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Littérature française

Morceaux cassés d'une chose

Certains auteurs attendent la fin de leurs jours pour revenir sur leurs premiers pas dans l'existence et en littérature. Oscar Coop-Phane n'aura attendu que ses trente ans pour raconter ce qu'est la vie d'un écrivain aujourd'hui. Ce que cet étrange travail représente pour lui de joies comme de sacrifices. Son récit n'est pas linéaire ou chronologique mais éclaté ; Oscar s'y livre par fragments (définition : morceaux cassés d'une chose), dans de courts chapitres aux titres éloquents (P. I : L'encre, La feuille, L'auteur, La fuite, Le titre... P. II : Parler, S'asseoir, Parader, Boire. .). Il mêle ainsi des souvenirs d'âges différents - de son enfance, son adolescence, sa vie d'homme. Le propos peut d'abord sembler trivial ; les bêtises en classe, les copains, sa découverte des filles, de la littérature ; les petits boulots, pion, barman ou dealer, pour vivre et écrire ; les premiers manuscrits, les refus ; puis le succès, soudain, ses livres en librairie ; et les galères encore, le métier d'écrivain, les interviews, les salons, la peur de la précarité. Mais son récit fourmille de détails qui sont autant de clés : une montre Swatch offerte par sa mère qu'elle prétend être un cadeau de son père, alors qu'il vient de quitter leur foyer ; le geste d'un patron de restaurant près de son lycée qui, chaque fois qu'Oscar s'y rend pour déjeuner, lui rend discrètement le billet avec lequel il vient de payer ; le visage d'une jeune fille, un soir, qui comme lui, semble cacher une cicatrice ; le mépris d'un éditeur ou le regard surpris d'un lecteur qui le voit servir derrière un bar alors que son visage est dans le journal. Car les détails révèlent les événements ; une enfance heurtée par les disputes puis le divorce de ses parents ; une vie de débrouilles pour se loger, manger, dès 16 ans ; le souvenir du corps d'un autre en soi, gamin ; la crainte de ne jamais être publié puis de ne pas pouvoir en vivre. Et aussi, la beauté, tant de joies : la liberté, à Paris, Berlin ou Rome ; les vrais amis et la compagnie des auteurs, Bove, Calaferte ou Dabit ; son premier prix, la fierté ; les rencontres de certains lecteurs ; une femme, l'amour, puis une enfant, sa fille. Et l'écriture toujours. C'est une existence courte, mais intense. Une leçon de courage et de style tant l'écriture ciselée d'Oscar Coop-Phane émerveille. D'une grâce et d'une justesse bouleversantes, ce livre aurait pu s'appeler Morceaux cassés d'une vie autant que Lettre à un jeune écrivain. Ou, s'il avait été écrit par un autre, Et tu seras auteur, mon fils.

01/2020

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Religion

Discours sur la religion et sur quelques autres sujets

"Les Pensées furent-elles vraiment écrites sous forme de fragments ? Se réduisent-elles à un recueil d'aphorismes ? La question peut sembler d'autant plus saugrenue que Pascal passe depuis trois siècles pour l'écrivain fragmentaire par excellence, et le fragment pour l'expression naturelle de son "effrayant génie". Nietzsche n'écrivait-il pas en 1885 : "Les livres les plus profonds et les plus inépuisables participeront toujours du caractère aphoristique et soudain desPenséesde Pascal"? Et Lucien Goldmann, en 1955, n'énonçait-il pas cette règle littéraire : "il n'y a, pour une oeuvre tragique, qu'une seule forme d'ordre valable, celui du fragment, qui est recherche d'ordre, mais recherche qui n'a pas réussi et ne peut pas réussir à l'approcher"? En réalité, parler ainsi est tout simplement commettre un anachronisme. Issu du romantisme allemand, le concept de fragment est dépourvu de signification au XVIIe siècle, auquel Pascal ne fait à cet égard aucune exception : comme tous les apologistes de son temps, il écrivait desdiscourscontinus et le plus souvent d'assez longue haleine (chacun connaît les deux exemples fameux du "Pari" et des "Deux infinis") que l'on trouvera ici restitués - recollés- pour la première fois sous leur figure originelle et publiés dans l'ordre chronologique probable de leur rédaction. Bien loin de composer une rhapsodie, Pascal cherchait ettrouvait"un ordre des raisons", même si sa conception de la raison et de l'ordre n'est plus tout à fait celle de Descartes, mais les fonde l'une et l'autre sur une "logique du coeur" (Heidegger). Cependant, à la mort de Pascal, n'a-t-on pas découvert ses manuscrits dans le plus grand désordre et morcelés en bouts de papier de toutes tailles ? Certes, mais l'on sait parfaitement pourquoi ils se présentaient ainsi : c'est que Pascal avait formellement désavoué, vers 1660, ses discours primitifs à cause de leur trop grande disparate, et qu'il les avait lui-même découpés avec l'intention, ou plutôt l'espoir, de rédiger, sur cette base, un livre nouveau et unitaire, une "Apologie de la religion chrétienne". Il n'empêche que, s'il est évidemment loisible de spéculer sur le "plan" qu'eût suivi ce livre jamais écrit et sans doute impossible à écrire, seul le retour vers l'amontde la création pascalienne, c'est-à-dire le remembrement des "fragments" où elle s'est accidentellement dispersée, peut en livrer le sens authentique. Ce retour au discours pascalien en son jaillissement premier, en sa simplicité et sa monumentalité, c'est à lui qu'invite cette édition, proposée par Emmanuel Martineau en 1992, véritable édition originale de ce qu'on appelle depuis 1670 lesPensées. Depuis longtemps épuisée, le présent ouvrage en est la réédition en fac-similé" .

04/2022

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Techniques d'écriture

Ecrire c'est respirer

Une plongée réjouissante dans les secrets d'écriture de Susie Morgenstern ! Susie Morgenstern a publié plus de cent cinquante titres, dont de nombreux best-sellers primés et encensés par la critique. Dans ce livre, véritable hymne à l'écriture, l'autrice nous entraîne avec humour et poésie dans les coulisses de la création. Les grands (comme les plus jeunes) y trouveront leur bonheur grâce à des ateliers inspirants et des conseils qui donnent envie d'écrire ! " Ecrire c'est de l'archéologie intime. On fouille avec le stylo à la recherche de soi-même. On plonge dans les profondeurs d'une mer inconnue pour pêcher des poissons qui nagent à l'intérieur de nous. C'est la mine qu'on descend pour chercher l'or. C'est la cave à vieilles bouteilles de vin. C'est un chemin de pèlerinage, la chasse aux trésors, l'éternelle quête de soi-même. " L'autrice Née aux Etats-Unis, Susie Morgenstern vit à Nice où elle a enseigné l'anglais àla faculté de Sophia-Antipolis jusqu'en 2005. Avec fantaisie, poésie et humour, l'autrice aborde dans ses livres tous les thèmes qui gravitent autour de l'enfance et de l'adolescence. Parfois surnommée " la papesse de la littérature jeunesse ", elle a principalement publié à L'Ecole des Loisirs et ses livres sont traduits dans vingt langues. Parmi ses best-sellers : La Sixième ou encore Lettres d'amour de 0 à 10, titre qui a obtenu à lui seul une vingtaine de prix littéraires. Mes 18 exils, son autobiographie, a été unanimement saluée par la critique. Ce titre fait partie de la collection " SECRETS D'ECRITURE ", consacrée à l'art d'écrire L'ambition est de rassembler dans une collection référente les plus grands auteurs et autrices de la littérature contemporaine francophone et de dévoiler la fabrique de la création littéraire dans toute sa richesse. Récit intime retraçant le parcours de l'auteur, depuis la naissance de l'écriture jusqu'au succès, chaque livre, signé des plus grandes plumes d'aujourd'hui, est écrit et se lit comme un roman - preuve que l'aventure de l'écriture est aussi captivante que la fiction ! Si chaque récit raconte la page blanche, les doutes et le travail exigeant, il témoigne avant tout du plaisir à devenir et à être écrivain. On trouvera au fil des chapitres des illustrations, des passages en écriture manuscrite, des brouillons, des croquis représentant l'auteur au travail : ces documents personnels, souvent inédits, donnent à chaque ouvrage l'allure et la vitalité d'un carnet de création. " Secrets d'écriture ", c'est la promesse d'un voyage littéraire, une plongée au coeur du mystère de la création littéraire et des trésors de conseils au lecteur.

