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BD tout public

Les aventures de Blake et Mortimer Oeuvres complètes Tome 2 : L'énigme de l'Atlandide ; SOS météores ; Le piège diabolique ; L'affaire du collier ; Les 3 formules du professeur Sato, Tomes 1 et 2. Avec un ex-libris, Edition de luxe

Quatrième aventure de la série, L'Enigme de l'Atlantide est prépubliée dans le journal Tintin entre octobre 1955 et décembre 1956 au rythme d'une seule planche par semaine, ce qui explique la nécessité pour l'auteur de créer un suspense à la fin de chaque planche. Jacobs aborde cette fois le domaine de la science-fiction, mais avec une base historique : "J'ai délibérément adopté le style "space opera" car l'Atlantide fait partie de ces thèmes à grand spectacle que j'affectionne particulièrement. J'ai commencé par relire les Dialogues de Platon, le Critias et le Timée. On a situé l'Atlantide un peu partout, mais je m'en suis tenu au récit de Platon qui situe le continent disparu à l'ouest de Gibraltar". Un an plus tard, entre janvier 1958 et avril 1959, Jacobs publie SOS Météores, avec le surtitre "Mortimer à Paris" : "Cette histoire m'a été inspirée par l'état fantastique du temps : nous avions eu une saison épouvantable, l'été était pourri, l'hiver lui-même était abominable, et partout dans la presse on ne parlait que des catastrophes météorologiques. J'étais très frappé par ça. Comme on faisait à ce moment-là de timides essais de changement de temps en saupoudrant les nuages avec de l'acide carbonique pour faire pleuvoir, j'ai extrapolé là-dessus. J'ai donc prospecté très sérieusement les environs de Paris pour trouver les lieux où situer l'action". Cette aventure sera adaptée en 26 épisodes radiophoniques d'une durée totale de 4h43 sur l'ex-ORTF (France 2). Avec un rythme de parution jusqu'ici très constant, Jacobs publie Le Piège diabolique entre septembre 196o et novembre 1961 : "Le thème de cette histoire est fondé sur une extrapolation romancée de l'expression "c'était le bon temps", essayant de démontrer aux nostalgiques du passé et aux utopistes du futur que le bon temps, tel qu'ils l'entendent, n'existe pas et n'existera jamais. Certains pourraient estimer la séquence du futur exagérément pessimiste. Pourtant, la fin d'une civilisation n'est pas un événement exceptionnel dans l'histoire de l'humanité. L'ennui, cette fois, étant donné les moyens modernes de destruction, notre disparition pourrait fort bien faire basculer la planète entière dans la préhistoire !... Ce récit devait cette fois m'attirer les foudres de la censure officielle ! Par un avis daté du 25 juin 1962, émanant du secrétariat d'Etat à l'Information, on avisait les éditions Dargaud que Le Piège diabolique était interdit d'importation en France par la Commission de surveillance et de contrôle de la presse enfantine "... en raison des nombreuses violences qu'il comporte et de la hideur des images illustrant ce récit..." Quatre années s'écouleront avant de découvrir dans Tintin la nouvelle aventure de Blake et Mortimer : L'Affaire du collier y sera prépubliée entre août 1965 et juillet 1966. Une histoire purement policière pour laquelle Jacobs, comme à son habitude, s'est fortement documenté : "Ca se passe dans les catacombes, les carrières et les égouts de Paris. Là aussi, j'ai commencé par éplucher les bouquins qui parlent de ces endroits, et puis je suis descendu moi-même dans ces lieux pour me rendre compte". L'album paraîtra en septembre 1967. Il faudra attendre trois nouvelles années pour découvrir dans Tintin ce qui sera la dernière aventure de Blake et Mortimer réalisée par Jacobs : Les 3 Formules du Professeur Saki. Passionné par la culture japonaise, et plus que jamais soucieux du détail, Jacobs passera un temps considérable dans ses recherches : "La forme des poubelles japonaises m'immobilisèrent plus de trois semaines, gag qui divertit fort mes petits camarades, surtout lorsque j'appris finalement qu'elles étaient pareilles aux poubelles américaines". Curieusement, alors que la prépublication dans Tintin de la première partie se termine en mai 1972, l'album ne paraîtra qu'en août 1977. Freiné par des ennuis de santé et une suite ininterrompue de problèmes personnels, ainsi que par l'écriture de son autobiographie en 1979, Jacobs n'arrivera jamais à terminer la seconde partie de Satô. A sa mort en 1987, seuls les scénarios, découpages et textes sont entièrement terminés. Deux ans plus tard, les Editions Blake & Mortimer confieront à Bob De Moor, son ancien complice du studio Hergé, le dessin de la suite tant attendue, "Mortimer contre Mortimer", dont l'album paraîtra en mars 1990.

11/2017

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Littérature érotique et sentim

Mémoires de J. Casanova de Seingalt, écrits par lui-même Tome 8 : Première partie

Casanova lui-même nous fait le récit de sa vie riche et dense, dans laquelle séductions et aventures sont intimement liées...POUR UN PUBLIC AVERTI. Les Mémoires de Casanova sont écrits entre 1789 et 1798. Publiés à titre posthume en 1825 dans une version censurée, ils sont mis à l'index en 1834, avec les autres ouvres de l'auteur. Cette autobiographie, qui se lit comme un roman, retrace non seulement les amours passagères et libertines du célèbre auteur, mais également sa vie d'aventurier vénitien, parcourant les capitales de l'Europe et embrassant tour à tour les carrières d'abbé, de militaire, de poète, de magicien, d'espion, etc. Casanova a vécu en homme libre de pensée et d'action dans un siècle des Lumières dont il est un des représentants. Découvrez en détail le destin d'un auteur incontournable de la littérature libertine et européenne !EXTRAITJe commence par déclarer à mon lecteur que, dans tout ce que j'ai fait de bon ou de mauvais durant tout le cours de ma vie, je suis sûr d'avoir mérité ou démérité, et que par conséquent je dois me croire libre.La doctrine des stoïciens et de toute autre secte sur la force du destin est une chimère de l'imagination qui tient à l'athéisme. Je suis non seulement monothéiste, mais chrétien fortifié par la philosophie, qui n'a jamais rien gâté.Je crois à l'existence d'un Dieu immatériel, auteur et maître de toutes les formes ; et ce qui me prouve que je n'en ai jamais douté, c'est que j'ai toujours compté sur sa providence, recourant à lui par la prière dans mes détresses, et m'étant toujours trouvé exaucé.Le désespoir tue ; la prière le fait disparaître, et, quand l'homme a prié, il éprouve de la confiance et il agit. Quant aux moyens dont le souverain des êtres se sert pour détourner les malheurs imminents de ceux qui implorent son secours, cette connaissance est au-dessus du pouvoir de l'entendement de l'homme qui, dans le même instant où il contemple l'incompréhensibilité de la providence divine, se voit réduit à l'adorer. Notre ignorance devient notre seule ressource, et les vrais heureux sont ceux qui la chérissent. Il faut donc prier Dieu et croire avoir obtenu la grâce que nous lui avons demandée, même quand l'apparence nous montre le contraire. Pour ce qui est de la posture du corps dans laquelle il faut être quand on s'adresse au Créateur, un vers de Pétrarque nous l'indique : " Con le ginocchia della mente inchine. " (" De l'âme et de l'esprit fléchissant les genoux. ")A PROPOS DE L'AUTEURGiacomo Girolamo Casanova (1725-1798) est un aventurier et auteur de la République de Venise. Il est connu comme celui dont le nom est entré dans le vocabulaire de la séduction. A la fin de sa vie, il s'établit à Dux en Bohème, pour se consacrer pleinement à l'écriture, et rédige pendant près de dix ans ses mémoires, en français. Son autobiographie est une des sources les plus denses et authentiques des us et coutumes de la société européenne du XVIIIe siècle. A PROPOS DE LA COLLECTIONRetrouvez les plus grands noms de la littérature érotique dans notre collection Grands classiques érotiques.Autrefois poussés à la clandestinité et relégués dans " l'Enfer des bibliothèques ", les auteurs de ces ouvres incontournables du genre sont aujourd'hui reconnus mondialement. Du Marquis de Sade à Alphonse Momas et ses multiples pseudonymes, en passant par le lyrique Alfred de Musset ou la féministe Renée Dunan, les Grands classiques érotiques proposent un catalogue complet et varié qui contentera tant les novices que les connaisseurs.

03/2018

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Religion

Manuel de droit canon. Conforme au code de 1917 et aux plus récentes décisions du Saint-Siège

Le droit canon. - I. Le mot droit (jus) désigne : subjectivement le pouvoir moral de faire, d'omettre ou de posséder quelque chose (p. ex., le droit de propriété) ; objectivement, d'abord ce qui est dû à quelqu'un, puis, en remontant de l'effet à la cause, la règle de droit, c'est-à-dire, la loi ou un ensemble de lois. En ce sens on dit : le droit romain, le droit français…, ou encore le droit civil, le droit administratif, le droit commercial, le droit pénal, etc. Le droit canonique (ou droit canon) est l'ensemble des lois ecclésiastiques actuellement en vigueur. Au sens strict, il ne contient que les lois portées par les détenteurs de la juridiction dans l'Église (pape, conciles, évêques… ). Il est légitime de l'entendre un peu plus largement, en y comprenant certaines prescriptions de la loi naturelle ou de la loi divine positive (p. ex., sur la constitution essentielle de l'Église ou l'institution des sacrements) que l'autorité ecclésiastique a insérées dans les recueils de ses règles disciplinaires et spécialement dans le Code. Le mot canon a une foule de significations, mais elles dérivent du sens primitif du grec canon, cordeau, règle matérielle ; de là le mot en vint à désigner une règle morale. Dès les conciles d'Ancyre (314) et de Nicée (325), les canones de l'Église étaient distingués des nomoi (lois) des empereurs et depuis le VIIIe siècle on appelle droit canonique l'ensemble des lois ecclésiastiques. - On sait que, dans bien des conciles (p. ex., ceux de Trente et du Vatican), certains canons contiennent non des règles disciplinaires mais des règles de foi, des définitions dogmatiques. On verra au cours de cet ouvrage que, si les textes législatifs constituent l'épine dorsale du droit canon, il faut, pour le bien connaître, tenir compte d'autres éléments (coutume, interprétation officielle ou doctrinale, privilèges, etc.). Consacrée par un long usage, l'expression droit canonique (ou canon) est la meilleure. Toutefois quelques expressions synonymes ne sont pas exclues : droit ecclésiastique, droit pontifical… Relations avec d'autres disciplines. - 1. Le droit canon suppose la connaissance des thèses essentielles de la philosophie (existence et nature de Dieu, spiritualité et immortalité de l'âme, libre-arbitre, morale naturelle… ) et de la théologie dogmatique (traités de l'Église et des sacrements… ). L'histoire de l'Église projette des lumières très appréciables sur bien des questions canoniques. Bien plus étroites sont les relations entre théologie morale et droit canon. Ces deux disciplines sont si complémentaires qu'il est pratiquement impossible de les séparer complètement : tous les traités de morale contiennent des matières canoniques (surtout les sacrements, les censures, les irrégularités, les temps sacrés… ) et tout ouvrage de droit canon examine quelles prescriptions obligent en conscience et dans quelle mesure. Toutefois la théologie morale a un objet plus primordial et plus étendu : plus primordial, puisqu'elle enseigne la loi divine (surtout naturelle) immuable et se place au point de vue de la conscience ; plus étendu, puisque, sans reprendre les explications détaillées des canonistes, elle précise la culpabilité plus ou moins grande devant Dieu, autant que nous en pouvons juger, de certaines infractions à des lois de l'Église. - On se plait parfois à opposer moralistes et canonistes : le canoniste serait le gardien rigide de la loi ; le moraliste, pitoyable à l'humaine faiblesse, s'efforcerait de l'élargir. N'exagérons rien. Les audaces trop grandes ou les sévérités excessives de quelques hommes ne justifient pas les généralisations. Il s'agit de deux tendances différentes, mais pas nécessairement opposées. On a vu plus d'une fois des canonistes enseigner brillamment la morale et il serait souhaitable que tout moraliste connût bien le droit canon et tout canoniste la morale : on y gagnerait une attitude plus parfaitement équilibrée, également à l'abri du rigorisme et du laxisme.

01/1967

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Esthétique

Nouvelle revue d'esthétique N° 32, 2023-2 : Bernard Teyssèdre

Bernard Teyssèdre est décédé le 29 décembre 2021 à l'âge de 91 ans. Son oeuvre, construite depuis le moment où il explora l'Italie en vespa pour alimenter ? L'Esthétique des arts plastiques du Haut Moyen Age italien"sa maîtrise sous la direction d'Etienne Souriau, est d'une ampleur et d'une variété telles qu'on a peine à s'en faire une idée un tant soit peu synthétique. Dès le commencement, dans les années 1949-1952, à L'Ecole Normale supérieure, il ouvrit rapidement une pluralité de portes par lesquelles il ne cessera de passer : celle de l'histoire de l'art, celle de l'esthétique et celle aussi de la philosophie dont il préparait alors l'agrégation. Teyssèdre navigua entre ces pôles et, pour ainsi dire, les jouant l'un avec ou contre l'autre, rêvant d'une esthétique attentive aux oeuvres, d'une histoire de l'art rompue à la pensée synthétique autant qu'à l'analyse des particularités (notamment de l'art contemporain) et d'une philosophie que l'art ne cesserait d'interroger profondément, au lieu d'en être un simple sujet de passage.

Titulaire de deux thèses publiées, l'une sur Roger de Piles et le débat du coloris, l'autre, sur l'art au Grand Siècle, il fut aussi commentateur de l'esthétique de Hegel, co-traducteur et interprète de l'iconologie panofskyenne, de Wölfflin, un moment séduit par la littérature (pour la série de récits concentrés de ? Romans-éclairs", Grasset, 1961, puis un essai-roman hors genre ? Foi de fol", Gallimard, 1969), critique d'art au ? Nouvel Obs ? et Professeur à l'Université Paris 1- Sorbonne de 1969 jusqu'à sa retraite en 1992. Quant à l'étendue et la variété remarquables de son oeuvre, on peut encore souligner sa fascination pour la vie " ? nvisible ? du précambrien autant que pour le diable ou les anges, pour ? L'Origine du monde ? de Courbet autant que pour le " ? outoir zutique ? de Rimbaud.

