Il fallait s’en douter, la décision de l’Arcep d’imposer un tarif unique aux frais de port n’emportait déjà pas l’adhésion dans ses premiers temps. En validant le montant de 3 €, l’Autorité entretient la division, peinant à rassurer les uns, améliorant les finances d’Amazon selon les autres. Et au milieu, bon nombre continuent de se gratter la tempe, perplexes…
Le 24/09/2022 à 09:11 par Nicolas Gary
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24/09/2022 à 09:11
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Benoît Bougerol, ancien président du Syndicat de la librairie française l’indique à ActuaLitté : « Voici l’aboutissement d’un long combat initié par les actions en justice que j’avais menées avec le SLF dès 2008 contre le dumping et la vente à perte que constituait la gratuité des frais de port. » Pour autant, il souhaiterait que La Poste présente « une offre claire et simple pour que l’envoi d’un livre coûte moins cher que le colissimo actuel, notamment pour les petits livres comme les poches ».
Combat du SLF depuis des années, cette fin de gratuité entraîne ipso facto un prix final supérieur pour le client. Que les internautes n’aiment pas s’acquitter de ces sommes est une chose, que les colis, le traitement logistique et les coûts d’expédition — dont l’essence… — soient gratuits, voilà qui relevait de l’incohérence totale. Et pourtant...
Pour l’ancien libraire, le travail des parlementaires qui ont adopté la Loi Darcos, a servi la défense « de la culture, et la diffusion du livre, partout sur le territoire et pour tous. Seul un tissu de librairies dans nos villes permettra l’accès au livre avec les conseils et le choix près de chaque lecteur, comme le tissu des bibliothèques ».
Pour autant, et il rejoint sur ce point le Syndicat, la demande formulée tournait autour de 4 voire 5 €. Une somme « qui aurait été plus équitable quand on sait qu’un colissimo (pour une marchandise, ce qui est le cas pour un livre vendu) coûte plus de 7 euros, que l’emballage coûte plus d'un euro, et que le salarié concerné est aussi, modestement, payé ».
Le SLF, lui, ne mâche pas ses mots : « Le compte n’y est pas », dégaine le syndicat patronal, pour qui l’esprit de la Loi Darcos, – « rééquilibrer les conditions de concurrence sur le marché de la livraison de livres et, ainsi, de permettre aux libraires de pouvoir développer leur présence sur internet » –, tombe à l’eau. La décision de l’Arcep, d’un seuil de 3 €, jusqu’à 35 € — au-delà duquel un montant de 0,01 € seul sera facturé, soit l’ancienne vraie-fausse gratuité — poursuivra l’entreprise de vente à perte pour la librairie.
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« La perte nette sera en moyenne de 3 euros sur l’envoi d’un livre de poche, entre 2,50 et 3,50 euros pour un livre grand format, 3 euros pour une bande dessinée et plus de 8 euros pour deux bandes dessinées ou un livre d’art de format moyen », analyse le SLF. De fait, « la grande majorité des acheteurs sur internet sont des urbains aisés qui disposent d’une ou plusieurs librairie(s) à proximité », insiste le communiqué.
Une victoire de la culture de la gratuité, au mépris de « la logique du prix unique du livre », attendu que tout rabais « rompt l’équilibre concurrentiel entre les détaillants ».
Et de se tourner, une fois n’est pas coutume, vers les pouvoirs publics pour que ces derniers fassent céder la poste. Le projet du SLF, qui regroupe quelque 700 librairies sur le territoire, est « d’obtenir, pour les libraires, un tarif d’expédition plus avantageux permettant, en se conjuguant avec les seuils minimaux, de les rendre enfin compétitifs à l’égard des grandes plateformes en ligne ».
La cloche ne sonne pas à l’unisson du SLF, côté rue de Valois et Bercy. Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et Rima Abdul-Malak, à la Culture, accueillent et acceptent la proposition de l’Arcep avec une certaine facilité. Selon eux, l’offre de 3 € « couramment appliqué pour la livraison d’autres produits, n’apparaît pas dissuasif pour les acheteurs ».
De même, celui des 35 € d’achats qui, une fois atteints, font basculer sur le tarif de 0,01 € « favorise le groupement de commandes, geste vertueux en matière de transition écologique ».
En somme, et au terme de la consultation publique, la décision de l’Arcep « permet un équilibre entre l’atteinte de l’objectif fixé par le législateur et la préservation du marché du livre ». Restent désormais à la France quelques démarches administratives au niveau européen. Une notification interviendra prochainement pour présenter un projet d’arrêté pour avis. « Une fois celui-ci rendu, la tarification minimale entrera en vigueur dans un délai de 6 mois après sa publication. »
Cyril Olivier, Président et Directeur général du groupe Nosoli (Furet du Nord/Decitre), estime que « toute disposition gouvernementale visant à réguler et à viser l’équité du marché du livre est bienvenue à nos yeux ». La démarche de l’Arcep visait donc cette ambition, « notamment en incluant l’iniquité des formules d’abonnement qui absorbent les frais de port ».