05/2022

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Biographies

Les hypothèses infinies. Journal 1936 - 1962

Né en Tunisie dans une modeste famille juive de langue maternelle arabe, formé dans les écoles de l'Alliance israélite universelle puis au lycée Carnot de Tunis, enfin à l'université d'Alger pendant la guerre et en Sorbonne à la Libération, Albert Memmi (1920-2020) se situe au carrefour de trois cultures et a construit une oeuvre abondante d'essayiste, mais aussi de romancier, sur la difficulté pour un minoritaire né en pays colonisé de trouver son propre équilibre entre Orient et Occident. De l'âge de 16 ans à sa disparition, il a tenu un journal, où il a recueilli ses rêves et ses cauchemars, ses doutes et ses illuminations, ses espoirs et ses désillusions, ses joies et ses frustrations : une somme de réflexions au jour le jour qui éclairent d'une lumière crue un "siècle épouvantable" mais qui constituent aussi les fondations d'une oeuvre universelle. Qui est le jeune homme que nous suivrons pas à pas, de ses 16 ans à la quarantaine, dans ce premier volume du Journal ? Un minoritaire en pays dominé, né pauvre et honteux de ses origines, mais avide de culture et désireux d'en faire son destin ? Un enfant qui ne possède d'autre langue que "le pauvre patois du ghetto", mais rêve de maîtriser celle de Rousseau et de Gide, d'égaler - ; qui sait... - ; son maître Jean Amrouche, ou même le monumental François Mauriac ? Cet adolescent pacifiste, un peu dandy, brutalement confronté à la guerre et à la nécessité de prendre parti, ou ce Juif acculturé qui fait peu à peu l'expérience de sa condition, découvre les ostracismes dont il est de tous bords entouré, et qui apprend à s'en défendre ? Que cherche-t-il ? Vivre à Tunis, en se calfeutrant dans les "valeurs-refuge" et les traditions de sa communauté, ou s'enfuir à Paris pour se mesurer à la modernité occidentale ? Etudier la médecine, la philosophie ou les sciences humaines ? S'étourdir dans les divertissements ou affronter le monde et ses contradictions, au risque de s'y brûler ? Quelles sont ses ambitions, enfin ? Lutter parmi les siens au sein de mouvements de jeunesse ou se tenir à distance de tout militantisme pour mieux analyser les situations ? Défendre ses convictions par la plume ou s'inventer un monde de fiction capable de transcender ses déchirures intimes ? L'âge d'homme arrivé, ce jeune inconnu déchiré, devenu Albert Memmi, s'est clairement défini comme colonisé à travers le Portrait du colonisé et comme Juif par le Portrait d'un Juif. Pendant la guerre, il a fait l'expérience de la souffrance physique et de l'engagement ; plus tard, s'éloignant des siens sans les renier, il a appris - ; sans jamais se compromettre - ; à en découdre avec l'Occident et avec l'altérité. Par l'écriture de deux romans autobiographiques, il s'impose comme écrivain de langue française ; comme enseignant-chercheur en philosophie et sociologie, il collabore avec Aimé Patri, Daniel Lagache et Georges Gurvitch à l'élaboration d'une pensée humaniste aux prises avec les défis de "ce siècle de sciences, de progrès et d'effroyable bêtise". L'extraordinaire itinéraire individuel que révèle ce Journal 1936-1962 possède sa moralité. Il prouve avec une exemplarité éblouissante que rien n'est jamais joué d'avance, que tout se conquiert : en dépit de ses origines, au-delà de sa condition et malgré l'état cataclysmique du monde, le jeune homme parvient à percevoir, loin des "vérités absolues", la promesse effective de tous les possibles, les hypothèses infinies que nous offre l'existence.

02/2021

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Science-fiction

Le Hobbit annoté. Le Hobbit ou un aller et retour, Edition revue et augmentée

Le Hobbit est le premier récit publié par J.R.R. Tolkien, en 1937. Inventée pour ses enfants, cette histoire raconte les aventures de Bilbo, lancé en quête d’un trésor gardé par un dragon, en compagnie de Nains et du magicien Gandalf. Bien que destiné initialement à la jeunesse, ce texte a également enchanté des générations de lecteurs adultes. L’un des intérêts du Hobbit est qu’il introduit le lecteur dans monde inventé par Tolkien (la Terre du Milieu), décor de la plupart de ses récits, et qu’il présente des personnages appelés à connaître une grande postérité, dont les Hobbits, Gandalf et… l’Anneau. Cette édition est un beau livre, en raison du nombre élevé d’illustrations : photographies de Tolkien et de sa famille, reproductions de manuscrits et de cartes, magnifique cahier d’illustrations… cette dimension attirera d’autres types de lecteurs et de curieux, qui vont découvrir le texte par l’adaptation cinématographique de P. Jackson – en deux volets, 2012 et 2013. Ce livre aurait donc pu paraître sous le titre « Le Hobbit illustré », mais Christian Bourgois Éditeur publie déjà des éditions illustrées du Hobbit par Alan Lee, ce qui a conduit à conserver le titre anglais – Le Hobbit annoté. Il ne s’agit pas pour autant d’une édition savante : l’introduction et les notes de Douglas Anderson apportent surtout un éclairage sur des passages du texte, et les mettent en relation avec des épisodes de la vie de l’auteur. Le texte de Tolkien demeure bien central. Par rapport aux autres éditions du Hobbit (ou de Bilbo le Hobbit) en français, cette édition comporte une particularité supplémentaire, et décisive. Réalisée à partir de l’édition anglaise corrigée du texte de Tolkien (débarrassé de nombreuses coquilles en 1995), cette traduction du Hobbit annoté comporte, surtout, une nouvelle traduction (depuis longtemps attendue !) du Hobbit. Cette traduction inédite respecte les particularités du texte : son jeu avec les registres (du plus léger, au début du récit, vers des moments plus sombres, annonçant Le Seigneur des Anneaux qui prendra sa suite), la musicalité des chansons et poèmes ; mais, plus généralement, la traduction est débarrassée de toute lourdeur, et retrouve le dynamisme et l’entrain du texte anglais. Ce livre sera une redécouverte pour de nombreux lecteurs de Tolkien. On peut ajouter une remarque particulière sur les noms : les lecteurs qui apprécient Tolkien – le succès des Enfants de Húrin en 2008 a montré leur intérêt, sans parler même de la sortie du film de P. Jackson – seront heureux de découvrir que les noms anglais ont été retraduits en respectant les indications données par Tolkien dans le Guide to the Names, et en cohérence avec les volumes suivants dont Daniel Lauzon a assuré la traduction. Daniel Lauzon est en effet un traducteur reconnu des oeuvres de J.R.R. Tolkien : les premiers volumes ont paru en 2006, mais son travail avec V. Ferré remonte à l’année 2000, pour les premières réalisations.