En outre, à l'Université Paris 1 Sorbonne, il joua un rôle institutionnel considérable : à partir des années 70, il fut l'un des principaux inspirateurs de l'installation ? 'un enseignement en arts plastiques fondé sur la pratique en interaction avec la théorie, à tous les étages de la formation, y compris la recherche. Il fut le premier à définir et à instaurer la sorte de thèse fondée sur une pratique artistique qu'on appelle aujourd'hui création-recherche (ou recherche-création).

Tout cela justifie que la ? Nouvelle Revue d'esthétique" lui consacre un dossier, à la manière de ceux naguère dédiés à Etienne Souriau, et Gérard Genette. Comme pour ces derniers, il comportera une rubrique " ? tudes ? avec des articles de recherche inédits, relatifs aux divers sujets abordés dans les livres de Bernard Teyssèdre, ainsi que des rubriques de documents, notamment biographiques et bibliographiques, et de témoignages, relatifs par exemple à son rôle historique dans le cadre universitaire. ? u1 : p>

02/2024

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Littérature française

Idées de la nuit. Suivi de L'Homme-Balai

Idées de la nuit poursuit, dans sa forme quasi nietzschéenne, faite de courts chapitres qui sont autant de poèmes en prose, le chemin ouvert par Traité des sirènes, paru il y a deux ans au Bruit du temps. Mais, si la musique n'est pas absente du présent livre, avec des chapitres comme "Le chant dehors" , ou "La cigale" , la réflexion porte ici, de manière plus générale, sur la poésie, le fait poétique de la lumière : comment cette "autre clarté" qui, chez Hölderlin est donnée au poète mais qui, pour Philippe Beck semble dans le tunnel de l'époque sans cesse rejetée, et devant donc être tout aussi inlassablement cherchée, gagnée sur l'obscurité. Tout le livre peut apparaître comme une suite de variations sur ce thème des relations du clair et de l'obscur, de la poésie et de la nuit ; en même temps qu'il propose une sorte de panorama de ce thème poético-philosophique, de Platon ("La fin de la caverne") aux romantiques ("Le goût pour la nuit, une bizarrerie") et jusqu'à Mandelstam ("Projet de suppression de la lune"). Mais il y a surtout, dans ces pages, une tentative de créer une sorte de nouvelle cosmogonie, une "phénoménologie spéculative frottée de réel" , pour reprendre les mots que lui-même utilise pour définir l'oeuvre de Merleau-Ponty. Et cela afin de décrire de manière absolument inédite le monde, l'homme, l'origine de la pensée, en n'hésitant pas à convoquer les "tournoiements intuitifs" de l'étonnant Jean-Pierre Brisset (dont on doit la redécouverte à l'Anthologie de l'humour noir d'André Breton). Philippe Beck affirme ici une fois de plus son refus de la nuit pure de l'idéalisme platonicien, sa volonté de décrire notre condition d'hommes reliés par les paroles et les pensées, et plaide pour le poète chercheur qui fait danser les idées ou joue le rôle de l'éclaireur, sachant que ce monde-ci détient tous les secrets qu'il exprime. L'homme-balai, le deuxième livre de ce recueil est comme une mise en application pratique de cette ambition proclamée. Dans ce Journal de "non confinement" (parce qu'il ne s'agit en rien d'un journal intime mais de paroles non-cloisonnées, toujours adressées à un autre que soi) tenu quotidiennement en 2020, Philippe Beck tente de comprendre le sens de l'expérience que fut ce "moment de césure évidente" et de contrainte sédentaire. Il analyse en philosophe et en poète les éléments qui ont été le propre de ces journées - les applaudissements aux soignants ("La parole des mains"), le masque ("La rareté masquée"), etc. Un tel regard, sans cesse nourri de citations merveilleusement appropriées, se révèle particulièrement réjouissant et éclairant lorsque, au coeur du livre, Beck pousse à son terme l'idée de Swift voyant dans ses contemporains affublés de perruque des hommes-balais et montre que l'homme pollueur d'aujourd'hui, soulevant lui-même une poussière qu'il peine à effacer, est en réalité à l'inverse du sympathique balai "rendant propre en étant sale lui-même et aidant à nourrir le feu" . Ou lorsque, moderne La Fontaine, il convoque pour décrire le monde dans lequel nous vivons "des animaux respectés et réels (non idéalisés), exactement comme aux fables" . Philippe Beck, tout au long de ces pages, ne cesse de mobiliser une armée de métaphores, seules armes selon lui capables de former "une santé, une force de découpe dans les douleurs, pour aider à montrer les yeux différents qui regardent des choses prochaines" . En réponse aux "extrêmophiles" , il ose opposer la bonté profonde du poète qui "crée de nouvelles images actives" .

03/2023

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Littérature française

Michel buhler helvetiquement votre

Michel Bühler "Hélvètiquement vôtre" La chanson de Michel Bühler est à l'opposé du tout-venant, de ces insipides ritournelles que pissent en continu les robinets du showbiz et des médias asservis. De ce qu'ils n'osent même plus qualifier de "chanson" mais de "son" . De ce son dont on nourrit les ânes. Cet Helvète puise son art dans d'autres origines, entre Commune et Communale. Commune comme ces soixante-et-onze jours d'utopie qui imaginèrent une démocratie directe, hélas furtive, vite réprimée ; commune comme un chant commun, mutualisé. Communale pour l'instit' qu'il fut, pour encore cette idée de partage, de transmission... Le chant de Bühler est, sinon de combat, au moins d'engagement. A l'évidence d'utilité publique. Il n'existe pas pour franchement distraire, encore que, mais pour témoigner, instruire, à la manière d'une gazette. Pour bien le situer, il nous faut tirer de l'oubli ce terme si beau d'éducation populaire qui, en des temps pas si lointains, allait de pair avec la chanson. Avant que celle-ci, par abandon autant que par vouloir, ne devienne majoritairement outil d'abrutissement... Ca fait cinquante ans que, avec un succès fluctuant digne des montagnes suisses, il chante les gens, la marche de ce monde qui ne sait vraiment que reculer, les méfaits de la mondialisation, la lutte des peuples à disposer d'eux-mêmes. Un chant toujours remis sur le métier, tissé d'humanité, frappé au coin du bon sens. Qui plus que jamais, se heurte au silence, à l'indifférence, et vit dans le maquis où il partage le sort des siens, d'autres artistes de sa trempe, de son caractère, rebelles et insoumis au seul fait qu'ils osent chanter quand rien ne les invite à le faire encore. Ce qui frappe au premier abord chez Bühler, c'est l'évocation des gens, des petites gens. Ceux qui, justement, n'ont jamais voix au chapitre. En cela, Michel Bühler est parent des François Béranger, Anne Sylvestre, Gilles Vigneault, Michèle Bernard et autres encore, qui font large place dans leurs vers à ces vies anonymes, aux espoirs et aux souffrances des peuples, aux lieux où ils vivent. Bühler est empathie, dont le chant rend justice aux déclassés, leur rend la dignité dont on les a spolié. Dans ses vers, les gens existent. Au moins, là, ils ne sont pas invisibles. Le chant de Bühler n'est pas "moderne" au sens des canons, des dogmes du moment : programmateurs et journaleux le raillent pour ça. Mais lui comme nous s'en contrefoutent : il est sans âge et survivra aux modes dérisoires et futiles, aux chanteurs qu'on produit en batterie, hors sol, aux chansons à l'obsolescence programmée, à peine chantée déjà oubliées. Il est d'un chant puissant qui existe depuis toujours et existera longtemps encore, qui trouvera toujours les sillons, les sentiers, les maquis s'il le faut, pour exister, pour instiller une différence qui, à ben l'écouter, n'est jamais qu'une expression de bon sens. Michel Bühler est de cette tradition de colporteurs de nouvelles, de chansons, de presqu

11/2022

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Littérature française

Correspondance avec le mur

- Oui, je n'ai pas écrit le livre de Jérusalem. C'est terrible de commencer une page, peut-être la première page d'un livre, en s'arrachant un aveu et c'est ce que j'ai décidé de faire, après m'avoir vue moi-même me fuir moi-même trop de fois. Je n'ai pas pu faire autrement Il y a un an quand j'arrêtai le livre d'Osnabrück j'étais juste en face du mur du Mont Moriah. J'étais devant le mur de la première page. J'ai peut-être senti, ai-je senti ?, que j'étais devant le mur, je n'en suis pas sûre. Déjà j'étais coupable ou j'allais l'être. Il n'y avait rien sur le mur blond, c'est moi qui ai eu la vision d'une tombe debout et qui ne me disait pas un mot. Il me semble que je me poussais moi-même à croire ce que je ne croyais pas, j'avais une âme d'âne. Une fois en Algérie ma mère n'a pas pu passer un pont, l'âne était prêt à mourir plutôt que de renoncer à son pont. Il y a une volonté plus grande que toutes nos volontés. Ce mur était aveuglant, je le lus, je contemplai son néant, c'était le portrait du futur. - J'ai constaté concernant le rôle de Jérusalem en réalité dans mon histoire, qu'il y a là dans l'air, circulant invisibles comme des radiations magnétiques, des volontés plus fortes que ma volonté de visiteuse. On y arrive trop tard, on vient après les dieux. En mai 2015, je sais que j'étais debout sur la très petite terrasse au faîte du Mont des Oliviers, avec à ma gauche un chameau debout tenu en laisse par un licol très serré, l'incarcéré du Mont des Oliviers, l'âme immobilisée pendant toutes les heures d'une journée, et toute la liberté concédée était logée dans les pattes que l'être avait le droit de soulever et de reposer sur le même carré de sol. Du haut du Mont des Oliviers sans oliviers, j'ai vu le monde, j'ai vu son Prisonnier, et j'ai maudit l'Humanité. Ca ne se voyait pas. Même sur la photo. J'ai enfermé mes larmes de pitié dans la page de garde du livre de Jérusalem. Dans la page voisine le tribunal siégeait. Tu pleures pour un chameau. - Elle pleure pour un chat. - Voilà quelqu'un qui pleure pour un mot. Le livre de Jérusalem avait déjà commencé, juste en face du mont Moriah. Moi, depuis le mont, je voyais Moïse regarder commencer la Terre Promise. Et devant lui il vit bouger avec une lenteur folle la vie d'un chameau enchaîné. - Dire qu'il y en a qui sont enterrés dieu-sait-quoi comme mon père, dit ma mère, Moïse comme mon père, à Baranovici, tout seul. Quel avenir ! C'est drôle l'homme, toute cette création, c'est vraiment incroyable ! dit ma mère - Baranovici, tu connais ? Un habitant, Michael Klein, juif mort pour l'Allemagne. Puis ma mère rit et se tait.

01/2017

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Littérature française

Plein ciel

Au coeur de ce nouveau roman de Cécile Wajsbrot, il y a un souvenir d'enfance, celui d'une disparition. Une femme se souvient d'une autre femme qui apparaissait parfois chez ses parents avant de s'en aller au loin pour de longues périodes, et dont ne lui reste qu'une ancienne photographie. A chacun de ses retours, elle apportait dans la vie de l'enfant un parfum d'aventure. Un jour, celle qui était à ses yeux la fée des voyages n'est plus revenue. Elle était hôtesse de l'air et avait (l'enfant ne le saura que beaucoup plus tard) perdu la vie dans une catastrophe aérienne en 1961, son avion s'étant écrasé dans le désert algérien. L'histoire de cette femme, depuis des années, obsède la narra- trice comme une blessure non refermée. Au point que cet accident est devenu, écrit-elle, "le point de fuite de son existence, ce qui lui donne son unité" , alors même qu'à chaque tentative qu'elle a faite pour s'approcher de ce mystère, elle a eu le sentiment d'aborder un domaine interdit. L'enquête qu'elle poursuit néanmoins est le fil rouge du livre et conduira la narratrice à découvrir que le crash de cet avion d'Air France, en Algérie, à cette date n'est peut-être pas un accident... Mais la beauté du roman, sa richesse, vient de ce que Cécile Wajsbrot parvient à rendre à cette histoire particulière, somme toute banale comme l'est toute mort accidentelle, la dimension d'une tragédie - ou plutôt d'un "opéra" contemporain. A l'origine du récit tragique, il y a cet appel, ce besoin de répondre à une question restée sans réponse que la romancière met en scène au début du livre, dans une très belle ouverture, en montrant que sa narratrice ne fait que reprendre l'antique rôle du coryphée qui se détache du choeur pour prendre la parole. Son rôle va être de redonner vie à ceux qui manquent, aux personnes disparues ou absentes. Mais ce personnage qui semble sorti de l'antiquité dirige bientôt ses pas vers l'escalator d'un centre d'art contempo- rain, à la suite d'une visiteuse qui découvre une installation vidéo de Hito Steyerl, annonçant le thème du roman : After the crash. Manière d'affirmer, comme Cécile Wajsbrot le fait dans ses essais, que "la littérature est semblable au tissage de Pénélope" et que, de son origine à nos jours, elle n'a cessé de faire et défaire la même toile sans fin. Et, tout au long du livre, ensuite - comme souvent chez elle - un choeur de voix invisibles va venir commenter et enrichir le récit principal d'un contrepoint de variations sur le thème du voyage aérien, du désir que, depuis Icare, les hommes ont toujours eu de voler, de leur goût pour le ciel et les oiseaux qui le peuplent, de la chute et du passage dans l'autre monde. Et c'est bien, en définitive, le mystère de la destinée humaine que la romancière aura, une fois de plus, sondé.

