du concept chinois de feng-shui. Ce dernier voulant que l'environnement externe ne va pas sans influence sur la vie intérieure. Le pourpre et l'or y seraient considérés comme les couleurs de puissance, symbolisant la bonne fortune et le bonheur.
Comme certains théoriciens chinois leur reprochant de susciter une énergie négative et porter la poisse, Edgar Poe aurait eu en aversion les lignes architecturales trop bien définies. Et quand en feng-shui on aurait coutume d'insister pour que le tapis se marie harmonieusement et discrètement avec le reste de la pièce, Poe présenta justement cet élément décoratif ni plus ni moins que comme « l'âme de l'appartement »...
Simple coïncidence ou non, l'essai humoristique de l'écrivain prend comme des airs de premier manifeste occidental en matière de feng-shui.
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