09/2012

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Revues

L'année Céline 2021

L'Année Céline est devenue au fil du temps la plus importante revue consacrée en France à un écrivain moderne. Elle n'est disponible qu'en volumes cousus et non coupés, telles que sont parues de son vivant toutes les oeuvres de Céline. Le 32e volume de L'Année Céline vient de paraître. Il compte 400 pages abondamment illustrées, réparties, selon la présentation établie de longue date, entre les textes retrouvés de Céline, les études, les documents et la chronique bibliographique de l'année. Sont présentées 38 lettres inédites de Céline, parmi lesquelles une correspondance jusqu'à présent totalement inconnue avec la danseuse russe Marie Tchernova (1936-1941), une carte postale envoyée à son oncle par le jeune Louis Destouches dès son arrivée à Diepholz (1907) où il sera scolarisé pendant un an, une lettre à l'inattendu Charles Vildrac (1936), ainsi que des lettres retrouvées adressées à son avocat Mikkelsen, à son ami Daragnès, à Paul Marteau, ou à Georges Geoffroy... Ce dernier, qui avait partagé la vie de Destouches à Londres en 1915, est l'objet d'une étude de Gaël Richard qui apporte des précisions sur la vie quotidienne des deux jeunes gens, transposée dans Londres (à paraître à l'automne) et Guignol's band. Parmi les dédicaces retrouvées en 2021, figure en belle place une série de six, s'échelonnant de 1934 à 1957, destinées à Marie Bell, l'une étant enrichie d'une caricature de l'actrice reproduite ici en couverture. Une importante série de lettres de tiers, autour du procès de février 1950, apporte maintes précisions sur la préparation de la défense de Céline par Albert Naud ; la correspondance entre Pierre Monnier et Albert Paraz, dont la première partie avait été publiée en 2020, livre des précisions sur l'aventure de "Frédéric Chambriand" , éditeur de Céline de 1948 à 1951 et principal acteur de son entrée chez Gallimard, qui devient dès le retour de Céline en France maître d'oeuvre de l'édition complète, et plus que complète avec les récentes découvertes de manuscrits perdus dont il sera rendu compte dans L'Année Céline 2022, du prosateur français majeur du XXe siècle. Yoann Loisel revient sur "le traumatisme de la grande guerre" , à partir de l'analyse du "document- diagnostic" établi en mars 1915, qui permet de mieux appréhender comment la violence de la guerre a transformé le jeune soldat et les répercussions sur toute la vie de Céline et sur toute son oeuvre. Eric Mazet poursuit son exploration des mentions de Céline dans la presse de son époque : ici, dans la presse communiste (le quotidien Ce Soir et Franc-tireur, qui font preuve entre 1937 et 1950 d'une hargne particulière contre l'écrivain). En 2021, le ton et la méthode ont changé, mais non les intentions malveillantes. En témoigne l'émission télévisuelle "Céline : les derniers secrets" , dont Jean-Luc Germain démonte "la mise en scène tapageuse" , digne d'une "téléréalité" , indigne de la littérature.

06/2022

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Sciences historiques

Une description inédite de la cathédrale de Tournai au siècle des Lumières. Les écrits du chanoine Denis-D. Waucquier, 1742-1752

A l'occasion des travaux de stabilisation et de restauration de la cathédrale, nous avons trouvé judicieux de rendre ces témoignages accessibles à tous par le biais d'une édition scientifique, étant donné que l'importance de ces écrits qui se situent à la charnière entre ceux du chanoine Jean Cousin (1620) et les destructions consécutives à la Révolution française. Il est vite apparu que la personnalité de l'auteur méritait une approche pluridisciplinaire : une équipe de chercheurs s'est mise en place pour introduire l'édition par des analyses portant sur le personnage, sa bibliothèque et le regard qu'il portait sur les transformations esthétiques de "sa" cathédrale. Florian MARIAGE a scruté la biographie surprenante de ce chanoine natif du diocèse de Cambrai : ses premières années à Tournai, ses titres universitaires et l'appui de l'évêque de Tournai qui lui confère une prébende au chapitre cathédral, ses traits de caractère (moraliste, misogyne, confident, assidu aux offices), le protecteur des privilèges et du patrimoine culturel, le témoin de son temps, le compilateur, l'historien, le nostalgique. Claude SORGELOOS voit en Waucquier le plus discret des bibliophiles du chapitre Notre-Dame de Tournai, dont le nom n'apparaît qu'au moment de la vente de ses livres en 1763, de manière posthume mais éclatante : le catalogue de vente ne compte pas moins de 263 pages, énumérant 3 924 lots ! Une bibliothèque richissime qui dépasse largement les 10 000 documents. Dans ce qui fut la plus grosse vente de livres à Tournai au XVIIIe siècle, on découvre le théologien, le juriste, le scientifique, le mondain, le gourmand, le géographe, l'amateur de belles lettres, d'estampes, d'architecture, de musique et de manuscrits. Selon Caroline HEERING, le témoignage de Waucquier sur l'état de la cathédrale et de son mobilier au milieu du XVIIIe siècle est exceptionnel. L'auteure l'inscrit dans le paysage architectural des anciens Pays-Bas, qu'elle brosse à larges traits. Elle fait aussi émerger deux caractères des écrits de Waucquier qui reflètent les positions défendues par le "clergé des Lumières" : d'une part, une nécessité d'embellir les cathédrales en suivant les principes du "bon goût" du XVIIIe siècle, et d'autre part, une grande admiration pour l'architecture du passé, en particulier gothique. L'édition des écrits inédits de Waucquier (par Jacques PYCKE) comporte la description minutieuse de la cathédrale qu'il avait sous les yeux, et qu'il connaissait particulièrement bien en tant que maître de la Fabrique : le bâtiment, le mobilier, le décor de marbre, les vitraux, les tapisseries, les pierres tombales et les épitaphes avant leur suppression en 1742 en raison de leur vétusté, ainsi que les usages et les dévotions particulières des chanoines. Comme à l'accoutumée, cette publication a pu compter sur la générosité, la compétence et le talent de Marie VAN EECKENRODE (mise en page), d'Ingrid FALQUE (couverture) et de Benoît DOCHY (illustrations).

11/2017

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Récits de voyage

Voyage en Suisse

Au lendemain de l'insurrection parisienne des 5 et 6 juin 1832 contre le régime de Louis-Philippe, Alexandre Dumas, soupçonné d'y avoir pris part et menacé d'arrestation, ressent la nécessité de quitter la France pour quelque temps. Il y est, par ailleurs, incité par le déclin de sa santé dû à une attaque de choléra : Mon médecin m'ordonna ce qu'un médecin ordonne lorsqu'il ne sait plus qu'ordonner : un voyage en Suisse. En conséquence, le 21 juillet 1832, je partis de Paris. Les Impressions de voyage qu'il publie à son retour ne tarderont pas à devenir un titre générique pour tous les récits de voyage sortis de sa plume : en Italie, aux bords du Rhin, en Espagne, en Afrique du Nord, en Russie, au Caucase... Croyant composer un livre, Dumas invente un genre, presqu'à son usage particulier. Un genre aux lois fantasques, qui n'est pas une simple relation de voyage, mais intègre différents écrits : chroniques historiques, contes, légendes, anecdotes, nouvelles contemporaines, rencontres avec d'illustres personnages comme Chateaubriand ou la reine Hortense, profession de foi républicaine... Le Voyage en Suisse apparaît donc comme le laboratoire, ô combien délectable, de la prose narrative dumasienne. Genève est, après Naples, une des villes les plus heureusement situées du monde. Paresseusement couchée à la base du mont Salève, elle semble n'avoir autre chose à faire que de regarder avec amour les mille villas semées aux flancs des montagnes neigeuses ou couronnant le sommet des collines. Sous ce beau ciel, devant ces belles eaux, il semble qu'elle n'a qu'à respirer pour vivre. Et cependant, cette odalisque nonchalante, c'est la reine de l'industrie, c'est la commerçante Genève, qui compte quatre-vingt-cinq millionnaires parmi ses vingt mille enfants. Je ne connais pas de moine, de chartreux, de trappiste, de derviche, de fakir, de phénomène vivant, d'animal curieux que l'on montre pour deux sous, qui fasse une abnégation plus complète de son libre arbitre que le malheureux voyageur qui monte dans une voiture publique. Dès lors, ses désirs, ses besoins, ses volontés sont subordonnés au caprice du conducteur dont il est devenu la chose. Je feuilletais mes guides comme des manuscrits. Pas une ruine ne s'offrait sur notre route dont je ne les forçasse de se rappeler le nom, pas un nom dont je ne les amenasse à m'expliquer le sens. Ces histoires éternelles m'ont toutes été racontées plus ou moins poétiquement par ces enfants des montagnes. Mais cependant, peut-être, ils ne le répéteront pas à leurs enfants. Car de jour en jour, le sourire incrédule du voyageur esprit fort arrête sur leurs lèvres ces légendes naïves qui fleurissent, comme les roses des Alpes, au bord de tous les torrents, au pied de tous les glaciers. Alexandre Dumas