03/2024

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Sciences politiques

Démocratie, une anthologie

La démocratie est aussi vieille que la critique de la démocratie... mais, maintenant que la sacro-sainte démocratie s'est muée en religion (avec ses grands prêtres, ses dévots -? souvent bigots ? - et ses missionnaires, voire ses croisés, avec ses dogmes, ses superstitions et son catéchisme, avec ses rituels, ses prêches et ses excommunications), et donc en une redoutable "? machine de guerre ? " mentale à arrêter de penser (résister / rêver / inventer) (pour mieux continuer par ailleurs ses petites affaires sonnantes, trébuchantes et assujettissantes), il est urgent tout d'un coup de rappeler tout ce qui en fait un système politique consternant et une hallucination collective. Car le pire, en effet, serait de laisser le monopole de la critique de la démocratie aux activistes de la bêtise et du ressentiment, aux victimes de la haine de soi et de la peur de l'autre, aux amoureux de la mort et de la laideur volontaire. Car un démocrate qui n'ose pas s'ausculter dans le miroir est un allié objectif des ennemis déclarés de la démocratie. On retrouvera souvent le même type d'arguments, au long de cette petite anthologie. C'est que les défauts, les limites ou les contradictions de la démocratie sont constants, à travers l'Histoire et les continents, des présocratiques à Agamben, de Socrate au Comité invisible, d'Epicure à Sloterdijk, de la Terre de Feu à l'Alaska, du Kamtchatka au Pays de Galle. On lui reprochera toujours de préférer la stupidité des foules à la sagesse des élites, ou l'inverse. On pointera toujours sa corruption, soit par les élites, arrogantes et orgueilleuses, soit par la plèbe ignorante et cupide, guidée par les passions les plus viles, égoïsme, ressentiment, haine ou cupidité. On reprochera toujours aux premières de s'accaparer les richesses, comme l'instruction et la culture, ou de s'arroger l'apanage du savoir et du sensible, qui se partagent pourtant. On se plaindra toujours de l'ignorance et des bas instincts du peuple jaloux, envieux et violent, ou de sa complaisance obséquieuse envers ses propres oppresseurs. Les gens qui ne votent pas comme nous se trompent. Ils sont cons comme un ennemi qui croit que l'ennemi, c'est nous. Ca n'a pas d'importance ? : si la démocratie pouvait changer quelque chose, ça fait longtemps qu'on aurait supprimé les élections. Quand les détenteurs du pouvoir sont mécontents du peuple et de ses choix, il faut changer le peuple. Comme il est d'autant plus crédule et influençable qu'on le maintient dans l'ignorance et qu'on l'abrutit de travail, d'angoisses et de divertissements, c'est parfaitement possible. On aurait pu regrouper les citations par thèmes. On ne l'a pas fait. Dans nombre de ces extraits, on aurait tout aussi bien pu remplacer l'un par l'autre les termes "? peuple ? " et "? élites ? ", "? démocratie ? " et "? dictature ? ", ou n'importe quelle autre forme de gouvernement. On l'a fait, quelquefois, pour le plaisir de la démonstration. S'il est une chose qui nous est apparue nettement, au cours de ce long exercice de lecture et de copiste, c'est que ce qui triomphe sûrement, plèbe, peuple, élites ou bien despotes, intérêt collectif ou individuel, raison ou émotion, c'est la mauvaise foi. Il n'y en a pas moins chez les thuriféraires de la démocratie fétichisée que chez les zélateurs de l'élitisme despotique. Dans un tel contexte, la république et son président souverain apparaît, au mieux, comme un comble d'hypocrisie ? ; au pire, comme un compromis fangeux. Une politique trouve pourtant grâce à nos yeux, qui sait éviter les écueils de tous les systèmes et en conjuguer les vertus ? : la protodémocratie, politique du vide et de l'interruption, qu'on trouvera décrite dans "? Le Manifeste du Dégagisme ? " et "? Le Dégagisme du Manifeste ? ", des mêmes auteurs, aux éditions Maelström.

03/2024

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Théâtre

Les deux bourreaux ; Fando et Lis ; Lulù ; Ne donnez pas de pommes aux vaches ; Aristides ; De souffle et d'oubli

Dans ce volume, nous sommes heureux d'accueillir deux textes de Fernando Arrabal, notre auteur invité qu'on retrouvera dans un prochain volume et de vous faire découvrir des écritures et des thèmes à la fois neufs et militants pour lesquels le théâtre et la dérision sont le lieu idéal. La pièce autobiographique de Fernando Arrabal, les Deux Bourreaux nous plonge dans l'univers concentrationnaire contemporain. L'Etat policier s'est installé dans tous les domiciles. Françoise est sa complice ; elle a dénoncé son mari. Maurice, l'un des deux fils, l'accuse. L'élimination brutale du Père aliène le fils qui, privé de la force morale que lui donnait son identification à cette figure idéale, n'a plus le courage nécessaire pour devenir un adulte, un homme libre. A la fin, il rejoint son frère dans l'obéissance respectueuse de l'ordre, représenté par la mère, à qui il demande pardon. Fando et Lis contient l'absurde et la férocité que l'on retrouve dans l'oeuvre de Fernando Arrabal, l'un de nos plus grands auteurs contemporains. Lis, la femme à la voiture d'enfant et Fando, l'homme qui la conduit croisent sur la route trois hommes un peu étranges en route pour la même quête :Tai, ville extraordinaire, paradis terrestre resté inaccessible. Mais leur voyage les ramène toujours au même endroit ... En chemin, on découvre leur univers où se mêlent naïveté et cruauté, émerveillement et sadisme. En quête d'un monde meilleur, ils avancent entre rêve et cauchemar. Vision surréaliste de la nature humaine où l'innocence côtoie la violence, où la beauté émerge de la brutalité, ce spectacle est une incursion poétique dans l'inconscient. Lulù d'Ana Harcha Cortés nous vient du Chili et a été découverte par Le Théâtre des Chimères de Biarritz. " Elle" parle, déroule des moments de vie qu'elle organise comme des plages musicales. Sorte de mélopée sur laquelle se règlerait la respiration, ou qui la réglerait. Une grande économie de ponctuation confère de la fluidité à des récits originaux, inattendus, sans liens apparents les uns avec les autres. Et, une belle langue, directe et rythmée. Avec Ne donnez pas de pommes aux vaches de Bernard Da costa, on retrouve une écriture toujours corrosive et tendre dans deux " comi-drames " où un univers bousculé est ponctué par la présence d'un spectateur privilégié, le patron du café tabac ; il est un peu l'oeil de la " France profonde ", et assure, le lien entre les divers épisodes. Musique et lumière jouent aussi leur propre partition. Aristides de Béatrice Hammer se passe de nos jours : deux colocataires (Blanche, une romancière, et Arnaud, un comédien) traversent des difficultés dans leur métier. Arnaud suggère à Blanche de s'essayer à l'écriture dramatique, en concevant une pièce dans laquelle il jouerait le rôle d'Aristides de Sousa Mendes, ce consul du Portugal à Bordeaux qui a sauvé 35 000 personnes en désobéissant aux ordres de Salazar. Blanche, trouvant l'idée trop convenue, refuse. Un peu plus tard, un personnage habillé à l'ancienne, qui ressemble étrangement au Consul, lui rend visite. Il lui demande de l'aider à recouvrer la mémoire... De souffle et d'oubli de Sophie Thomas est la chronique d'une " après catastrophe " peut-être plus proche de nous qu'on ne le pense... Rodéric, seigneur déchu et colérique, sa maîtresse Zénobie et le fidèle Fernand, vivent reclus dans un domaine cerné par des ombres. Suspendu au souffle de l'invisible petite Lili, la fille de Rodéric, chacun tente de survivre dans ce no man's land, habité par le souvenir de jours plus fastes... Jusqu'à ce qu'un étranger se présente à la porte.

02/2010

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Littérature française (poches)

La fin de Bartleby

L'écrivain B. va mourir. Le narrateur, ami de l'écrivain B. , se rend à son chevet où l'attend, entre autres, l'étrangeté du personnage inventé en 1853 par l'américain Herman Melville et que tout le monde connaît, Bartleby, scribe de son état. On sait que l'énigmatique formule du copiste, "I would prefer not to" , continue de hanter les esprits longtemps après son invention, sa répétition à l'envi. Au-delà de sa fonction performative et quelle qu'en soit la traduction, elle est devenue pour certains, plus qu'un miroir, comme une raison d'être. Le tour a été réussi à la perfection, qui s'accompagne d'un curieux scotome, ou de l'oubli récurrent d'un détail pourtant hautement significatif : la fin de la nouvelle et le sort funeste de Bartleby qui semblait pourtant, si l'on veut bien l'examiner, inéluctablement arrimé à sa formule. Ce récit-essai qui tisse la lecture de Melville et la fin d'un fictif "écrivain de la disparition" , a pour objet, entre autres, la lecture, ce qu'il en reste, une réflexion sur l'écriture et ce qu'elle implique de renoncement au monde, la publication, l'édition, l'amitié littéraire, les bibliothèques, les écrivains, les rapports qu'ils entretiennent parfois entre eux, les rêves. Ce qui alors prend fin ici - pour renaître aussi de ses cendres ? - c'est une certaine époque de la littérature, idéale, avec ses "lecteurs pénétrants" , ses affinités électives, ses bibliothèques hantées, sa mystérieuse collection de paperolles, mais aussi son autotélisme, ses manies byzantines, ses gloires plus ou moins frelatées, ses calculs, ses impasses. On verra bien où ça nous mène. "J'y racontais comment j'avais appris à lire dans une version pour enfant de Moby Dick aux illustrations colorées d'éloquence. La grande baleine blanche, dans sa douceur monstrueuse, son horrible beauté avait bientôt représenté à mes yeux le processus secret de l'écriture sans que je sache vraiment en expliquer les raisons, en identifier les ressorts. Prisonnier du doute, il fallait pourtant que je parte à sa recherche sur le libre élément et que j'y exerce une patience insensée au milieu de ses sillons invisibles. Puis, au sortir d'une nuit étoilée d'écume, pailletée de doublons équatoriaux, je repérais enfin le souffle fabuleux du cachalot qui aspergeait le ciel de hiéroglyphes. Je devais alors poursuivre le grand corps laiteux à la surface d'un océan de formules dans lesquelles abondait du vertige noyé de vérités encore trop profondément immergées pour être lues. Le plus grand animal m'imposait d'attendre peut-être en pure perte qu'il rapportât aux yeux du monde dans le surgissement grandiose de son corps au-dessus d'une houle hyperbolique des messages compliqués, les énigmes inouïes des profondeurs. Mais je finirais, espérais-je, par faire gicler de sa tête en de longues phrases séminales un spermaceti inépuisable de sens. Je percerais ainsi dans ces vagues d'huile éjaculées les mystères de la création. Et pour ces apothéoses exégétiques, cet engendrement littéraire, je serais couronné de gloire et de goémon". Th. B. Thierry Bouchard : il a fondé et dirigé trente années durant la revue Théodore Balmoral et dirige aujourd'hui une collection éponyme aux éditions Fario. Il a publié : Tous ceux qui passent, Deyrolle, 1996, Où les emportes-tu ? , Deyrolle, 1997, Blue Bird's Corner, Fario, 2014.