Or, le résultat obtenu par la librairie aboutit à « une demi-victoire. Donc un semi-échec », nous assure-t-il. « En effet, plutôt que discuter d’un seuil de gratuité (15 € ? 25 ? 35 ?), maintenir les 0,01 € — de facto la gratuité de la livraison — ne régule pas la concurrence entre certains acteurs et la majorité des libraires. »
Et d’abonder dans le sens du SLF, en soulignant que les librairies « devront être soutenues par le gouvernement dans leurs négociations avec la Poste afin de supporter des frais de port à 3 € ».
Thomas Jacquart, fondateur de BDfugue.com, note de son côté qu’avec des frais à 3 € « l’Autorité évite l’écueil que nous, vendeurs en ligne, redoutions, à savoir qu’internet finisse par n’être plus qu’un support à la vente d’occasion ou d’ouvrages épuisés, vendus à prix délirants ». La librairie en ligne voit dans la proposition « une victoire totale, car Amazon devra s’aligner sur tous les sites ».
Pourtant, il garde à l’esprit que le montant final « maintiendra une véritable pression sur les coûts : 3 €, c’est très en deçà de ce que représente l’expédition d’un colis — comptant le carton, l’intervention humaine, les frais de l’envoi ».
Bien entendu, personne n’est dupe : imposer à Amazon de facturer les frais de port reviendra à augmenter la marge du cybermarchand — de même que la Loi Lang, en son temps, avait contraint son pourfendeur, Michel Édouard Leclerc à cesser ses rabais systématiques. Et de ce fait, de gagner plus d’argent.
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Toutefois, souligne un observateur soucieux de son anonymat, « c’est une énorme bêtise si on considère que les gens qui commandent des livres sur Amazon font partie des classes supérieures urbaines, en majorité. Cela ne les freinera nullement, mais accroîtra durablement la marge d’Amazon » !
Durant quelques années, le vendeur américain avait en effet produit un classement des villes françaises où il comptait le plus grand nombre d’acheteurs de livres. Sans trop d’étonnement, Paris occupait la première place, entre 2012 et 2016 — passée cette date, Amazon cessa de produire cette liste. Pour autant, il la poursuit dans d’autres pays européens, et, pour prendre l’exemple de l’Italie, Milan occupait encore la tête pour 2022, suivie de Rome. Pas vraiment des zones rurales.
Or, Frédéric Duval, directeur général de la filiale française avait défendu, dans un communiqué désormais introuvable, le rôle d’intérêt public d’une gratuité des expéditions. Et d’avancer des chiffres très contradictoires en regard des estimations du SLF.
Ainsi, « 45 % des Français qui achètent des livres en ligne le font en raison de l’éloignement des points de vente physiques. Cette proportion atteint même 81 % dans les communes rurales », certifiait Amazon. Mieux encore, « plus de la moitié des livres achetés sur Amazon le sont par des habitants de communes de moins de 10.000 habitants, et plus du quart par des habitants de communes de moins de 2000 habitants ».
Contacté par ActuaLitté, Amazon indique que « l'introduction d'un tarif minimum d’expédition aurait un effet inflationniste majeur, induisant une hausse du coût d’acquisition des livres vendus en ligne et affectant le pouvoir d'achat des lecteurs – et plus particulièrement de ceux qui résident loin des points de vente physiques et n’ont pas d’alternative ».
Le cybermarchand rappelle d’ailleurs sa position, déjà évoquée, que de proposer une solution reposant sur le tarif Livres et brochures, appliqué pour la vente à l’étranger. « Des alternatives existent qui ne pénaliseraient ni la lecture, ni le pouvoir d’achat des Français, par exemple la mise en place d’un tarif postal dédié, comme cela existe pour les expéditions de livres vers l’étranger : envoyer un livre de 500 grammes à Londres coûte ainsi 1,49 €, alors que l’envoyer à une adresse française coûte quatre fois plus cher, à savoir 6 € », nous précise la firme, citant sa contribution à la consultation Arcep.
En outre, la concentration des librairies dans les grandes villes est mise en avant : « Paris intra-muros compterait ainsi plus de 20 % du total des librairies françaises, pour seulement 3 % de la population, et plus de 90 % des quelque 35.000 communes françaises n’ont pas de librairie sur leur territoire. »
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Or, 45 % des Français « qui achètent des livres en ligne le font en raison de l’éloignement des points de vente physiques selon une étude Ifop de 2021 », note la filiale américaine. Avec une conclusion simple : « En cas d’application d’un tarif minimal de 3 €, les lecteurs seraient confrontés à une alternative simple : renoncer à certains de leurs achats de livres et donc lire moins — ce que feraient 25 % des personnes interrogées par l’Ifop — ou alors supporter des coûts supplémentaires substantiels, soit en acquittant 3 € supplémentaires à chaque achat de livres, soit en prenant leur voiture pour se rendre en librairie. »
Et de renvoyer au mémoire communiqué à l’Arcep, disponible à cette adresse.