09/2005

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Pléiades

Oeuvres romanesques. Tome 1

"C'est à Paris que j'ai écrit mes premiers romans, découvert l'Amérique latine et commencé à me sentir latino-américain ; j'y ai vu la publication de mes premiers livres ; j'y ai appris, grâce à Flaubert, la méthode de travail qui me convenait et su quel genre d'écrivain je souhaitais être. La France m'a enseigné que l'universalisme, trait distinctif de la culture française depuis le Moyen Age, loin d'être exclusif de l'enracinement d'un écrivain dans la problématique sociale et historique de son propre monde, dans sa langue et sa tradition, s'en fortifiait, au contraire, et s'y chargeait de réalité. "Fraîchement arrivé à Paris, en août 1959, j'ai acheté Madame Bovary à la librairie La Joie de Lire, de François Maspero, rue Saint-Séverin, et ce roman, que j'ai lu en état de transe, a révolutionné ma vision de la littérature. J'y ai découvert que le "réalisme" n'était pas incompatible avec la rigueur esthétique la plus stricte ni avec l'ambition narrative. . ". Extrait de l'Avant-propos de l'auteur, inédit. Débrider l'imaginaire et rivaliser avec la réalité, "d'égal à égal" : tel est le programme du romancier Vargas Llosa. Il reflète un appétit qui pourrait passer pour démesuré. Julio Cortázar comparait l'énergie de son ami Mario à celle de ce rhinocéros du zoo de Buenos Aires qui renversa les barrières de son enclos quand l'envie lui prit d'aller se baigner dans l'étang voisin. L'anecdote fait d'ailleurs écho à la manière dont Vargas Llosa lui-même évoque l'exorbitant pouvoir de l'écrivain, capable de saccager le monde, de le décortiquer, voire de le détruire, pour lui opposer une image littéraire née de la parole et de l'imagination. Cette radicalité, que partagent les modèles de Vargas Llosa - Flaubert, Faulkner -, est à la source d'un univers imaginaire qui nous entraîne (Cortázar avait raison) avec la force irrésistible des grands mammifères. Il y a du démiurge chez l'auteur de Conversation à La Catedral. Et de l'architecte : ses livres sont des édifices minutieusement équilibrés, chacun a sa forme propre, ses audaces, son rythme, ses voix. Vargas Llosa gouverne en sous-main un monde polyphonique, violent, généreux, extraordinairement séduisant, auquel le public est fidèle depuis un demi-siècle. Voici, en deux volumes, huit romans publiés entre 1963 et 2006, choisis par l'auteur et proposés dans des traductions révisées. Ils sont accompagnés d'un appareil critique qui a bénéficié du dépôt par Mario Vargas Llosa de ses archives littéraires à l'université de Princeton, où sont désormais conservés les manuscrits de ses livres, les carnets dans lesquels il consigne ses projets, mais aussi de la correspondance, des notes personnelles, des coupures de presse, d'autres documents encore qui autorisent, pour la première fois, une plongée dans l'atelier de l'écrivain.

03/2016

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Pléiades

Oeuvres romanesques. Tome 2

"C'est à Paris que j'ai écrit mes premiers romans, découvert l'Amérique latine et commencé à me sentir latino-américain ; j'y ai vu la publication de mes premiers livres ; j'y ai appris, grâce à Flaubert, la méthode de travail qui me convenait et su quel genre d'écrivain je souhaitais être. La France m'a enseigné que l'universalisme, trait distinctif de la culture française depuis le Moyen Age, loin d'être exclusif de l'enracinement d'un écrivain dans la problématique sociale et historique de son propre monde, dans sa langue et sa tradition, s'en fortifiait, au contraire, et s'y chargeait de réalité. "Fraîchement arrivé à Paris, en août 1959, j'ai acheté Madame Bovary à la librairie La Joie de Lire, de François Maspero, rue Saint-Séverin, et ce roman, que j'ai lu en état de transe, a révolutionné ma vision de la littérature. J'y ai découvert que le "réalisme" n'était pas incompatible avec la rigueur esthétique la plus stricte ni avec l'ambition narrative. . ". Extrait de l'Avant-propos de l'auteur, inédit. Débrider l'imaginaire et rivaliser avec la réalité, "d'égal à égal" : tel est le programme du romancier Vargas Llosa. Il reflète un appétit qui pourrait passer pour démesuré. Julio Cortázar comparait l'énergie de son ami Mario à celle de ce rhinocéros du zoo de Buenos Aires qui renversa les barrières de son enclos quand l'envie lui prit d'aller se baigner dans l'étang voisin. L'anecdote fait d'ailleurs écho à la manière dont Vargas Llosa lui-même évoque l'exorbitant pouvoir de l'écrivain, capable de saccager le monde, de le décortiquer, voire de le détruire, pour lui opposer une image littéraire née de la parole et de l'imagination. Cette radicalité, que partagent les modèles de Vargas Llosa - Flaubert, Faulkner -, est à la source d'un univers imaginaire qui nous entraîne (Cortázar avait raison) avec la force irrésistible des grands mammifères. Il y a du démiurge chez l'auteur de Conversation à La Catedral. Et de l'architecte : ses livres sont des édifices minutieusement équilibrés, chacun a sa forme propre, ses audaces, son rythme, ses voix. Vargas Llosa gouverne en sous-main un monde polyphonique, violent, généreux, extraordinairement séduisant, auquel le public est fidèle depuis un demi-siècle. Voici, en deux volumes, huit romans publiés entre 1963 et 2006, choisis par l'auteur et proposés dans des traductions révisées. Ils sont accompagnés d'un appareil critique qui a bénéficié du dépôt par Mario Vargas Llosa de ses archives littéraires à l'université de Princeton, où sont désormais conservés les manuscrits de ses livres, les carnets dans lesquels il consigne ses projets, mais aussi de la correspondance, des notes personnelles, des coupures de presse, d'autres documents encore qui autorisent, pour la première fois, une plongée dans l'atelier de l'écrivain.

03/2016

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Pléiades

Romans et récits. Tome 2

Kessel est difficile à situer dans le paysage littéraire. On l'y prenait parfois pour un intrus. A la NRF, Gaston Gallimard crut très tôt en lui, tandis que Gide (qui changerait d'avis) et Paulhan avaient, comme on dit, "des réserves" . Peut-être n'était-il à leurs yeux qu'un reporter écrivant des romans, avec une circonstance aggravante : le succès. Alors romancier ou reporter ? Un pur romancier ? un authentique reporter ? La question, à vrai dire, ne se pose pas en ces termes. Cette édition ne fait pas acception de "métiers" ni d'ailleurs de genres littéraires. Elle juxtapose dans l'ordre chronologique des ouvrages relevant, à des degrés divers, de la fiction, du récit, du reportage ou de ce que Kessel aimait à nommer documentaire - un mot encore neuf dans les années 1920 et qu'il donna pour titre à la première partie de Vent de sable. Elle bénéficie d'autre part d'un fait nouveau : les manuscrits de Kessel sont désormais accessibles. Ces deux volumes en reproduisent de nombreux éléments - dont le scénario inédit du Bataillon du ciel - et les exploitent pour cerner ce qui fait la spécificité de l'oeuvre. Le "système Kessel" , on croit le connaître : courir le monde, faire provision de "choses vues" , livrer des reportages à la presse, en tirer (selon des modalités variables) un récit, puis publier un roman qui utilise (dans des proportions tout aussi variables) ces reportages et ce récit. Mais les apparences sont trompeuses : Le Lion (roman "kényan" de 1958), par exemple, aurait été conçu avant que ne soit achevé La Piste fauve (récit, kényan lui aussi, de 1954). L'oeuvre ne décrit pas une trajectoire systématique qui mènerait du réel (terrain du reporter) à la fiction (ou littérature). Chez l'auteur de Makhno et sa juive, la réalité n'est jamais chimiquement pure. Kessel pourrait bien être un précurseur de ce qu'on appelle aujourd'hui en bon français la creative non fiction. L'aventure, l'événement, tel homme rencontré, telle situation vécue possèdent pour lui un potentiel poétique ou romanesque qui fait d'eux des objets pour l'imagination. Pour le dire à la manière de Malraux, le réel est une musique sur laquelle nous sommes contraints de danser. Mais Kessel le trouve insuffisant. Comme Malraux lui-même, comme Cendrars, Saint-Exupéry et bientôt Gary, il est de ceux qui offrent à la réalité des prolongements puisés dans l'imaginaire. Ce faisant, il place son oeuvre - et ses aviateurs, ses Russes blancs, ses guerriers masaï, ses cavaliers afghans - aux confins "du réel, du rêve, de l'errance et de l'histoire" (Malraux encore). Il la rend transfrontalière, se rend lui-même inclassable et fait de l'aventure un mythe moderne. Sans doute respire-t-il "l'air du temps" , qui est aussi le nom d'une collection à laquelle il donna des livres ; mais il sait s'en abstraire et atteindre à l'essentiel. Ecrite en un siècle qui menaça de mille manières l'espèce humaine, toute son oeuvre peut être lue