02/2020

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Critique littéraire

Études anglaises - N°1/2016. The Pictures of Oscar Wilde

Joseph BRISTOW : Oscar Wilde, Ronald Gower, and the Shakespeare Monument Le mercredi 10 octobre 1888, Oscar Wilde figurait parmi les orateurs qui prononcèrent l'éloge de Sir Ronald Gower (1845-1916) lors de l'inauguration de l'imposant monument, érigé en l'honneur de Shakespeare à Stratford-upon-Avon et conçu par Gower. Cet événement, moment le plus connu où Wilde et Gower apparaissent ensemble en public, met en évidence un aspect important de l'intérêt porté par Wilde aux arts plastiques. Comme le note Roger Fry, qui le rencontra à Venise en 1891, l'aristocrate au physique avantageux est "le modèle de Lord Henry dans Dorian Gray" . Au début de sa carrière, Gower fut parfois menacé par des scandales liés à sa préférence sexuelle pour les hommes, les militaires en particulier. Il est intéressant de noter le contraste entre la manière dont Gower sut habilement se défendre contre les allégations diffamatoires à son encontre et le destin tragique de Wilde au cours des procès de 1895, suite auxquels l'écrivain fut condamné à purger une peine de prison de deux ans pour "outrage aux bonnes moeurs" . En 1898, Gower, qui avait mis un terme à sa carrière artistique après l'érection du monument en l'honneur de Shakespeare, adopta Frank Hird, son amant âgé de vingt-cinq ans. Michael Patrick GILLESPIE : The Branding of Oscar Wilde Bien qu'au cours de sa vie, Oscar Wilde ait été entouré par un certain nombre de personnages flamboyants, il se démarqua de ceux-ci en raison du grand talent dont il fit preuve quand il s'est agi de se forger une image de marque. Cette démarche va bien au-delà de la simple mise en scène de soi, et elle a de bien plus larges implications en termes de rapports à la société. C'est grâce à la création de cette image de marque que Wilde se distingua d'une génération d'excentriques, grâce à l'habileté dont il fit preuve dans l'élaboration d'une image publique singulière, image qui parvint à frapper les esprits tout en échappant aux foudres de la censure. Cette image était celle d'un artiste apparemment sans inhibition mais qui, en réalité, savait parfaitement susciter le frisson sans pour autant provoquer de la révulsion. Entre ses années d'étudiant à Oxford et les procès de 1895, la "marque Wilde" protégea sa vanité et accrut sa réputation, à travers sa capacité à changer de registre et à s'adapter à des environnements différents. Comprendre le fonctionnement de cette image de marque et l'engagement de Wilde envers cette dernière au gré des situations, permet d'offrir un aperçu de l'évolution de sa carrière d'écrivain et de saisir au mieux les perspectives changeantes dont les lecteurs doivent avoir conscience afin de comprendre son oeuvre. Anne-Florence GILLARD-ESTRADA : Oscar Wilde's Aesthetics in the Making : The Reviews of the Grosvenor Gallery exhibitions of 1877 and 1879 En 1877 et 1879, Wilde publie dans des périodiques irlandais des comptes rendus des première et troisième expositions de la Grosvenor Gallery. Ces textes constituent un premier commentaire de Wilde sur les développements qui touchaient les arts visuels depuis une quinzaine d'années environ. Wilde évoque dans ces comptes rendus les oeuvres d'artistes alors associés à "l'école classique" ou à l' "Esthétisme" (mouvements qui se recoupaient souvent). En outre, Wilde dialogue avec les commentateurs ou les critiques d'art qui étaient favorables à cette peinture. C'est dans ce terreau fertile que l'esthétique de Wilde prend forme, et cet article se propose en particulier d'explorer l'esthétique de l'ambiguïté et de l'ambivalence qui caractérise ces tableaux et qui apparaît comme centrale dans les deux comptes rendus de Wilde. Nicholas FRANKEL : Portraiture in Oscar Wilde's Fiction Wilde se rendit compte dès le début de sa carrière que le genre du portrait reposait sur une dichotomie entre la représentation des aspects intimes de la vie d'un individu d'une part et celle du personnage public, d'autre part. Mais peu après la criminalisation des "outrages aux bonnes moeurs" en 1885 et le début de sa liaison avec Robert Ross en 1886, il prit conscience du fait que le portrait constituait également une structure imaginaire propice à la représentation de vies caractérisées par des désirs illicites, désirs que l'on ne pouvait satisfaire que secrètement, loin du regard de la société. Cet article explore la dynamique entre portrait, artiste, sujet (ou "modèle" ) et spectateur dans quatre textes de fiction que Wilde a publiés à intervalles réguliers à la fin des années 1880. Il montre qu'au fil de ces quatre textes, Wilde développa une théorie nuancée de l'art du portrait comme incarnation visuelle du désir pour les hommes et entre hommes. Il suggère en conclusion que la nouvelle compréhension de l'art du portrait acquise par Wilde a pu à son tour influencer l'oeuvre de son ami Toulouse-Lautrec, dont le célèbre portrait à l'aquarelle de l'écrivain, réalisé en 1895, constitue une rupture radicale par rapport aux normes de l'époque. Emily EELLS : "La consolation des arts" : The Picture of Dorian Gray and Anglo-French Cultural Exchange Cet article analyse l'intertextualité française dans le roman de Wilde, afin de montrer comment il s'en est servi pour construire son récit et son cadre théorique. L'article met en évidence la dette de Wilde envers Gautier, Goncourt, Huysmans et Balzac : il va jusqu'à citer ce dernier sans le nommer. Cet article étudie l'inscription des mots français dans le texte de Wilde, qui sont mis en italiques comme pour signaler leur étrangeté. Ce procédé typographique participe de l'esthétisation des livres français, que Wilde présente comme des objets d'art. Le titre de cet article cite une phrase de Gautier enchâssée dans le texte de The Picture of Dorian Gray afin de suggérer comment les arts français (les belles lettres, mais aussi les arts mineurs de la parfumerie et de la dentelle) sont une source de consolation pour Dorian Gray. Une annotation en français dans un exemplaire du roman de Wilde semble y répondre, car le lecteur dit s'y trouver conforté dans son idéalisation de l'inutile. Shannon WELLS-LASSAGNE : Picturing Dorian Gray : Portrait of an Adaptation The Picture of Dorian Gray constitue un sujet de choix pour les cinéastes, et ce, pour de nombreuses raisons : il s'agit d'un conte moral captivant, doté d'une intrigue qui regorge de beauté, d'amour et d'action; c'est un exemple célèbre de texte victorien influencé en partie par le roman "gothique" . Le roman de Wilde a ainsi inspiré de nombreuses générations de cinéastes. Toutefois, cette oeuvre pose aux réalisateurs des problèmes particuliers, dont un est suggéré par le titre même de l'ouvrage : comment représenter le portrait extraordinaire de Dorian Gray à l'écran, tant dans sa beauté éclatante initiale que dans ses métamorphoses monstrueuses? Chacune des adaptations étudiées dans cet article semble proposer un portrait qui révèle les possibilités de la fiction dans un contexte audiovisuel ainsi que les propres aspirations des adaptateurs. Ainsi, les adaptations semblent considérer le portrait de la même manière que Hallward considère son sujet : "un style artistique entièrement neuf, une manière entièrement nouvelle" : une mise en abyme de l'adaptation elle-même. Marianne DRUGEON : Aestheticism on the Wildean Stage Cet article se propose d'étudier des représentations sur scène et adaptations filmiques de trois comédies de salon d'Oscar Wilde, L'Éventail de Lady Windermere, Un mari idéal et L'Importance d'être constant, lesquelles ont toutes en commun un décor, des costumes et des accessoires représentatifs de l'Esthétisme. On connaît en effet Wilde non seulement pour ses oeuvres littéraires mais également pour son engagement dans la défense de ce mouvement artistique, ce qui a conduit les metteurs en scène à créer de véritables vitrines présentant les costumes, le mobilier et les oeuvres d'art de l'époque. L'on remarque toutefois que ce qui n'est en général qu'accessoire et décor devient, dans l'adaptation des oeuvres de Wilde, de première importance : les costumes symbolisent des personnalités, les scènes se transforment en véritables tableaux, et les personnages sont définis non plus par leurs actes mais par leur apparence, devenant eux-mêmes des oeuvres d'art. Wilde lui-même, en affirmant que la vie imite l'art, recherchait sciemment l'artificialité et rejetait le naturalisme. Ainsi, ceux qui ont mis en scène ses pièces y ont bien souvent mêlé une représentation de ses convictions artistiques, et même une représentation de l'auteur lui-même, qui aimait se créer des masques et faire de sa vie un spectacle. Gilles COUDERC : Setting Oscar Wilde to Music Depuis sa première en version concert à Los Angeles en 2011, l'opéra de Gerald Barry The Importance of Being Earnest d'après la comédie d'Oscar Wilde a obtenu un grand succès. À ce jour, ce n'est que la plus récente des très nombreuses oeuvres musicales inspirées tant par les textes de Wilde que par sa vie. De son vivant, la capacité de Wilde à se mettre en scène, la création savamment orchestrée d'un personnage destiné au public, l'a maintenu sous le feu des projecteurs. Sa chute et le retentissement de ses procès ont suscité un intérêt toujours croissant pour l'homme et pour son oeuvre : l'adaptation de Salomé à l'opéra par Richard Strauss en 1905 a lancé la vogue des adaptions musicales des textes de Wilde, alors que le personnage de l'artiste a continué à inspirer opéras ou comédies musicales. Ce qui semble frappant, c'est, après la mort de l'écrivain, la confusion, dans l'imaginaire européen, entre l'homme et l'oeuvre. Cette étude se concentrera d'abord sur des oeuvres inspirées par le personnage de Wilde, Patience de Gilbert et Sullivan, puis l'opéra Oscar du compositeur américain Theodore Morrison, oeuvre dans laquelle Wilde est présenté comme héros et martyr d'un combat libertaire. Nous examinerons ensuite les oeuvres que sa Salomé a inspirées, les opéras de Strauss (1905) et de Mariotte (1908) ainsi que la production d'Ida Rubinstein (1908), trois oeuvres dans lesquelles, derrière les personnages mis en scène, se devine la figure de Wilde. Marc PORÉE : Ceci n'est pas un tube : de l'itérabilité dans The Burning Perch de Louis MacNeice Cet article procède d'un constat : tout au long de sa carrière poétique, Louis MacNeice aura multiplié les recours à diverses modalités de la répétition. Dans The Burning Perch, en particulier, il aura fait un usage insistant et déstabilisant du refrain. Une telle itérabilité est assurément consubstantielle au fonctionnement de la poésie; elle est aussi propre à l'économie "tubulaire" , telle que l'analyse Peter Szendy, et rappelle fortement le fonctionnement de la "ritournelle" , selon Deleuze et Guattari. C'est cette parenté, mais aussi cette différence, entre la chanson et le poème, qu'on explorera ici, avant de conclure, sans grande surprise, à l'irréductibilité du poétique.

06/2016

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Bouddhisme

Zen et physique quantique. Quand un moine rencontre le boson de Higgs

Comprendre la vacuité originelle de l'Univers par le regard croisé de la physique quantique et du bouddhisme zen. L'auteur est à la fois l'un des découvreurs du boson de Higgs au CERN de Genève et moine zen, directeur et enseignant du Dojo Zen de Genève en Suisse. " D'une manière générale, bien qu'il y ait quelques différences, je pense que la philosophie bouddhiste et la mécanique quantique peuvent se serrer la main sur leur vision du monde". - Le Dalaï-lama Menant à la fois une réflexion sur la physique quantique et corpusculaire et le bouddhisme zen, ce livre est un témoignage vivant que de telles visions du monde et de notre existence peuvent se rejoindre. En particulier, le mystère de la vacuité originelle de l'univers rejoint la notion centrale de sunyata située au coeur même du bouddhisme. Grâce à son expérience de vie fusionnant pratique du zen et physique, l'auteur apporte son regard à la fois sur la voie de la libération spirituelle, celle du bodhisattva, et sur la recherche d'une compréhension globale de notre univers physique. L'objet de cet ouvrage est simplement de suggérer que les deux approches peuvent être non contradictoires mais bien au contraire complémentaires, connaissance immédiate et intégrée et connaissance fondée sur l'observation extérieure et la logique. Souvent d'ailleurs les résultats des deux approches sont très similaires et conduisent à la même perception globale de notre univers. En ce sens les réunir, tout en connaissant leurs limites propres, l'une due à la vérification, l'autre due à l'approche fragmentaire, est en soi intéressant, chaque homme désirant au fond de lui-même intégrer les mondes scientifiques et disons, religieux. Revenons encore une fois sur les deux enseignements procurés par le zen et la physique. Dans le zen l'intuition de la vacuité, de l'impermanence de toutes choses ainsi que de leur interdépendance, alimentée par l'observation de la relation entre nos pensées conscientes et inconscientes, nous amène à concevoir plus facilement la non-existence de toute essence singulière des êtres et des choses. En place d'une réalité matérielle permanente, existentielle, d'un noumène, le zen met en avant le fait que la réalité n'est constituée que de formes, matérielles ou vivantes. Tout ne fait que prendre une forme particulière de la vacuité, du Tao, du Dharma qui constitue son origine première, sa source fondamentale. Aucun noumène, tout est vacuité. A partir de cette connaissance du zen, il est alors plus aisé d'envisager un univers peuplé à 70% d'énergie invisible, de champs énergétiques, de particules virtuelles, duquel naissent et disparaissent les constituants de la matière. Selon Einstein et la physique quantique, la matière n'est qu'une forme particulière de l'énergie. La matière existe bien sûr mais comme une forme localisée d'énergie au repos : E = mc2, où E est l'énergie, m la masse et c la vitesse de la lumière. L'observation du boson de Higgs vérifiant le mécanisme de Higgs a permis d'établir que l'origine de la masse et de la diversification des masses provient du couplage des quarks avec l'énergie contenue dans le champ de Higgs. Celui-ci n'est pas observable en lui-même, mais les formes qu'il prend, particules, bosons, matière, sont réelles. Elles naissent de ce fonds énergétique et y retournent. Ce mécanisme physique est semblable à celui décrit dans le Sutra du Coeur, l'Hannya Shingyo où les phénomènes (les particules) naissent de la vacuité (champ de Higgs) et retournent à la vacuité. Leur essence première est donc la vacuité elle-même, inobservable, inconcevable et hors du temps. On peut en déduire que le paradigme du zen, sa vision du monde, de la vacuité, des formes et des phénomènes, paradigme intuitif, se retrouve dans les dernières découvertes de la physique. Comprenez bien que les paragraphes suivants de ce livre ne prétendent aucunement composer un article scientifique, mais sont destinés à des gens qui s'intéressent sans à priori à la fois aux conceptions du zen et à son enseignement, et à la fois à la vision nouvelle apportée à notre connaissance du monde par la physique quantique et les constituants élémentaires pour la plupart éphémères de ce que nous appelons la matière.