Pour autant, le risque de voir le marché d’occasion exploser demeure réel. « C’est une loi proMomox. Pourquoi ? La plateforme est en Allemagne, elle ne sera a priori pas contrainte par la loi française et elle applique déjà des frais de port », relève un éditeur. « Donc voilà une législation qui est censée protéger les libraires et qui seront les deux premiers à en profiter ? Amazon et Momox. Champions du monde le SLF et le Ministère ! »
À l’heure où l’idée revient d’une taxe sur les ventes de livres d’occasion — et sur laquelle s'est récemment exprimé momox, justement — certains réviseront peut-être leur jugement… L’idée, portée à l’époque par le président du Centre national du livre, Vincent Monadé, avait été éconduite par le Syndicat national de l’édition, pour qui l’idée était mauvaise.
Rappelons que La Sofia mène actuellement une large étude sur la véritable porté de ce commerce. Une enquête qui donnera au moins une véritable vision, débarassée des fantasmes et des contre-vérités.
Crédits photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
4 Commentaires
Hubert
23/09/2022 à 22:49
Je suis assez opposé à cette idée.
Pour mon boulot, je m’achète des bouquins (techniques, universitaires ou d'éditeurs étrangers) par Internet ou je vais à la fnac ou dans des librairies spécialisées (mais les commerces physiques c'est à au moins 40 min en transport de chez moi la plus proche boutique). Et lorsque je commande à fnac plusieurs livres, je me les fais livrer dans un Darty avec les 5% de réduction car plus proche.
Je n'ai pas le choix car mes deux librairies du coin sont incapables de commander des livres de certains éditeurs ou de l'étranger car ils sont affiliés à des réseaux de distribution assez traditionnelles.
Je ne vois pas pourquoi je devrais payer un supplément parce que le systéme de distribution des librairies est archaïque. On commande des fois un bouquin classique ou une BD un lundi et on me dit que je le recevrais jeudi mais pas ce jeudi mais le jeudi suivant. Des fois, je commande auprès d'un librairie un livre un samedi, je repasse le samedi suivant, ils ne l'ont pas reçu.
Aucune compassion! C'est pas Amazon ou les librairies en ligne qui vont tuer les librairies mais leur propre archaïsme qui en font des gnous.
On aime accuser l'américain Amazon car un GAFA mais personne ne fait le moindre reproche à Sodis, Interforum, Hachette... Ils sont beaucoup plus responsables du déclin des librairies qu'Internet. Les librairies sont des gnous ou des animaux que l'on mène à l'abattoir face à ces réseaux des distributeurs.
Mon cousin vit en province. il n'y a aucune librairie à 15 km de chez lui. Il est forcé de commander par Internet. La seul librairie à 15 km est un petit supermarché avec quasiment rien. Il doit déjà commander le livre avant d'y aller à condition qu'une caissière se libère pour passer la commande donc il commande sur le site en ligne du supermarché qui n'a pas un choix intéressant.
Ce n'est pas Internet qui a tué les librairies de campagne mais la désertification, le manque de transports. le dernier coin de presse a fermé il y a 10 ans.
rueclovis
24/09/2022 à 17:53
Amazon disposera sans doute d'un moyen très simple, et sans doute légal, pour neutraliser ce "surcoût" de 3€, au moins pour ses abonnés Prime.
Il lui suffira de considérer les 3 euros payés à l'occasion de chaque commande d'un livre comme des avances sur le prochain abonnement Prime diminué du montant total déjà payé pour les expéditions de livres au cours des 12 derniers mois.
Al
25/09/2022 à 13:35
J'ai bien lu tous les arguments des pro-lois Darcos. Ceci-dit ça reste, n'en déplaise à certains, un frein à la vente ponctuelle de livres. Je vais prendre un exemple très concret : la personne habite à 20 km d'une librairie. Elle part dans quelques jours en vacances et décide d'acheter un livre pour ses vacances. La personne aime la SF or le libraire n'est pas du tout spécialisé dans ce domaine. Cette personne n'a pas de réel choix. Il passe par le libraire à 20km, la commande va arriver dans 10 jours. Il va sur internet, la commande va arriver dans 4 jours donc avant ses vacances. La question n'est donc pas internet versus librairie. La question finale : est-ce que les 3 euros de fdp vont dissuader cette personne d'acheter le livre sur internet ?
ninja
25/09/2022 à 18:27
Quand un projet de loi voté dans l'enthousiasme s'avère ni très bon, ni très porteur de résultats potentiels, l'important est de ne pas perdre la face.
On sait maintenant que 35 euros c'est le prix de masque nécessaire au déguisement des apparences.
Il n'en reste pas moins, comme l'ont noté beaucoup supra, qu'il est surprenant
- qu'une plateforme de livraison arrive à livrer en 48 heures des adresses privées et qu'une chaine de distribution de livres soit incapable de livrer en 48 heures le nombre somme tout limité des 700 librairies en France.
- que la poste locale persiste à facturer trois fois plus cher que ses consœurs allemandes et japonaises l'envoi de livres à l'intérieur du pays.
- que des gens nous disent qu'ils vont developper demain " leur présence sur internet" quand on sait que celui-ci existe dans une forme moderne depuis au moins 25 ans (un certaine plateforme ayant été lancée vers 1996...)
Y-a-t-il vraiment des raisons d'être optimiste ?