06/2020

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Pléiades

Romans et récits. Tome 1

Kessel est difficile à situer dans le paysage littéraire. On l'y prenait parfois pour un intrus. A la NRF, Gaston Gallimard crut très tôt en lui, tandis que Gide (qui changerait d'avis) et Paulhan avaient, comme on dit, "des réserves" . Peut-être n'était-il à leurs yeux qu'un reporter écrivant des romans, avec une circonstance aggravante : le succès. Alors romancier ou reporter ? Un pur romancier ? un authentique reporter ? La question, à vrai dire, ne se pose pas en ces termes. Cette édition ne fait pas acception de "métiers" ni d'ailleurs de genres littéraires. Elle juxtapose dans l'ordre chronologique des ouvrages relevant, à des degrés divers, de la fiction, du récit, du reportage ou de ce que Kessel aimait à nommer documentaire - un mot encore neuf dans les années 1920 et qu'il donna pour titre à la première partie de Vent de sable. Elle bénéficie d'autre part d'un fait nouveau : les manuscrits de Kessel sont désormais accessibles. Ces deux volumes en reproduisent de nombreux éléments - dont le scénario inédit du Bataillon du ciel - et les exploitent pour cerner ce qui fait la spécificité de l'oeuvre. Le "système Kessel" , on croit le connaître : courir le monde, faire provision de "choses vues" , livrer des reportages à la presse, en tirer (selon des modalités variables) un récit, puis publier un roman qui utilise (dans des proportions tout aussi variables) ces reportages et ce récit. Mais les apparences sont trompeuses : Le Lion (roman "kényan" de 1958), par exemple, aurait été conçu avant que ne soit achevé La Piste fauve (récit, kényan lui aussi, de 1954). L'oeuvre ne décrit pas une trajectoire systématique qui mènerait du réel (terrain du reporter) à la fiction (ou littérature). Chez l'auteur de Makhno et sa juive, la réalité n'est jamais chimiquement pure. Kessel pourrait bien être un précurseur de ce qu'on appelle aujourd'hui en bon français la creative non fiction. L'aventure, l'événement, tel homme rencontré, telle situation vécue possèdent pour lui un potentiel poétique ou romanesque qui fait d'eux des objets pour l'imagination. Pour le dire à la manière de Malraux, le réel est une musique sur laquelle nous sommes contraints de danser. Mais Kessel le trouve insuffisant. Comme Malraux lui-même, comme Cendrars, Saint-Exupéry et bientôt Gary, il est de ceux qui offrent à la réalité des prolongements puisés dans l'imaginaire. Ce faisant, il place son oeuvre - et ses aviateurs, ses Russes blancs, ses guerriers masaï, ses cavaliers afghans - aux confins "du réel, du rêve, de l'errance et de l'histoire" (Malraux encore). Il la rend transfrontalière, se rend lui-même inclassable et fait de l'aventure un mythe moderne. Sans doute respire-t-il "l'air du temps" , qui est aussi le nom d'une collection à laquelle il donna des livres ; mais il sait s'en abstraire et atteindre à l'essentiel. Ecrite en un siècle qui menaça de mille manières l'espèce humaine, toute son oeuvre peut être lue

06/2020

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Critique littéraire

Pourquoi ce monde. Clarice Lispector, une biographie

Argumentée par des années de recherche, de consultation de manuscrits inédits et de correspondance privée, d’entretiens avec des proches de l’écrivaine, la biographie de Clarice Lispector par Benjamin Moser est à la fois un témoignage et un roman. Déjà traduite en portugais et publiée au Brésil, elle paraît pour la première fois en français aux éditions Des femmes-Antoinette Fouque, qui ont entrepris depuis les années 1980 de publier l’intégralité de l’œuvre de Clarice Lispector (1920-1977) et ont permis de faire connaître en France celle qui compte parmi les plus grands écrivains du xxe siècle, à l’égal de Joyce, Rilke ou Kafka. À sa mort, Clarice Lispector, bien que peu connue en Europe, était depuis longtemps devenue l’une des figures mythiques du Brésil, le « Sphinx de Rio de Janeiro », une femme qui fascinait ses compatriotes depuis son adolescence et la publication de son premier roman, Près du cœur sauvage. Avec ce portrait de femme aussi passionnant, élégant et divers que son modèle, Benjamin Moser rend compte de la troublante identité de cette écrivaine qui pouvait dire : « Je suis si mystérieuse que je ne me comprends pas moi-même », sans jamais altérer le mystère de la personnalité de cet être d’élection, ni de son écriture si singulière. Par touches subtiles autant que précises, il se tient au côté de la petite fille née en Ukraine, dans les atrocités d’une épouvantable guerre civile et dont les racines plongeaient dans un monde de violence et de pauvreté, comme de la femme de diplomate qui tiendra pendant des années ce rôle à la perfection, voyageant d’un continent à l’autre. Mais elle ne se reconnaissait qu’une patrie, le Brésil, qu’une langue, le portugais. De l’enfant qui inventait des histoires magiques à l’écrivaine pour qui la question des noms et de la nomination domine toute l’œuvre, Clarice Lispector ne cessa jamais de s’approprier les mots et d’en faire ressortir toute l’étrangeté jusqu’à devenir la « princesse de la langue portugaise ». Âme ardente, amoureuse de la vie, ayant une conscience aiguë de la mort, toujours en révolte, contre le monde autant que contre son propre mythe, proche de la mystique juive, politiquement engagée, sûre de sa valeur et assaillie de doutes, elle a exprimé toute la gamme des sentiments et de l’expérience humaine à travers les multiples facettes de son oeuvre, dans les romans, les nouvelles, la correspondance, le journalisme. Femme, épouse, mère, écrivaine : Benjamin Moser s’attache à toutes les expressions d’une personnalité unique et exceptionnelle, tout en mettant en lumière le contexte historique et culturel, en Europe comme au Brésil, qui sous-tend cette destinée particulière. Les nombreuses citations d’une œuvre qui fut peut-être, selon lui, la « plus grande autobiographie spirituelle du xxe siècle », nous invitent à lire ou relire, inlassablement, la prose splendide de Clarice Lispector. « Il sera très difficile pour quiconque d’écrire ma biographie », écrivait-elle. Le défi a été relevé avec succès, entre ce que Pourquoi ce monde donne à lire et ce qu’il laisse le lecteur imaginer.

03/2012

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Critique littéraire

Histoire romaine. Tome 5, Livre IX, Le livre illyrien ; Fragments du livre macédonien, Edition bilingue français-grec ancien