10/2021

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Israël

Interdictions israélites. Recherches économico-juridiques sur l'interdiction de la propriété aux Israélites, Edition

L'ouvrage de Cattaneo, les Ricerche economiche sulle Interdizioni imposte dalla legge civile agli Israeliti, fut composé entre novembre 1835 et mars 1836 ; amputé d'un paragraphe par la censure, il parut en 1837. La traduction est due à Arnaud Clément, agrégé de philosophie, traducteur de La philosophie de Leopardi d'Adriano Tilgher (Editions Conférence, 2016) ; elle est précédée d'un essai introductif de Pierre Savy, maître de conférences en histoire du Moyen âge à l'université Gustave Eiffel et directeur des études pour le Moyen Age à l'Ecole française de Rome, dont les recherches portent sur l'histoire des communautés juives en Italie du Nord à la fin du Moyen Age, co-éditeur, avec A. Guetta de The Question of the Jewish Minority in Early Modern Italy (Viella, 2020) et avec Katell Berthelot d'une Histoire des Juifs. En voyage en 80 dates, de l'Antiquité à nos jours (Paris PUF, 2020). L'ouvrage contient également trois appendices : l'appendice I contient les pages vi-viii de la Préface aux Memorie di economia publica (Milan, 1860), pages qui relatent l'accueil réservé aux Interdizioni, dont l'argument se voit résumé ; l'appendice II donne la refonte du chap. des Interdictions des Israélites, etc. , rejeté par la censure ; enfin l'appendice III propose un texte de Giuseppe Mazzini qui fait état du " Différend entre Bâle-Campagne et la France ", reprenant le problème de Cattaneo du point de vue du rapport entre les deux législations. Quel est le point de départ de l'ouvrage de Cattaneo (voir la " Question de droit public ", § 5) ? L'achat par deux frères juifs, les frères Wahl, d'un terrain dans le canton de Bâle-Campagne avait été annulé par les autorités municipales au motif que la législation locale interdisait aux Israélites de posséder des terres, alors même que les frères Wahl avaient agi comme citoyens français et que la république suisse avait conclu des traités avec la France. Prenant la défense des Israélites et après avoir exposé " L'occasion de ce mémoire " (chap. I) et les " Origines des interdictions israélites " (chap. II), Cattaneo expose les effets économiques (chap. III) de l'interdiction de la propriété comme des autres interdictions (chap. IV), ainsi que les effets de l'interdiction de la propriété sur la population (chap. V) et sur la morale (chap. VI), puis achève d'exposer les " causes de la décadence des interdictions israélites " (chap. VII) avant de conclure. On ne résumera pas ici l'intégralité de l'argumentation ; on insistera plutôt sur quatre points. Convergence disciplinaire. - L'argumentation de Cattaneo se fonde essentiellement sur l'histoire (l'auteur remonte le fil des interdictions et en dresse une assez précise histoire), l'économie (avec l'exposition des conséquences économiques et sociales des interdictions des israélites, y compris au moyen de lois nettement formalisés, § 9, p. 88, par ex. , ou la comparaison des richesses marchandes et des richesses foncières, § 11, p. 97 sqq.) et le droit (puisqu'il s'agit de montrer comment les mentalités se sont traduites dans le droit). Voilà pourquoi de ce mémoire pourrait être tiré " un chapitre qui aurait valeur d'appendice aux habituels traités d'économie sociale " (p. 32). On ajoutera à ces disciplines la statistique (§ 25), établissant le " nombre probable des Israélites vivants ". Cet essai constitue donc un échantillon de l'entreprise, définie par Romagnosi, d'unification du droit et de l'économie " en soumettant les prétentions de l'intérêt au frein du droit, et les assertions du droit aux sanctions de l'intérêt " (p. 29-30) : il ne s'agit que de mener un " travail particulier ", et donc de " préparer " l'entreprise ainsi définie (p. 30). Le fondement de l'argumentation : l'intérêt - C'est la convergence de ces disciplines qui permet à Cattaneo de faire fond moins sur les principes abstraits ou transcendants de tolérance et d'humanité, principes jugés " inopportuns " (§ 7, p. 53), que sur l'intérêt de la société tout entière. Loin des généralités liées à la fraternité entre les hommes, Cattaneo mesure le profit que la communauté pourrait tirer d'une levée des interdictions des israélites : " Laissez faire l'Israélite, et il saura aussi nourrir la fécondité et l'aménité de la terre de son industrie qui a amassé des millions " (§7, p. 51) Comme l'énonce le dernier chapitre avant la conclusion, " Les conseils de la bonne économie auraient tout sauvé " (§ 32, p. 200) : il s'agit donc de traiter la question comme un " problème d'économie politique " (p. 201). Le paradoxe. - Le nerf de l'argumentation est éminemment paradoxal : Cattaneo fait voir la contradiction fondamentale des interdictions faites aux israélites : ce qui devait nuire à ces derniers est précisément ce qui les a fait prospérer alors que ce qui devait favoriser les non-Juifs les mit à la botte des Juifs : " en déclarant illicite l'intérêt légal et en terrorisant l'homme consciencieux de mettre son argent à profit, on favorisa sans le savoir l'afflux des infortunés à la porte de l'usurier " : les juifs " furent poussés vers les richesses mobilières qui devenaient de plus en plus fructueuses " (§ 8, p. 64 ; voir aussi § 17, p. 126 ; § 24, p. 157). La logique de ce paradoxe est déployée dans toute sa rigueur, notamment au moyen de comparaisons entre l'intérêt des biens mobiliers et immobiliers (chap. III, voir par ex. p. 84 sqq. ; p. 91), entre les taxes dont font l'objet les uns et les autres (§ 12, p. 109 sqq.), entre les litiges auxquels ils donnent lieu (§ 14), enfin entre les inconvénients moraux dont pâtit une jeunesse dorée peu habituée aux affaires et seulement soucieuses des rang (§ 15, p. 118) et les bénéfices moraux et sociaux qu'en tirent les juifs en terme de solidarité et de loyauté (§ 20). Non seulement les interdictions ont nui à l'économie, mais elles ont en réalité profité aux seuls Juifs. On voit la nécessité d'associer intérêt collectif et tolérance pour offrir aux Juifs les possibilités communes à tous les hommes. Un homme des Lumières. - On comprend dès lors que Cattaneo se montre ici un homme des Lumières (dans la lignée d'un Beccaria ou d'un Verri). D'abord parce que, l'appel à la levée des interdictions faites aux juifs de posséder du foncier ne revient pas tant à projeter une société idéale qu'à établir les conditions concrètes d'une société libérale dans laquelle le profit de chacun puisse contribuer au bonheur de tous. Ensuite, parce que le conflit entre les différents traités doit être tranché selon le critère de la liberté : " Il y a ici, entre les statuts antérieurs et les traités récents, un conflit [... ]. Dans un tel cas, c'est toujours l'alternative de la plus grande liberté qui doit prévaloir " (§ 6, p. 47). - Du point de vue économique, on remarquera la différence marquée entre capital et argent (p. 60, § 40), la promotion de l'agriculture (" mure des autres industries ", § 9, p. 81) qui le rapproche des physiocrates. - Le lecteur français ne pourra pas ne pas entendre Voltaire derrière les moqueries des " hobereaux à moitié sauvages " toisant les " hommes d'affaires de très grande importance sociale " (p. § 15, p. 115 ; voir Voltaire, Lettres philosophiques, lettre X). - Plus fondamentalement, on reconnaîtra à l'anthropologie de Cattaneo un caractère profondément historique : aucun trait n'est donné à un groupe humain par la nature, tout se construit par l'histoire et par les décisions économiques. D'où l'intérêt d'une reconstitution des raisons qui conduisirent les Juifs à s'adonner à l'usure (§ 8) ; d'où aussi les perspectives ouvertes sur l'avenir : " si l'on ne veut pas qu'il [le Juif] soit usurier, qu'on en fasse un propriétaire et notre honnête désir sera satisfait " (§ 28, p. 174), sur l'éducation : " L'art de l'usure n'est pas une affaire de sang, mais d'éducation et de position : et les juifs sont capables d'autres sortes de biens et d'autres sortes de maux " (p. 29, 176), sur l'honneur : " cet honneur devient inaccessible à ceux que la loi place dans un état permanent de dégradation " (p. 177, § 30 ; voir aussi p. 178). Parce que l'humanité est ouverte à l'histoire, aucune fatalité ne s'abat sur les hommes et le meilleur est à attendre d'une intégration des Juifs aux communautés politiques. On ne s'indignera donc pas de quelques lignes d'apparence sévère avec les Juifs (sur " l'amour du gain ", p. 77-79, sur le peu d'intérêt des juifs pour les sciences et les lettres, § 21) : ces lignes semblent bien destinées à accréditer au contraire un regard de forte compassion à l'égard des Juifs : Cattaneo souligne leur profonde et antique moralité (§ 8, p. 77), l'ampleur des massacres qui les frappèrent (§ 8, p. 71), les " exclusions ignominieuses " dont ils firent l'objet (§ 8, p. 77), les massacres " continus et quotidiens " (§ 27, p. 167) montrant par là que si ces vexations multiples purent un temps triompher de leur âme " généreuses par nature " (§ 21, p. 143 ; voir également p. 147-148 ; p. 181), ces dernières y trouvèrent grande occasion de vertu (voir l'émouvante p. 189, § 31). La sensibilité de Cattaneo au sort des Juifs frappe par son intensité, même si son expression demeure maîtrisée et intégrée à une argumentation de facture parfaitement classique. Insistons enfin sur l'intérêt de publier une traduction française de cet ouvrage de Cattaneo. D'abord, parce qu'il y va de l'histoire des juifs d'Europe. A un moment où l'Europe se constitue comme entité politique, il paraît indispensable de prendre en vue l'histoire des peuples à l'échelle du continent tout entier, et pour cela même de se tourner vers celui qui, le premier, usa de l'expression des " Etats-Unis d'Europe ". Une seconde raison tient au fait que Cattaneo avait avec la France un rapport tout à fait singulier, et que cet ouvrage même prend longuement appui sur la France (voir par ex. la mise au point sur l'" Etat civil des Israélites en France après 1791 ", § 3 ; ou l'histoire du décret impérial de mai 1806, § 31, p. 181 sqq.). C'est donc bien une figure capitale de l'Europe en voie de constitution qu'il s'agit de faire connaître au lectorat français. Dans une traduction élégante, ce beau livre - on sait la qualité matérielle des ouvrages publiés par les Editions Conférence - prend la suite du premier volume des oeuvres de Cattaneo, Inde. Chine. Mexique. Philosophie de l'histoire (tr. C. Carraud, 2021). Il illustre le combat magistral d'un intellectuel européen, de première importance bien que méconnu en France, contre les vexations infligées aux juifs : il est beau et hautement significatif que l'Europe ait pris conscience d'elle-même chez un auteur qui a pris au sort des communautés juives un intérêt aigu. Le lectorat du xxie siècle, juif comme non-juif, ne peut pas l'ignorer.

03/2023

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Actualité médiatique France

Hors de moi

Ce premier volume d'un journal-fleuve couvre une seule année de la vie de l'auteur, de juin 2016 à juin 2017, durant laquelle il fut notamment chroniqueur dans l'émission " On n'est pas couché ", année fertile en rencontres, observations et expériences. Personnalité controversée, Yann Moix est avant tout un des meilleurs écrivains d'aujourd'hui, salué comme tel par l'ensemble de la critique au-delà des polémiques qu'il peut susciter. C'est la raison de son entrée dans " La collection " Bouquins et de la publication de cette oeuvre inédite qui traverse tout son univers à la fois intime et public. On y découvrira le grand lecteur qu'il est, l'homme fou de musique, de littérature et de philosophie. L'amoureux dans ses relations avec les femmes de sa vie. L'observateur implacable de la comédie sociale, littéraire et médiatique à travers les multiples portraits qu'il brosse de ses confrères écrivains, des personnalités politiques et médiatiques qui ont eu la chance ou la malchance de croiser sa route. Un régal de tendresse pour ceux qu'il apprécie et de férocité pour ceux qu'il démasque sans merci. Au nom d'un souci contestant et absolu de sincérité brute, comme il l'explique dans ces extraits : Dimanche 10 juillet 2016 : Ecrire un journal exige non pas exactement de la paresse, mais un certain laisser-aller qui, finalement, oscille entre l'inconscience, le suicide et le courage. Se faire un destin, pourtant, est impossible si l'on n'est pas d'abord - pour un temps du moins - détesté, honni, proscrit, voué aux gémonies, marginalisé, " grillé ". Tous ceux qui ne passent pas par cette sale période ne font, au mieux, qu'une " carrière ". Plutôt crever que de faire carrière. Faire carrière : réussir dans la vie ; il s'agit de réussir sa vie. Traduction concrète : la soumettre à tous les dangers (intellectuels, physiques). Lundi 11 juillet 2016 : Tout journal intime est une burlesque lutte contre cet invisible titan qui nous pousse vers cet abyme : l'âge. L'âge est un cosmos que gouverne le ridicule. Il s'agira donc de s'y amuser ; j'ai bien fait de pleurer d'abord. Viennent les jours, doucement, où je n'aurai d'autre choix que de m'abandonner sans vergogne à ce que je crois que je suis - jusqu'à le devenir. Jeudi 11 août 2016 : Dans ce journal, je tiens à constater, quand je le relirai - si je le relis jamais ? les contradictions qu'il contient, et qui me disent mieux que ne le sont mes cohérences. Un être n'est jamais que le perpétuel contraire de ses décisions, la démission de ses certitudes, l'inverse de ses pensées, la dénégation de ses actes, le contre-exemple de sa morale. Je ne suis que le brouillon de ce que je crois que je suis. Je suis vivant, c'est-à-dire que je n'ai pas la personnalité que je m'assigne, encore celle qu'on m'accole. Je m'échappe sans arrêt de ce que je décide, je m'évade de ce que je prévois, je rature ce que j'échafaude, je m'enfuis de moi-même sans m'en rendre compte, et lorsque j'en suis conscient, au lieu que d'en avoir mauvaise conscience, il s'agirait plutôt que j'en jouisse. Echapper à soi : voilà le motif de l'existence. Je ne supporte pas celui qui est fidèle à ses principes, parce qu'une vie de fidélité n'est pas une vie, et qu'une vie de principes tutoie la mort. Fidélité aux êtres, oui. Aux choses ? Plutôt mourir. Mercredi 24 août 2016 : La profondeur de la vie fait craindre à chaque paragraphe d'un journal intime l'imminence de la mort. Lundi 5 septembre 2016 : Ce journal intime est un journal de guerre. Mercredi 26 octobre 2016 : Si je ne suis plus d'accord avec ce que j'ai déjà écrit, ne pas raturer, mais continuer, dire que je me suis trompé plus haut, ou me contredire parfaitement. Cela n'a aucune importance. On se contredit sans cesse dans la vie. Je suis capable de me contredire par écrit. C'est le cheminement qui compte, les errances et les erreurs évidemment. Je n'improvise pas ce que je pense, mais ne pense qu'en improvisant. Je ne voudrais pas tricher. Je laisse à ce journal sa fraîcheur spontanée. J'avance au coupe-coupe en même temps que le lecteur ; je veux dire : c'est le lecteur qui avance avec et en même temps que moi. Dans la jungle.

08/2023

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Ecrits sur l'art

Intensités. 12 artistes aujourd'hui

Ce livre, résultat de plusieurs années d'écriture, se présente sous la forme de trois sections, regroupant 12 artistes, précédées d'une introduction qui cherche un chemin théorique, en marge de toute esthétique prédéfinie. Face à la charge émotionnelle qui constitue l'affirmation originelle de l'oeuvre sur le corps du spectateur, Yannick Mercoyrol affirme en effet une forme de solidarité, devant toute image, entre pensée et sensation, de sorte que "l'image serait une sensation de (et pour) la pensée" . Si "toute image est aussi un mode spécifique de la pensée" , alors écrire devient comme une réponse au désir, en soi, suscité par l'oeuvre. L'auteur propose ainsi une "lecture" des oeuvres au motif que l'art contemporain exige toujours cet effort d'élucidation, par le spectateur, de ce qui est donné à voir, mais sans se référer exclusivement à une grille de lecture instituée, même si l'ombre portée de la phénoménologie semble encore sensible dans ces pages. L'effet physique de l'oeuvre est en effet ce qui fait advenir dans sa réflexion la notion centrale d'intensité, que l'auteur lie d'ailleurs étroitement aux polarités tangibles dans les oeuvres, et dont il va jusqu'à penser qu'elles définissent un principe de contradiction interne, un champ de forces opposées qui en garantissent la puissance de formulation, l'irréductibilité et, in fine, la portée à la fois sémantique et pulsionnelle. A rebours de l'esthétique de la modernité, il refuse toute équivalence du texte à l'image, pour lui préférer une ambivalence qui fait de l'écriture le lieu de l'expérience d'un "insavoir" , d'une "archéologie de la sensation" qui n'aboutirait ni à une vérité, ni à une unité de sens, encore moins à une connaissance stable. Mercoyrol revendique de parler à partir du silence de la sidération première face à l'oeuvre, mais sans verser dans une philosophie absconse, un manifeste de cénacle ou une littérature qui prendrait prétexte de l'artiste pour faire briller sa lyre. Dès lors, les 12 artistes dont il questionne l'intensité ne représentent pas un panorama, mais plutôt différents horizons de l'art d'aujourd'hui : "contre l'univocité d'une chapelle ou la subjectivité olympienne d'une "sensibilité" , les oeuvres éveillent des voix, parfois inaudibles, qui traversent notre corps". A l'opposé d'un livre monographique ou monosémique, il propose une traversée d'esthétiques et de genres très divers : peinture, dessin, sculpture, photographie, installation - les artistes étant eux-mêmes de notoriété et d'âges fort différents. En outre, l'abondance des illustrations permet de nouer de manière très étroite le texte et l'objet auquel il se rapporte, évitant autant le discours "hors sol" que le livre d'image. Néanmoins, il ordonne leur présence en 3 temps. Le premier, intitulé "Rages" , fait la part belle à une expressivité dont les récentes expositions, entre autres, de Baselitz ou Leroy attestent la prégnance dans l'univers contemporain. S'ouvrant avec le seul artiste disparu (Rebeyrolle), cette section rend hommage à son importance, sous-évaluée aujourd'hui, notamment dans sa volonté de concurrencer le réel par la peinture. Les deux chapitres suivants, consacrés à une artiste à la carrière déjà avancée (Arickx) et à un de ces Français exilés à Berlin (Bruère), présentent les facettes multiples de ces "expressionnisme" qui peuvent tout autant regarder du côté de Bacon que de Dodeigne ou des Allemands. Comme en contrepied, la deuxième section explore des univers du silence, des oeuvres qui semblent repliées sur leur question intérieure, parfois une forme de minimalisme, tout en ouvrant à une des questions centrales de l'art contemporain : la relation au vivant. L'arbre, dessiné, peint (Hollan) ou photographié (Bae Bien-U), la terre (Kurita), les objets du quotidien (Pozzo) forment le portrait éclaté d'une réalité presque invisible, bafouée, et pourtant éminemment résistante, à l'écriture aussi qui doit s'inventer, dans la patience de la contemplation, afin d'approcher l'être-là d'oeuvres assourdies et pénétrantes. On songe à Morandi bien sûr, mais aussi à bien des artistes aujourd'hui (Laib, Neu, Penone, etc.) dont le geste se pose dans des parages voisins. C'est, particulièrement dans cette section, que la pra-tique de description analytique de l'auteur manifeste sa nécessité et, aussi, sans doute, sa pertinence pour le lecteur, qui se rapproche parfois de sa propre sensation muette devant ces travaux. La dernière section, enfin, intitulée "Pla-cer/Déplacer" , parcourt des oeuvres plus distinctes encore, et pourtant rassemblées par ce souci, central aujourd'hui, du point de bascule, de jeu de retournement, de recyclage : que ce soit par la sculpture cinétique redéployée dans les dispositifs de Weil ou Shingu, dans la réinvention de l'anamorphose chez Rousse ou du dessin chez Zonder, ou encore dans la subtile et magistrale critique de l'image dans la peinture installée de Cognée, Yannick Mercoyrol montre comment ces univers agencent un regard, multiple et percutant, qui écrit un segment du monde d'aujourd'hui.

02/2023

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Poésie

La Déployée / Des pas sur Moà-neige

Autrice, artiste plasticienne et commissaire d'exposition indépendante, Juliette Fontaine a déjà publié plusieurs recueils de poèmes, dont (Avant l'hiver) des fenaisons, préfacé par Yves Bonnefoy aux éditions L'entretoise en 2003 et Tu dis, aux éditions Isabelle Sauvage en 2006. Tout en continuant sa pratique artistique (dessin, vidéo, expositions, commissariats et direction du Centre d'arts plastiques d'Aubervilliers depuis 2013), elle est récemment revenue à l'écriture de manière durable et intense : ce recueil en est le témoignage le plus saisissant. Tout y résonne d'une intériorité vibrante & retenue. Quelque chose y palpite continûment : au rythme d'un intime trouvant à s'éployer ? sans s'épancher. Les mots alors figurent & paysagent. L'autre tacitement apparaît. "J'écris dans les marges du monde", dit-elle ? simplement, doucement. Et à partir d'où, en effet ? écrire ? De quel pudique endroit ? en retrait, sans être retiré/e du monde ? trouver à voir et à dire l'en-vers des choses, la jointure [des] corps ; la soudure des eaux ? Membrure du réel invisible jusque-là. De ces marges seulement. Là : seule, seulement, à l'écart du bruit du monde et de sa rumeur, peut se former, se déployer ? tu as raison délie tous tes bras ? quelque chose comme un chant : mots-musique, mots-image qui naissent du silence, trouvent là leur source : leur ombre-source précisément. Marges du monde, donc : silence _ dévalement ; germoir qui s'ouvre. Là, seulement, s'ouvre la patine noire du ciel. Là, seulement, on entend du vent le prologue et la promesse, on voit les granits et les anges ? ceux-là même qui, nuit après nuit, la rêvent, elle : l'Enigmatique, Laylâ l'obscure ? Lilith ourdie des mains. A l'orée du monde, l'oreille se tend, écoute l'eau _ la pluie Schönberg, se surprend engouffrée par l'entrée d'une aube et la parole tonnante qui vient avec. Tonnerre en effet ! : la parole habituelle ? bavarde et affairée ? vidée de ce qu'elle désigne, pour être efficace, rapidement communiquer ? parole-affolée ? se fait à nouveau pleine et sereine : alentie ; fait à nouveau paraître ce qu'elle nomme ? parole héliotrope. Parole aux couleurs nombreuses, aux senteurs odorantes, entêtantes comme la plante ? il y a ce peuplement de l'ocre, cette nausée blanche du jour aussi, que l'on sent ; parole tournée, se tournant vers le soleil, l'ombre que ce dernier fait naître & varier ? alors on voit que l'ombre sur l'herbe recule lentement / et quitte le jardin ; on perçoit la densité brute des sous-bois. L'héliotrope, c'est aussi l'instrument qui de son miroir renvoie les rayons solaires et permet(tait) l'arpentage ; mais si la parole, dans le poème & par le poème, arpente marges du monde, s'y établit furtivement, en dresse comme une "cartographie", dans les paysages et figures qu'elle évoque et convoque à la fois ? oh rive rougie des yeux ; nudité insolente des bras ? pourtant il y a dérivation nouvelle / _ lumières courbes. Car l'arpentage est du corps d'abord : mesure de ce qui ne se mesure pas ? cette grande forme immense-ouverte plus tard d'infinis, désinscrits des routes ? dont on il faudra bien tenter ? oui ! : la danse nerveuse des mésanges ? de prendre la mesure ? l'ampleur et le rythme, le pouls aussi ? dans l'ajustement des pas : marchant, c'est cela, dans _ à tâtons. Alors dans l'écart du Dehors ? le pli des choses ? le repli du corps ? l'approche s'invente : le corps devient désir : va à l'autre ; et dans l'étreinte tentée/tentante, inverse la nomination devenue imprécation : donne-toi ton Nom / donne-toi ton Nom ? il y a le vocable blanc des mains / offerte à la saillie lunaire ? et maintenant le creuset visité du corps. Intensité sensible qui seule mesure l'être. "J'écris dans les marges du monde", dit-elle ? simplement, doucement. Et elle veut dire qu'il est possible de laisser trace de ses pas dans ces marges, que d'autres suivront. Le bruit du monde s'atténuant & sa rumeur diminuant, il y a ce bruissement retrouvé du silence où tout vit ténûment ? de cette animalité qui caractérise alors les eaux, limpides ou troubles. Alors : l'avenir des crues / l'érection des pistils ; les loups turbulents ; cette ligue des vents limeurs et la nuit partout est une mer de lait. Car écrire dans les marges du monde, ce n'est pas seulement écrire depuis ces dernières, mais, également, s'y frayant un chemin ? nichée contractile / géologie de notre langue ? ou le découvrant opportunément ? passage inattendu pour des pas dans la neige ? venir tracer dans cet espace signes et voies : lignes d'erre que d'autres à leur gré suivront par la souche effleurée des réminiscences. Et alors, forpaysés, on trouvera devant soi l'empreinte des doigts sur la roche ? tout un poème. "J'écris dans les marges du monde", dit-elle.