Ce livre, le neuvième de l'Histoire romaine, marquait une étape importante dans la série des guerres étrangères puisqu'il racontait comment les Romains, intervenant pour la première fois dans le bassin oriental de la Méditerranée, avaient vaincu et soumis Philippe V puis anéanti la monarchie macédonienne après la défaite de Persée à Pydna. Appien lui avait donc donné le titre de "Livre macédonien" et avait ajouté une sorte d'appendice, le "Livre illyrien", où il exposait les circonstances de la conquête, achevée par Auguste, des régions qui formeront l'Illyricum. Fâcheusement, le Livre macédonien fut perdu, peut-être dès le IXe siècle de notre ère et le Livre illyrien aurait sans doute connu le même sort si les éditeurs byzantins ne l'avaient pas inséré à la suite du livre V des Guerres civiles. Paradoxalement, nous avons donc perdu ce qu'Appien considérait à juste titre comme le plus important et conservé un appendice moins travaillé. Heureusement, les Extraits constantiniens nous ont conservé les passages du Livre macédonien relatifs aux négociations entre Romains et Macédoniens à l'occasion des trois guerres qui les opposèrent. On constate qu'Appien suivait une tradition différant sensiblement de celle qui prévaut depuis Polybe et, en particulier, qu'il n'était pas dupe des accusations portées contre Persée par des adversaires décidés à l'anéantir, quoi qu'il fît. Il était donc utile de rééditer et de traduire ces pages où il apparaît qu'Appien jugeait justifiée la rancune de Philippe V, ulcéré de l'ingratitude des Romains qu'il avait loyalement soutenus contre Antiochos III, et portait sur Persée un jugement favorable en montrant que ses qualités l'avaient rendu suspect aux Romains. Le Livre illyrien, malgré sa brièveté, reste une source historique de première importance. Dans la première partie du livre, consacrée aux guerres menées par les Romains dans la région de l'Adriatique contre des populations pratiquant la piraterie, Appien suit une tradition originale fort éloignée de Polybe, en particulier pour tout ce qui concerne Démétrios de Pharos. Dans la seconde partie, la plus détaillée, Appien relate, d'après les Mémoires d'Auguste, les opérations menées par celui-ci dans les Balkans après sa victoire sur Sextus Pompée et l'élimination de Lépide. Même s'il ne s'agit que d'un résumé, d'ailleurs plus complet que celui que Dion Cassius donne des mêmes événements d'après la même source, nous remontons à travers Appien au témoignage d'Auguste, qui, dirigeant les opérations et participant aux combats, donna de ces guerres engagées contre des populations mal connues une relation qui s'apparentait, semble-t-il, aux fameux "Commentaires" de César. Bref, en dépit des accidents de la tradition manuscrite qui ont entraîné la perte d'une partie de sa substance, et plus particulièrement le récit des fameuses batailles de Cynoscéphales et de Pydna, ce livre IX de l'Histoire romaine reste une source documentaire de première importance dont la réédition sur des bases scientifiques solides et la traduction en langue française paraissent entièrement justifiées. Le commentaire a bénéficié d'un concours de premier ordre, celui du professeur Pierre Cabanes, le meilleur connaisseur français des questions illyriennes.

11/2011

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Ethnologie

Les Pandé de Bali : la formation d'une "caste" et la valeur d'un titre

Avant-propos Brève note sur la transcription et la prononciation des mots balinais Introduction Première partie Le positionnement du fait Pandé Chapitre I : Le repérage des groupes Pandé 1. Les artisans et les Pandé dans l'ancienne société 1. 1 Présentation des sources 1. 2 Les chartes des anciens rois de Bali 1. 3 Les sources javanaises 1. 4 Les sources néerlandaises 2. Les métiers de Pandé, la parenté et le titre de Pandé dans la société contemporaine 2. 1 Groupes d'artisans et groupe de parenté 2. 2 Différences et similitudes des groupes Pandé 2. 3 Les Pandé Bali Aga Chapitre II : Les cadres de l'identité Pandé 1. Groupes locaux ou localisés et unités translocales 1. 1 Introduction au contexte de la parenté 1. 2 Unités de résidence, sanggah, sanggah gedé et dadia 1. 3 Les unités translocales : parenté et hiérarchie 2. Déformations et déplacements des groupes de parenté 2. 1 Fusions et scissions 2. 2 Localisation et délocalisation Deuxième partie Le cas des Pandé Bratan Chapitre III : La formation d'un groupe titré 1. Les groupes localisés et leurs temples 1. 1 Les dadia et familles du Nord et du Sud 1. 2 Les différences inscrites dans les temples 2. La tradition des origines et l'origine de la tradition 2. 1 Les nouveaux Pandé Bratan du Sud 2. 2 Les Bratanais et l'ancien village de Bratan 2. 3 Changements sociaux et glissements d'identité Chapitre IV : La mise en écriture du récit des origines 1. La version de Jadi 1. 1 Mpu Bumi Sakti, l'ancêtre de Madura 1. 2 Les voyages à Bali 1. 3 Les circonstances du départ de Madura 1. 4 Le châtiment de Brahma 2. Les différences de la version de Mengwi 2. 1 Les références au fonds littéraire javanais 2. 2 Les emprunts à la chronique de Gélgél 2. 3 L'appel à la tradition des Pandé Tusan 2. 4 Autres distorsions et réajustements Troisième partie L'idéologie Pandé Besi et ses fondements Chapitre V : Le mouvement Pandé et son contexte social 1. L'affirmation de la différence Pandé 1. 1 Les signes d'un statut noble 1. 2 Le refus de l'eau lustrale brahmanique 1. 3 L'impulsion en faveur de l'unité 2. Conformité et opposition aux valeurs de la société de castes 2. 1 L'attraction du statut de Satria 2. 2 Les implications de la dissidence religieuse Chapitre VI : La double tradition écrite des Pandé Besi 1. Présentation des manuscrits étudiés 1. 1 Les textes non-retenus 1. 2 Les textes de la tradition Pandé Besi 2. L'histoire des guerriers de Majapahit 2. 1 Le fait et le dit des ancêtres javanais 2. 2 La conformité au modèle Triwangsa 3. Le "Trésor Révélé" 3. 1 Aji Besi, le forgeron primordial 3. 2 Antériorité, supériorité et séparation des Pandé Besi 4. Acceptation et contestation de la hiérarchie des castes Conclusion Appendice A : Le texte balinais de l'histoire des origines des Pandé de Serongga Appendice B : Traduction du texte et commentaires introductifs Appendice C : Quatre documents sur l'affaire de Ben

01/1987

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Ecrits sur l'art

Soliloques d'un peintre. Écrits 1896-1958

Contemporain des avant-gardes du début du XXe siècle, Georges Rouault (1871-1958) participa au Salon d'Automne de 1905, dit des "? fauves ? ", avec Matisse, Camoin, Derain et Manguin. Peintre de nus, de portraits, de paysages, il fut également céramiste, graveur et illustrateur de livres pour Ambroise Vollard, qui fut son marchand à partir de 1917 ; puis dessinateur de modèles pour la tapisserie et le vitrail. Inspiré par les sujets religieux et par le cirque, dont il fut un fervent spectateur, Rouault s'impose comme le peintre des laissés pour compte de la société, dont il donne une image expressive et intense, souvent saturée de matière. Or sa création artistique, très riche et variée, fut doublée d'une production littéraire continue, que ce recueil permet de redécouvrir. G. Rouault fut d'abord un témoin de son temps ? : auteur de mémoires sur ses contemporains, notamment sur son maître à l'Ecole des Beaux-Arts Gustave Moreau, ou sur ses amis écrivains Léon Bloy, André Suarès et Joris-Karl Huysmans, il publia en 1926-1927 Souvenirs intimes, qui reste son ouvrage le plus célèbre avec Soliloques, édité en 1944. Premier conservateur du musée Gustave Moreau de Paris, il fut encore un théoricien, dont les articles étaient très prisés dans la presse artistique entre les années 1920 et 1950. Poète polémiste, il composa un texte en prosimètre enflammé, Cirque de l'Etoile filante (1938), qui use de la métaphore du cirque pour donner une image onirique et très personnelle de l'actualité politique et sociale. Une grande partie des textes parus du vivant de Rouault étaient épuisés ou bien difficiles à réunir ou encore très lacunaires. L'édition établie et annotée par Christine Gouzi avec la collaboration d'Anne-Marie Agulhon, réunit pour la première fois la majorité d'entre eux et les replace dans leur contexte. Le lecteur y trouvera encore de nombreux manuscrits inédits, qui complètent la connaissance de Rouault polygraphe. L'ouvrage permet ainsi d'aborder des textes autobiographiques jamais retranscrits, des souvenirs sur les artistes que le peintre a côtoyés, mais aussi un livre théorique intitulé Ingres, Degas, Renoir, Cézanne, ainsi qu'une pièce de théâtre burlesque, narrant les aventures d'Ubu fils critique d'art, rédigée à l'imitation de l'Ubu Roi d'Alfred Jarry. On a aujourd'hui oublié qu'à la suite du procès qui l'opposa aux héritiers de Vollard, en 1946-1947, Rouault fut le rédacteur du texte qui servit à établir la loi sur la propriété intellectuelle : un des chapitres rappelle cet épisode essentiel des années d'après-guerre. De même Rouault poète restait un inconnu ? : influencé par Apollinaire, par Jehan-Rictus, Verlaine et Villon, il composa pourtant de nombreux poèmes en vers libres ou en prose, qui peuvent être analysés en symbiose avec ses gravures, ses peintures ou même les nombreuses illustrations qu'il imagina au cours de sa vie. A travers les écrits de Rouault, c'est donc l'homme et l'artiste qui se révèle sous un nouveau jour, à la fois plus familier et plus engagé.