05/2023

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Critique littéraire

Études anglaises - N°2/2015. The British Contemporary Novel: 2008-2015

Catherine BERNARD Writing Capital, or, John Lanchester's Debt to Realism John Lanchester's fourth novel Capital (2012) offers a scathing, satirical denun- ciation of the excesses of capitalism, commodity fetishism and globalisation. The choral structure of the novel also allows the text to function as a world-novel, embracing as it does the criss-crossing lives of protagonists, each embodying a facet of a ramifed present. Reworking the basic principles of realistic representation, it appropriates the language of materialism to bring it to work paradoxically against the reifcation of affects and identity. With Capital, the "credit crunch" novel claims a different form of accountability that emerges through the very "stuff" of fiction. Le quatrième roman de John Lanchester, Capital (2012), offre un portrait satirique des excès du capitalisme, du fétichisme de la marchandise et de la globalisation. La structure chorale du roman transforme aussi le texte en roman-monde. Il embrasse les vies interdépendantes de protagonistes qui, chacun, incarnent une facette d'un présent densément ramifé. Retravaillant les principes de base du réalisme, le roman s'approprie le langage du matérialisme pour l'amener à oeuvrer contre la réifcation des affects et de l'identité. Avec Capital, le roman "de la crise" ("credit crunch fiction") revendique une forme de responsabilité qui s'incarne dans la matière même de la fiction. Vanessa GUIGNERY The Way We Live Now : Jonathan Coe's Re-evaluation of Political Satire This paper examines Jonathan Coe's oeuvre to discuss the evolution of his modes of portraying contemporary Britain. While Coe is well known for his satirical state-of- the-nation novels and for his commitment to political fiction, his recent essays reveal his misgivings about the effectiveness of political satire and Condition-of- England novels in the new millennium. This paper will navigate between Coe's fiction and non-fiction to examine the forms political engagement may take in the contemporary British novel. Cet article parcourt l'oeuvre de Jonathan Coe afin d'analyser l'évolution de ses modes de représentation de la Grande-Bretagne contemporaine. Coe est connu pour ses romans satiriques qui offrent un "état de la nation" et pour son attache- ment à la fiction politique, mais ses essais récents révèlent ses doutes quant à l'efficacité de la satire politique et de romans qui décrivent la condition de l'Angleterre à l'heure du nouveau millénaire. Cet article naviguera entre les écrits fictionnels et non-fictionnels de Coe pour envisager les formes que peut prendre l'engagement politique dans le roman britannique contemporain. Jean-Michel GANTEAU Vistas of the Humble : Jon McGregor's Fiction Jon McGregor's novels are characterised by a constant attention to detail and to the ordinary. They address the realities of individual, social and anthropological vul- nerability through narratives whose frail form countermands any attempt at abstraction and totalisation. In this article, I evoke the forms and modalities of vulnerability through the prism of the characters' and narratives' dependence on trauma, of systematic relationality and of attention to singularities. By throwing light on invisibilities and by giving voice to the inarticulate, McGregor writes ethical and political novels and uses the position of the precarious witness to contribute to the creation of some narrative democracy whose purpose, in Guillaume Le Blanc's terms, is to enlarge our sense of the common. Les romans de Jon McGregor se donnent pour tâche une attention permanente aux détails et à l'ordinaire. Ils s'ordonnent ainsi à l'évocation de la vulnérabilité indivi- duelle, sociale et anthropologique à travers des récits dont la forme vulnérable refuse toute totalisation. Les modalités et visages de la vulnérabilité sont ici évoqués à travers les motifs de la dépendance au trauma, de la mise en relation systématique, et de l'attention aux singularités. En mettant en lumière l'invisible et les invisibles, et en redonnant voix aux inaudibles, Jon McGregor fait oeuvre éthique et politique : il se pose en témoin précaire et contribue à l'élaboration d'une démocratie narrative dont le but est, selon les termes de Guillaume Le Blanc, de "créer du commun" . Peter CHILDS Food Chain : Predatory Links in the Novels of David Mitchell Humans are for David Mitchell predatory animals, whatever their civilized com- plexity. His novels contain numerous examples of individuals and groups who would oppress others in the name of logic, desire, morality, technology, survival or sheer force of will. That people prey on animals, resources and other human beings is only one dimension to Mitchell's fictional world but it is consistent and stark, from the cannibals that appear in Cloud Atlas and The Thousand Autumns of Jacob de Zoet through the warring factions in number9dream to the more fantasti- cal parasitic predators of Ghostwritten and The Bone Clocks. In this essay, I review aspects to this theme while analysing Mitchell's fictional world, which increasingly seems to be governed by interlinkages not only within narratives but metaleptically across them. David Mitchell considère les êtres humains comme des prédateurs, quel que soit leur degré de civilisation. Ses romans comportent de nombreux exemples d'individus et de groupes qui oppriment autrui en invoquant pour cela la logique, le désir, la morale, la technologie, l'instinct de survie ou leur volonté de puissance. Le fait que des hommes s'en prennent à des animaux, à des ressources naturelles ou à d'autres êtres humains n'est qu'un des aspects de l'univers fictionnel de Mitchell, mais il s'agit là d'une dimension structurante, à l'origine de la noirceur de l'oeuvre dans son ensemble - des cannibales de Cloud Atlas et The Thousand Autumns of Jacob de Zoet aux prédateurs parasites de type plus fantastique dans Ghostwritten et The Bone Clocks en passant par les factions en guerre dans number9dream. Cet article recense plusieurs composantes de ce motif récurrent dans la fiction de Mitchell, laquelle paraît de plus en plus fortement régie par des liens se tissant non seulement de manière interne aux différents récits, mais aussi de manière externe entre les récits eux-mêmes, sur un mode métaleptique. Marc POREE "What if ?" : The Speculative Turn of Will Self's Fiction "Et si ?" Révélant de lui-même les extravagantes hypothèses de travail dont il aime à procéder, Will Self est friand de spéculation. Une spéculation de type "métaphysique" , rejoignant celle des poètes de la première moitié du dix-septième siècle (cloués au pilori par Johnson avant que d'être réhabilités par T. S. Eliot). Une spéculation, dont le caractère cérébral s'accommode pourtant d'une volonté de faire que le roman s'incorpore et digère ce qui ne relève a priori pas de lui (les sciences, la pensée). Une spéculation, enfin, qui procède à rebours de l'évolution du lectorat et de la technologie, en oeuvrant à renouer avec un mécanisme de "sensibilité unifiée" que Self sait être anachronique, mais qui pose, à nouveaux frais, la question de la nécessaire difficulté en art. "What if ?" Never wary of unveiling the fantastical conceits which he is wont to proceed from, Will Self is (over)fond of speculation. A speculation that is meta- physical in kind, related to that implemented by the poets of the first half of the seventeeenth century (vilified by Johnson before being rehabilitated by T. S. Eliot). A speculation, the cerebral nature of which is found to be more than compatible with the processes of incorporation and digestion, at the hands of the novel, of all that is allegedly foreign to it (the sciences, thought). A speculation, lastly, bent on restoring a mechanism of "unified sensibility" which Self knows to be anachronis- tic, given the average reader's pursuits, but which offers a fresh take on the neces- sary difficulty of art. Camille MANFREDI Tales from the Pigeon-Hole : James Kelman's Migrant Voices This article offers to dwell on James Kelman's concerns with liminality and cultural identity by outlining the dynamics of displacement, dislocation and relocation in his recent novels You Have to be Careful in the Land of the Free (2004), Kieron Smith, Boy (2008) and Mo Said She Was Quirky (2012). While paying attention to Kelman's interest in the potential for subversion of the in-between, the article anal- yses the narrators' strategies of self-preservation and self-transformation with a view to better understand Kelman's own perception of the predicament of the contemporary Scottish writer in the postcolonial and global contexts. Cet article se propose d'éclairer le traitement des motifs de la liminalité et de l'identité culturelle à travers les dynamiques de décentrement, dislocation et délocalisa- tion dans les récents romans de James Kelman, You Have to be Careful in the Land of the Free (2004), Kieron Smith, Boy (2008) et Mo Said She Was Quirky (2012). En gardant à l'esprit l'intérêt de Kelman pour le potentiel subversif de l'entre-deux, cet article analyse les stratégies de préservation et de transformation de soi développées par les narrateurs. Elles permettront d'éclairer la tâche qui, selon Kelman, revient à l'auteur écossais contemporain dans le contexte à la fois du postcolonial et de nos sociétés mondialisées. Christian GUTLEBEN Whither Postmodernism ? Four Tentative Neo-Victorian Answers This paper sets out to examine in what ways recent neo-Victorian fiction illustrates twenty-first-century fiction's quest for new novelistic possibilities. On the basis of David Mitchell's Cloud Atlas (2004), Andrea Levy's The Long Song (2010), Michel Faber's The Crimson Petal and the White (2002) and Rosie Garland's The Palace of Curiosities (2013), it will be argued that neo-Victorianism broadens the scope of postmodernism by conceiving a cosmopoetics in which a referential and an aesthetic globalisation are combined, by imagining alternative forms of fictional historiography, by challenging various forms of orthodoxy and by questioning the limits of the human. Although it suggests evolutions and variations in relation to late twentieth-century historiographic metafiction, the novel of the new millennium nevertheless cannot be said to forsake postmodernism. Cet article se propose d'examiner dans quelle mesure la fiction néo-victorienne récente illustre la tentative de la fiction du vingt-et-unième siècle d'explorer de nouvelles possibilités romanesques. En prenant comme exemples Cloud Atlas de David Mitchell (2004), The Long Song d'Andrea Levy (2010), The Crimson Petal and the White de Michel Faber (2002) et The Palace of Curiosities de Rosie Garland (2013), nous soutiendrons que le néo-victorianisme élargit le spectre du postmodernisme en concevant une cosmopoétique où se mêlent référentialité et esthétique mondialisées, en imaginant d'autres formes d'historiographie fictionnelle, en remettant en cause diverses formes d'orthodoxie et en s'interrogeant sur les limites de l'humain. Bien que le roman du nouveau millénaire suggère des variations et des évolutions par rapport à la métafiction historiographique de la fin du vingtième siècle, on ne peut cependant pas considérer qu'il renonce au postmodernisme.

08/2015

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Sciences politiques

Victor Fay (1903-1991). Itinéraire d'un marxiste hétérodoxe au sein du mouvement ouvrier français

Malgré les antagonismes, qui le perturbent, le monde est un, bien que multiple et divers. Il faut s'en accommoder, sans jamais renoncer à l'améliorer, sans jamais désespérer de ses virtualités de progrès. Et en attendant ces progrès souhaitables mais nullement certains, il faut le prendre tel qu'il est avec ses forces et ses faiblesses. Inconnu du grand public, même au sein du milieu universitaire, Ladislas Faygenbaum dit Victor Fay, d'origine polonaise mais naturalisé français, est pour beaucoup de militants et d'historiens du mouvement ouvrier une "légende" . Armand Ajzenberg, éditeur, journaliste et ancien élève de Victor Fay fait de ce dernier un portrait éloquent au soir de sa vie : Imaginez la perplexité, et la curiosité, d'un modeste militant à l'idée de rencontrer une légende [... ] avoir été l'un des fondateurs des Jeunesses Communistes en Pologne dans les années vingt, s'être expatrié en 1925 pour échapper à la prison et devenir, en France et en 1929, responsable de la formation des cadres du PCF, chroniquer à L'Humanité et collaborer avec d'autres publications communistes ... Avoir été l'un des dirigeants actifs lors des grèves du Nord, y découvrir une jeune fille courageuse et combative dénommée Jeanne Vermeersch, et plus tard, être l'agent innocent de sa rencontre avec Maurice Thorez... Avoir formé politiquement une certaine Danielle Casanova mais aussi un certain Jean-Pierre Timbaud ... Avoir découvert, encore, un horticulteur hors du commun : Waldeck Rochet, cela relève de l'histoire et déjà de la légende . Ce portait élogieux témoigne de la sympathie et de l'admiration que suscite Victor Fay, et de l'image que certains de ses contemporains se font du personnage. Cette "légende" du communisme français est aussi un opposant qui participe, au milieu des années 1930, avec André Ferrat et Georges Kagan, à la revue d'opposition Que faire ? , quitte le Parti communiste en 1936, au moment du premier procès de Moscou, pour adhérer à la Section française de l'Internationale ouvrière (SFIO) l'année suivante. On le retrouve ensuite résistant pendant la Seconde Guerre mondiale, entre Marseille, Toulouse et le Chambon-sur-Lignon en Haute-Loire, rédacteur en chef du journal clandestin L'Appel de la Haute-Loire puis de Lyon Libre, organe du Mouvement de libération nationale, dirigé par son ami André Ferrat. Journaliste politique de profession, il assure jusqu'en 1950 la rédaction de Combat, journal fondé pendant la guerre par des résistants, puis travaille, à partir de 1952, pour la Radiotélévision française (RTF), au service des émissions vers l'étranger. Critique de la politique coloniale de la SFIO, il fait partie de ce courant minoritaire qui fait scission en 1958 pour fonder le Parti socialiste autonome (PSA) qui devient, en 1960, le Parti socialiste unifié (PSU). Engagé dans la construction de ce nouveau parti, il entre en 1964 dans son Bureau national. Après l'arrivée de Charles de Gaulle au pouvoir, il est rapidement interdit d'antenne à la RTF : ses propos dérangeaient. Il demande son renvoi et l'obtient en 1967. De 1968 à 1980, à la retraite, il continue d'écrire et de militer au sein du PSU jusqu'à l'élection de François Mitterrand, en 1981 : il fait alors le choix de rejoindre le nouveau Parti socialiste. Il s'éteint le 29 juin 1991 à Créteil. Victor Fay n'est pas un "désenchanté4" du communisme. Le prologue de ses mémoires, rédigé en 1968, se veut clair : "nul regret, nul désenchantement" , simplement la conscience que le socialisme "tel qu'il est" a détourné les travailleurs de la lutte, que le nom de socialisme a été "galvaudé" par ceux qui s'en réclament. Sa volonté clairement affirmée de poursuivre la lutte pour un socialisme peut être "utopique" mais peurteur d'un "avenir meilleur" , le distingue ainsi de cette frange de la génération de 1917, emportée par le "souffle d'Octobre6" , profondément troublée par l'évolution du régime soviétique après la mort de Lénine, évincée dès les années 1920 au profit d'une génération plus jeune et séduite par la radicalité politique du PCF bolchévisé. Au coeur même de la guerre froide, Fay refuse obstinément "la fausse alternative entre la démocratie bourgeoise et le monolithisme stalinien" pour rechercher, infatigablement, les moyens d'accès à la démocratie directe ouvrière. Victor Fay est un personnage si ce n'est emblématique du moins représentatif des aspirations et des vicissitudes de la gauche française au XXe siècle, à l'époque où "la gauche et le socialisme se vivaient comme des avenirs nécessaires et bientôt victorieux" . Il fait l'expérience des différents conflits qui divisent le mouvement ouvrier et social français et l'empêchent tout le long du siècle de former un bloc uni contre la droite. L'étude de son itinéraire, qui s'inscrit dans l'histoire de la gauche socialiste française, du mouvement communiste international et de ses dissidences, constitue un "indispensable complément de l'analyse des structures sociales et des comportements collectifs" du mouvement ouvrier et social français. L'objectif cet ouvrage, tiré de mon mémoire de Master, n'est pas de faire une biographie de Victor Fay au sens strict mais de rendre compte de la construction des différentes cultures politiques qui composent la gauche française du siècle dernier à travers l'itinéraire politique d'un militant ayant fait successivement l'expérience du Parti communiste, de la SFIO, du PSU et de leurs oppositions. En ce sens, la biographie est capable de montrer la signification historique générale d'une vie individuelle. Il s'agit également de valoriser le fonds d'archives déposé par sa fille à La contemporaine (ex BDIC) qui conserve essentiellement les écrits, publiés ou non, de Fay, des journaux et des revues militantes sur une période allant de 1936 jusqu'aux années 198010. Ce fonds ne comprend que peu de sources concernant les relations familiales et amicales de Fay et les témoignages ou la correspondance datant d'avant 1945 sont rares. La grande majorité de ses archives a été saisie par les nazis à son domicile en 194011. En raison de ces lacunes archivistiques, auxquelles ne remédie que partiellement l'autobiographie de Fay, sa vie privée pendant l'entre-deux-guerres demeure difficilement accessible à l'historien. Son itinéraire de militant communiste, au sein des Jeunesses communistes en Pologne puis à la SFIC en France de 1925 à 1936, est mieux connu, mais les sources demeurent lacunaires. Il est difficile d'inventorier ses écrits durant cette période parce qu'il écrivait sous divers pseudonymes utilisés par d'autres militants. Il figurait sur le fichier "Antifa" sur la base duquel les Allemands ont opéré les premières perquisitions. Créé en 1938, ce fichier recensait des réfugiés fuyant l'Allemagne nazie et des militants antifascistes de différentes nationalités13. Le PCF a par ailleurs cherché à reléguer dans l'ombre cet opposant communiste : sa rupture n'a jamais été officialisée, le parti ayant préféré nier son existence. Ainsi explique-t-il dans ses mémoires : "Du jour au lendemain, mon nom disparut du parti. Je n'existais plus, je n'avais jamais existé". En effet son nom n'apparaît nulle part dans les archives du PCF.