10/2022

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Histoire de France

Journal d'un interné. Drancy 1942-1943

Drancy de Georges Horan est un manuscrit inédit récemment découvert par sa famille. Connu pour ses 56 estampes publiées en 1947 sous le titre Drancy, seuil de l'enfer juif (dont la réédition a lieu en parallèle par les éditions Créaphis), Horan livre ici un texte exutoire et cathartique rédigé dans les semaines qui suivent sa libération du camp en mars/avril 1943. La sincérité et l'immédiateté du texte lui confèrent une portée particulière. "Ecrit pour [lui], pour [s]e libérer d'une obsession", ce texte à usage privé ne le force pas à l'optimisme, contrairement à sa correspondance avec sa famille. Il fait preuve d'humour, d'ironie et de lucidité, s'autorise un style très personnel qui ajoute à ce texte une indéniable dimension littéraire, rare pour ce type de document. Il s'agit de "fixer sur le papier" ce dont il fut le témoin au cours de son internement, débuté le 10 juillet 1942. Encouragé par René Blum, jeune frère de Léon, il a dessiné ces "choses vues" mais il les a aussi décrites. Ce texte inédit, qui documente notamment l'été 1942, une des pires périodes du camp, éclaire ses dessins d'un jour nouveau et donne des clefs de compréhension sur ce moment majeur pour l'histoire du camp de Drancy. Celui-ci devient alors le camp de transit de l'ensemble des camps d'internement des juifs de zone occupée, comme de zone libre, principalement vers Auschwitz-Birkenau. Son témoignage sur les déportations en gare du Bourget est exceptionnel : de "corvée de Bourget" il est "porteur de bagages" pour les départs et les arrivées. Thomas Fontaine, historien et directeur du musée de la Résistance national, développe en postface l'importance du rôle de cette gare dans le processus de déportation et de l'enjeu mémorial qu'elle constitue. Extraits de texte (avant-propos de Georges Horan) : 16 avril 1943. J'écris ceci pour moi. Pour me libérer d'une obsession. J'essayerai difficilement d'être objectif et m'appliquerai à n'être qu'un témoin, un oeil attentif. Si la subjectivité ne veut point se soumettre, tant pis. [...] J'écris pour moi-même. Peut-être en donnerai-je une lecture, afin que personne ne m'interroge plus sur Drancy. Je suis intoxiqué de Drancy, saturé. Toutes ses images - j'en ai fait des centaines, peut-être un millier – me sont familières ; elles sont impressionnées dans ma pensée, et mes yeux les reconstituent. Je dors encore sous leur maléfique influence. Je n'ai que ce moyen de leur échapper ; les fixer sur le papier. Elles s'useront. Mais auparavant je dois leur donner un corps, une forme. Je ne suis malheureusement ni Callot ni Goya ni Picasso. Mais j'ai promis aux compagnons de retracer leur misère. C'est un devoir. De ces centaines de croquis, de silhouettes, je dois tirer une documentation vengeresse. [...] Je dois dire pour ceux qui ne le peuvent. Certaines affirmations déplairont parce que vraies. Je ne dresse pas un réquisitoire : il se dégagera lui-même. Je ne plaide pas une cause ; d'autres le feront. J'ai vu fort peu de noblesse ; mais énormément de laideur, de bassesse et d'horreur. Quoique je fasse je ne saurai jamais dépeindre l'épouvante des nuits précédant les déportations : les hurlements désespérés des femmes, les lamentations, les pleurs, les gémissements des enfants et des bébés. Je suis tellement inférieur à la tâche à accomplir. Dussé-je revivre péniblement en ma chair, en mon esprit, en mon coeur les tourments qui ont cessé provisoirement pour moi, que je dois l'entreprendre. Et que mes compagnons et les autres me pardonnent si je ne réalise que partiellement ce travail épouvantable.

10/2017

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Critique littéraire

Quelques bibliothèques de la famille royale sous la tempête révolutionnaire à Versailles. Tome 2

En 1791, les acquéreurs des Biens Nationaux des couvents et des abbayes se sont vites précipités pour acheter les terres et bâtiments appartenant aux religieux. Il faut reconnaître qu'à la fin des enchères, les municipalités se trouvent avec un nombre considérable d'archives et d'ouvrages souvent très anciens, restant sans affectation et jugés plutôt encombrant. Dans les grandes villes un dépôt se constitue (souvent dans un ancien couvent) pour stocker ces archives et ces livres en attendant. Inutile de rappeler que les bibliothèques des monastères et des abbayes sont les plus anciennes et les plus riches du royaume à l'époque. En 1794, la vente des biens des émigrés pose à nouveau k même problème : si les terres et les meubles sont toujours facilement monnayables et nouaient facilement de nouveaux acquéreurs ; les archives et les livres intéressent toujours peu de monde et certainement pas les acheteurs étrangers. Des personnes avisées, souvent d'anciens bibliothécaires, vont user de toutes leurs influences auprès de leurs administrations (surtout à Paris) pour que mm ce qui ne peut pas être utilisé directement par l'Administration Républicaine, l'Armée ou l'Instruction Publique ne soit pas détruit. L'idée est de regrouper ces livres et ces archives dan un local dédié pour l'instruction des Enfants de la République et la connaissance des Citoyen : c'est l'origine de la création des bibliothèques Nationales et Municipales et des Archives Nationales / Départementales que nous connaissons aujourd'hui. Les bibliothécaires Parisien vont imposer l'idée de constituer un catalogue général des ouvrages les plus remarquables à conserver qui sont contenus dan les Bibliothèques des émigrés sur tout k territoire de la République et en particulier des membres de la famille royale. Tous les départements doivent se mettre au travail pour réaliser le catalogue en suivant les critères de sélection de l'époque et d'envoyer le résultat à Paris .... L'administration du département de la Seine et Oise (aujourd'hui Yvelines) va trainer : elle a fort à faire par ailleurs et ton ses employés sont occupés à plein temps dans la vente des bien nationaux de la famille "Capet" et des émigrés, trouver dan l'urgence des locaux pour héberger des troupes militaires de passages, s'occuper des blessés dans une ambiance permanente de guerre civile ou de crainte d'une invasion étrangère. Le 23 juin 1794, les administrateurs du département de Seine et Oise reçoivent une lettre venant de Paris qui les invite à se mettre immédiatement au travail et sans chercher de nouvelles excuses. Grâce à cette lettre (reproduite au début de cette transcription), nous pouvons découvrir aujourd'hui le catalogue des ouvrages des membres de la famille royale qui sont estimés dignes d'être conservés en 1794 et qui fait l'objet de cette publication. Les livres ne sont plus dans les bibliothèques, mais regroupés dan des salles du château pour en faciliter leur conservation et leur surveillance car le mobilier du château est entrain d'être vendu... Ce catalogue est construit à partir d'une sélection rigoureuse, on évite de mentionner des titres en double voir en triple exemplaires et même plus, les ouvrages ou manuscrits concernant la Religion, les usages de l'Ancien Régime ne sont pas mentionnés sauf si ils présentent une reliure remarquable. Malgré ces limites, ce "catalogue" est tout de même un remarquable témoin de la richesse culturelle des bibliothèques de la famille royale !! Jean-Luc Augustin