10/2023

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Poésie

Narcisse. Précédé du Dialogue du Prince et de la Chimère

Entre lyrisme, mysticisme et symbolisme : le "Narcisse" de Joachim GASQUET (1873-1921). Profondément philhellénistes ou cultivés, enclins aux questionnements de leurs époques, à la place que l'homme revêt sur terre ou encore habités par une étrange spiritualité, quelques grands artistes et écrivains ont revisité le cas Narcisse, mi-homme, mi-fou, mortel et divin, amoureux d'une image... Joachim Gasquet va lui aussi se pencher sur ce miroir, ce symbole : "ce mince monde" tel qu'il évoque à la fois la porte de la connaissance et le seuil d'un ailleurs, se focaliser sur l'hypothèse d'une Unité telle qu'elle n'existe qu'en nous ou plutôt dans l'instant suspendu de la révélation. Motivé par une lutte intérieure cherchant à réconcilier la réflexion et l'action et par celle extérieure offrant une controverse au symbolisme de salons, sa critique dérive en un chant gorgé de symboles innés, une cascade remplie d'échos, un hymne naturel et grandiose offert à la polyphonie des Idées. L'onde limpide renvoie l'image du corps mais aussi du microcosme intérieur en parfaite harmonie avec la nature, réfléchit le macrocosme et suggère la perfection qui les relie ; mais cette ressemblance (cet "à l'image du Tout") est fugace, insaisissable, l'effleurer suffit à la brouiller. Qu'en est-il alors de la vie, de la durée et de ce à quoi Narcisse aspire ? L'intérêt que l'auteur porte très tôt, aux Maladies de l'Imagination et sa découverte des cahiers verts d'un jeune aixois interné, vont donner légitimité à son lyrisme, lui permettre d'abuser des comparaisons, autoriser l'ambiguïté et provoquer la métaphore. Le langage devient passage, l'esprit de l'homme un verre transparent à mi-chemin entre la nature et le divin, et le "comme" s'efface au profit d'un déplacement, d'un monde vers un autre monde. L'imagination est en liberté, elle plonge, elle saute, elle défie le temps, elle enjambe les espaces brimés et confie ses résonances mystérieuses susceptibles d'interprétations multiples, elle métamorphose les préjugés. Est-il donc folie de se complaire en l'Amour puisqu'il est impossible ; folie de se réfugier en la Beauté perçue qu'on ne peut embrasser ; folie de s'acharner à maintenir la grâce en la Nature humaine ; folie de tenter une fusion entre panthéisme et monothéisme ; folie de recevoir autant d'informations simultanées, précises qu'on ne peut que parcimonieusement traduire ; folie de désirer le bonheur comme on rêve d'une femme, de le chercher à toutes les sources d'où pourra sourdre l'âme, la dulcinée, la quête... ? Joachim Gasquet appartient à ce Grand XXe siècle ébranlé politiquement et socialement, qui sort des guerres napoléoniennes, accumule les changements de régimes et se reconnaît dans un réalisme inspiré par les découvertes scientifiques ; il s'agit de peindre la société telle qu'elle est, entre cupidité et misère sociale, hérédité et modernité...Tout un programme contre lequel les poètes vont s'insurger... Entre 1891 et 1906, divers courants tentent de prononcer la mort du symbolisme et notamment celui que Mallarmé incarnait. L'Ecole romane, l'Ecole française, l'humanisme, le Naturisme, les Toulousains... tous participent finalement à l'essor d'une nouvelle vision, à cette unité possible entre l'homme et le monde, à cette harmonie musicale réconciliant le passé et l'avenir, la vérité et la beauté, les idéaux et leurs formes, le symbole et la vie. Le langage innove en rapprochant l'Antiquité, la nature, l'ésotérisme et les mystères, les légendes et les mythes, les sensations humaines et leurs correspondances qui deviennent synesthésie ! Quant au poète, il se fait mage ou chaman toujours investi de sa haute fonction visionnaire mais au service des Idées primordiales et du questionnement métaphysique (l'existence, l'essence, l'âme, l'origine et la fin...), il suggère et propose une énigme, il évoque les analogies infinies qui se tissent cachées entre le monde sensible et le Sens (entendu comme vérité ineffable -réalité de l'insensé), il dévoile alors une nouvelle langue ! Le romantisme allemand, avec Goethe ou le mysticisme de Novalis inspire ce possible contre-pied qui va justifier et conforter l'émergence du symbolisme de la fin du XIXe. Ce sera Maeterlinck et non Gide qui délivrera une traduction de Friedrich von Hardenberg (1772-1801) et qui inspirera le surréalisme. Tous se lisent et se côtoient, les salons vont bon train, la poésie classique est morte et le langage de la folie revendique le droit d'être plus "vrai" que le réalisme, d'être au plus juste s'il devient intuitif et ancré dans l'archaïque, le primitif, le légendaire, le mythologique, le passé, le rêve... Les "Narcisse" de Paul Valéry et Joachim Gasquet émanent de ce contexte, décliné en variations de 1891 à 1941 pour l'un, écrit et retouché de 1893 à 1921 pour l'autre. Tous deux symbolistes et disciples de Mallarmé, pétris par des Maîtres proches (André Gide ou Paul Cézanne), ou d'entourage (Edouard Manet et Frédéric Mistral), leurs destins de provinciaux se séparent pourtant dès 1894. Tandis que Valéry monte à Paris, délaisse la poésie et reste donc à l'écart des querelles (jusqu'à la parution de "La jeune Parque" en 1917), Gasquet lui, participe aux tentatives littéraires disparates de l'époque. Directement mêlé aux ascensions de groupes et aux dissensions, impliqué dans la direction de Revues, son syncrétisme poétique, philosophique et religieux ne sera pas compris qui englobe toutes ses lectures et toutes ses amitiés. Puis vient l'heure de la guerre également et Joachim lui seul, part et reviendra blessé, hors NRF, transformé encore et dédaigné ; maudit ? laissant à sa mort les fragments retouchés d'un Narcisse somptueux, pétales rassemblés et publiés à titre posthume par Edmond Jaloux en 1931. Le symbolisme réclame un "je" chercheur qui tente d'évoquer l'indicible, l'invisible, le voilé, l'étrangeté, l'indéfini et l'infini... il crée des ponts, rapproche des termes qui appellent des associations inédites, provoquent des connexions et convoquent l'irréalisé ! C'est ce que le poète et critique d'art aixois (ami de Paul Cézanne) nous propose en effet dans cette oeuvre lyrique délibérément rédigée en prose. Alors ce symbolisme tient au coeur plus qu'aux recettes de quelconques gloires, il est à NOUS TOUS, et s'éveille à la lecture d'oeuvres mystérieuses tel que le Narcisse de Joachim GASQUET, fussent-elles oubliées ou reconnues, anciennes ou à venir... Clarisse FRONTIN Publication web Apologie du poète Printemps des poètes 2016

12/2014

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Poésie

Les litanies de la Madone & autres poèmes spirituels. Edition bilingue français-italien

En ce temps-là, à la fin de xixe siècle, pour l'atteindre, le voyageur descendait à Aquilée, avant d'emprunter de lourds landaus et le vaporino, dans les sinuosités d'un cours d'eau et de canaux à travers la lagune. Alors, au terme d'un itinéraire en soi, isolé du monde, hors du temps et voilé jusqu'au dernier instant, se découvrait l'île de Grado, lambeau de terre et de sable, balayé par les vents, sous le soleil et sur le merveilleux miroir azuré de la mer et du ciel. Là, sur cette île, fille de la jadis puissante Aquilée et mère de Venise, où la vie, depuis des siècles, a ralenti, jusqu'à s'arrêter presque, et où quelques pêcheurs habitent de modestes maisons ou des cabanes de paille ou de roseaux sur des saillies de boues argileuses, les casoni, au milieu de ces visages sur lesquels le dur labeur a gravé rides et sillons de fatigue, d'êtres qui savent à peine lire, d'humbles et d'humiliés à la foi solide, ardente, naît le poète Biagio Marin (1891-1985). De 1912 à sa mort, son oeuvre ne cessera de chanter ce monde. Lumière et voix, luse et vose, de même que la liturgie, les hymnes, les psaumes, écho des patriarches anciens, les chants d'amour et de louange, la récitation du rosaire et les rites ancestraux, parmi lesquels la procession à Barbana, le perdón, fascinent Marin. Ses vers, à de rares exceptions, sont en dialecte de Grado (gradese), un dialecte séculaire, au développement comme à l'arrêt, qui n'est plus le frioulan et pas encore le vénitien. Les consonnes, liquides et douces, y transforment le t italien en d (duto pour tutto), le c en s (baso pour bacio, ou crose pour croce), ou le v en b (bose ou vose pour voce)... Les douleurs se disent duluri et non dolori ; le nid : nío et non nido ; les vents : vinti et non venti... Et de longues voyelles tendent à suspendre tout écoulement. En ce dialecte se donnent les thèmes de Marin : la mer, matricielle (mar, la mer ; mare, la mère), et les bancs de sable (dossi), le soleil (sol) et les nuages (nuòlo), parfois orageux (nenbo), la lumière (luse) et quelques couleurs, où resplendissent le bleu intense de l'azur (selesto ou asuro), le turquin, le rouge, l'or et le blanc, et qui rarement se mélangent, mais sont, d'après Pier Paolo Pasolini, " utilisées "pures", chacune dans sa zone, pour constituer un paysage absolu et complètement poétisé ". Ajoutons-y les bateaux, trabacs, bragozzi et vaporini, quelques gemmes et autant de fleurs, au nombre desquelles la rose, sur le rosier ou dans la roseraie (rosèr), et l'on aura une idée presque complète de ce qui fait le socle de la plupart des poèmes. Certes, Marin a traversé le xxe siècle, en a connu quantité de mouvements, de courants et d'avant-gardes artistiques, en a vécu les barbaries et en a consigné, dans ses carnets, bien des sollicitations, au point selon Carlo Bo de s'identifier avec son époque, mais son oeuvre est restée identique à elle-même, insulaire, d'un seul bloc, de son commencement à sa fin. Immobile, immuable est cette oeuvre, par ses thèmes, brodant sur les mêmes paysages et les mêmes valeurs, sur d'identiques motifs, aussi ténus que les avancées du temps, mais aussi par ses mots invariants, quelques centaines tout au plus, moins d'un millier assurément, et dans sa forme, célébration du quatrain, ce paradigme de l'expression populaire. Une circularité, une permanence en résultent. Aussi la litanie est-elle leur genre, en miroir des siècles et des années aussi inconsistants, interminables, que les heures : le " non-temps " de la mer, du ciel et de la lagune. La langue, anoblie, semble défaire les liens du poème avec l'Histoire, la culture et la vie sociale, mais celles-ci font puissamment retour par le dialecte et par les rites des gens de l'île. " Profonds, les thèmes qui parcourent la poésie de Marin, d'une valeur éternelle pour tous les hommes : la fraîcheur de la nature toujours résurgente, l'affectivité de ses différentes intensités et nuances, le scintillement de l'"occasion" en laquelle semble se manifester un simple prodige et pourtant des plus rares, le ciel et la mer comme réalité, métaphores d'une immanence divine qui se dépasse en halos de transcendance, le murmure des voix de la quotidienneté perçu comme une constante et imperceptible musique ", commente Andrea Zanzotto. Dès lors, le principe de cette oeuvre poétique est le dénuement, l'abrégé des contenus du monde, la réduction de la variété de celui-ci à quelques signes essentiels : rares éléments ou mots, à l'identique, du moins en apparence, comme dans une cérémonie à vif. Le vocabulaire pauvre, choisi, ferait même de Marin, selon Pasolini, un poète pétrarquien, et non dantesque, élargissant dans le champ sémantique et syntaxique, par des combinaisons toujours renouvelées, ce qu'il restreint dans le champ lexical. D'où une conciliation des contraires, et une si chrétienne coïncidence : la pauvreté promet la richesse, l'agrandissement immense, au point de faire de Grado un modèle de l'univers entier, d'une totalité achevée et parfaite. Car Grado et le monde, c'est tout un. Une telle distension imite, " par essentialité " commente encore Pier Paolo Pasolini, le sentiment religieux. En 1949, Marin publie la première édition des Litanies de la Madone, un recueil composé à partir de 1936, et qu'il n'avait pas souhaité rendre public auparavant, pour éviter toute méprise sur sa " laïcité " - à l'instar du Rossignol de l'église catholique de Pasolini. C'est un chant de louange à la mère, la sienne, bien sûr, du nom de Marie, et qui mourut jeune de tuberculose, et les autres qui se sont brûlées au service de Dieu et de leurs prochains. L'image, si humaine, de la Madone, presque adolescente, tendre et proche, dans sa maternité, de la sensibilité populaire, célèbre avec Marin la créativité de Dieu. " Dans l'itération des apostrophes latines, selon la tradition mariale qui résonnait en lui depuis l'enfance, vibrent les anciens rites populaires de l'île de Grado, les prières chorales dans la grande basilique de Sant'Eufemia, le culte de la Madonna delle Grazie, la ritualité séculaire de la procession votive des bateaux de la région à la Madone de Barbana, le rosaire privé des femmes, et lui se distrait en suivant un rayon de soleil ; parmi elles, la grand-mère qui prend soin de lui, orphelin ; et se détache, des années lointaines, l'image de la mère perdue trop vite, lui laissant à peine le souvenir d'un petit visage souriant penché sur lui, avec ses boucles blondes et ses yeux bleus, et l'écho perdu de douces paroles que le temps a consumées ; et un regret sans fin ", écrit Edda Serra, l'éminente spécialiste de l'oeuvre marinien. Pourtant, s'élevant contre l'Eglise, dont il n'accepte ni l'institution, matérialiste, sinon idolâtre, ni la discipline, ni les sacrements, Marin révoque le " sacerdotalisme ", qui serait devenu plus que Dieu, comme dans la légende du Grand Inquisiteur de Dostoïevski. A l'inverse, dans ses rituels d'identification de soi et du monde, qu'il soit minéral, végétal, animal ou humain, depuis la plus humble amibe et jusqu'à l'être le plus philosophe, le plus poète ou le plus saint, il tend à l'union de l'île et du sujet poétique, résolvant voluptueusement, par un sensualisme chaud, avec ivresse, l'autobiographie dans des paysages, sous la lumière de la Création. Sous une telle lumière, ce que chante la poésie, c'est ce que le philosophe Massimo Cacciari appelle la " liesse ", qui lui confère sa force, et dont les symboles sont le vol, les cieux, les oiseaux et les nuages, la proue du navire menant au loin, le blanc, pour fuir la mort et faire le désespoir léger. Chant du peu de terre, de la ligne incisive qu'est l'horizon marin, de la lagune ouverte, plongée dans le grand silence des cieux, du soleil et de l'orgue des vents invisibles, du vol des nuages, de leur rougeoiement au couchant et de leur dissolution sous l'éclat de Midi, de l'été à l'air chaud et léger, consolant l'âme de sa tristesse et de sa solitude (solitàe), et tendant au néant (ninte) de l'expérience mystique, le creuset ardent de la vie manifesterait alors davantage que la puissance et la gloire de Dieu, son amour, et notre misère si nous nous éloignons de Lui.

10/2020