12/2018

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Bibliothéconomie

La Revue de la BNU N° 26

Dans la suite du précedent, ce numéro aurait pu s'intituler "La fabrique de l'art", tant les divers usages commentés dans les pages qui suivent documentent, à différents degrés et suivant plusieurs étapes, la réalité du processus créatif. Les carnets d'artistes sont aussi des "musées de papier" et à ce titre, renvoient de façon plus générale à la fonction même des bibliothèques dont l'ouverture, toute récente, de ses espaces muséaux par la Bibliothèque nationale de France dans le "quadrilatère Richelieu" témoigne de façon éclatante. On y voit certes davantage de manuscrits que de carnets – l'étape ultérieure, au fond, du processus créatif ; mais on sait l'importance que ceux-ci ont pu avoir chez des auteurs aussi divers qu'Hugo, Flaubert, Valéry ou encore Butor... pour nous limiter à l'espace francophone, car on aurait tout aussi bien pu évoquer les carnets d'Hermann Lenz ou de Peter Weiss, ou encore les 14 000 pages noircies par Joyce pour la préparation de Finnegans Wake. Griffonner dans un petit carnet, une activité qui peut donc avoir plus de signification qu'elle n'en a l'air... et dont il nous semble important de rendre compte, car elle n'est peut-être plus évidente pour tous. A l'ère des iPhones, smartphones et autres tablettes numériques, le carnet d'artiste, d'écrivain ou de chercheur a-t-il encore une signification ? Pis encore, que représente-t-il dans l'imaginaire collectif alors que, dans le monde académique, l'expression "carnet de recherche" renvoie plutôt, aujourd'hui, aux blogs mis en place par l'infrastructure OpenEdition et qui sont, eux, totalement numériques. Dans ce cas aussi, les profondes mutations à l'oeuvre nous imposent de prendre le temps de réfléchir et de questionner la place que doit prendre, dans la valorisation de notre patrimoine, celle de nos "musées de papier". Car l'intelligibilité d'une oeuvre ne va pas de soi. De même qu'il n'y a pas de beau absolu, chaque époque et chaque civilisation créant régulièrement les siens, de même on ne saurait parler d'intelligence absolue, qui survivrait de façon mécanique et en dépit des convulsions chroniques du monde. Un savoir évident, intégré, qu'une époque donnée (et une génération donnée) va considérer comme un acquis définitif peut finir par disparaître ou ne devenir que l'apanage de quelques-uns : on ne saurait jurer que (par exemple) les tragédies de Corneille fassent encore partie du bagage obligé de l'étudiant en lettres, ni que le même étudiant soit encore en capacité de comprendre la langue de cet auteur. On ne saurait jurer non plus (pour revenir à l'histoire de l'art) que l'importance pour celle-ci du patrimoine religieux du 20e siècle soit véritablement un sujet d'appropriation collective, quand on constate l'état souvent préoccupant des églises de banlieues et de quartiers construits après la Seconde Guerre mondiale. C'est pourquoi il est nécessaire de s'intéresser à la "fabrique de l'art", de sonder ainsi le processus créatif et de voir comment les artistes, les écrivains ou les penseurs se sont nourris à la fois d'un dialogue avec leurs pairs comme d'une fréquentation des oeuvres du passé – pour mieux inventer le langage de leur temps.

01/2023

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Critique littéraire

Quelques bibliothèques de la famille royale sous la tempête révolutionnaire à Versailles

En 1791, les acquéreurs des Biens Nationaux des couvents et des abbayes se sont vites précipités pour acheter les terres et les bâtiments appartenant aux religieux. Il faut reconnaitre qu'à la fin des enchères, les municipalités se trouvent avec un nombre considérable d'archives et d'ouvrages souvent très anciens, restant sans affectation et jugés plutôt encombrant. Dans les grandes villes un dépôt se constitue (souvent dans un ancien couvent) pour stocker ces archives et ces livres en attendant. Inutile de rappeler que les bibliothèques des monastères et des abbayes sont les plus anciennes et les plus riches du royaume à l'époque. En 1794, la vente des biens des émigrés pose à nouveau le même problème : si les terres et les meubles sont toujours facilement monnayables et trouvent facilement de nouveaux acquéreurs ; les archives et les livres intéressent toujours peu de monde et certainement pas les acheteurs étrangers. Des personnes avisées, souvent d'anciens bibliothécaires, vont user de toutes leurs influences auprès de leurs administrations (surtout à Paris) pour que tout ce qui ne peut pas être utilisé directement par l'Administration Républicaine, l'Armée ou l'Instruction Publique ne soit pas détruit. L'idée est de regrouper ces livres et ces archives dans un local dédié pour l'instruction des Enfants de la République et la connaissance des Citoyens : c'est l'origine de la création des bibliothèques Nationales et Municipales et des Archives Nationales / Départementales que nous connaissons aujourd'hui. Les bibliothécaires Parisiens vont imposer l'idée de constituer un catalogue général des ouvrages les plus remarquables à conserver qui sont contenus dans les Bibliothèques des émigrés sur tout E territoire de la République et en particulier des membres de la famille royale. Tous les départements doivent se mettre au travail pour réaliser le catalogue en suivant les critères de sélection de l'époque et d'envoyer E résultat à Paris... L'administration du département de la Seine et Oise (aujourd'hui Yvelines) va usiner elle a fort à faire par ailleurs et tous ses employés sont occupés à plein temps dans la vente des biens nationaux de la famille "Capet" et des émigrés, trouver dans l'urgence des locaux pour héberger des troupes militaires de passages, s'occuper des blessés dans une ambiance permanente de guerre civile ou de crainte d'une invasion étrangère. Le 23 juin 1794, les admistrateurs du département de Seine et Oise reçoivent une lettre venant de Paris qui les invite à se mettre immédiatement au travail et sans chercher de nouvelles excuses. Grâce à cette lettre (reproduite au début de cette transcription), nous pouvons découvrir aujourd'hui le catalogue des ouvrages des membres de la famille royale qui sont estimés dignes d'être conservés en 1794 et qui fait l'objet de cette publication. Les livres ne sont plus dans les bibliothèques, mais regroupés dans des salles du château pour en faciliter leur conservation et leur surveillance car le mobilier du château est entrain d'être vendu... Ce catalogue est construit à partir d'une sélection rigoureuse, on évite de mentionner des titres en double voir en triple exemplaires et même plus, les ouvrages ou manuscrits concernant la Religion, les usages de l'Ancien Régime ne sont pas mentionnés sauf si ils présentent une reliure remarquable. Malgré ces limites, "catalogue" est tout de même un remarquable témoin de la richesse culturelle des bibliothèques de la famille royale !! Jean-Luc Augustin

12/2018

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Littérature française

Carnets. En un mot comme en quatre

Samuel Taylor Coleridge a commencé à tenir un carnet de notes en 1794 dans sa vingt deuxième année, lors d'une randonnée au Pays de Galles. Il devait en garder l'habitude quarante ans durant, jusqu'aux dernières semaines de sa vie. Ces carnets, le poète les qualifia lui-même de "carnets de poche" , de "confidents" , "d'amis" ou de "compagnons" . C'est dire le rôle et l'importance que ces notations au fil de la plume revêtent pour celui qui dit encore de ces "confidents" qu'ils sont sans doute les seuls qui ne "l'ont point trahi" et de ces "compagnons" que devant eux il n'avait "pas honte de se plaindre, de languir, de pleurer". Ces Carnets constituent une masse considérable de manuscrits, Coleridge tenant simultanément plusieurs carnets, parfois sans date, parfois entrecoupés de pages blanches que le poète remplissait parfois après de longues années. Mais la vitalité de cette pensée, l'acuité de l'observation font de cet ensemble bien davantage qu'une simple introduction à l'oeuvre poétique de l'auteur du Dit du Vieux marin. Il suffit de feuilleter les Carnets, dans la merveilleuse traduction de Pierre Leyris, pour être saisi par l'urgence poétique de cette écriture : "Mardi matin, 10heures et demi, 17 avril 1804 : La nuit dernière, bourrasques, ballottements sans merci, mes rêves pleins de peine et de larmes amères". Puis : "Souvent il pleurait dans soin sommeil et il s'éveillait pour trouver/Son oreiller, sous sa joue, froid de larmes/Et pour trouver ses rêves/Si fidèles au passé, ou si prophétiques". Décrire un ciel, une lumière, un arbre, c'est à la fois apaiser la fièvre de la pensée et lui donner une direction. Les Carnets sont l'expression même de l'incandescence d'une pensée qui donnera par la suite les poèmes les plus bouleversants. Suivis de "En un mot comme en quatre" par Antonin Artaud (1896 - 1948) "En un mot comme en quatre, Samuel Taylor Coleridge, comme un certain nombre de poètes notoires à qui comme à lui il fut ordonné de se taire par tels moyens de brimade occulte auxquels il serait temps enfin d'apprendre à résister, Coleridge, dis-je, avait eu vent d'une vérité qu'il n'a pu transmettre à personne et qu'il n'a pu faire passer dans ses poèmes que de très loin (...)" Ainsi commence cet étonnant commentaire des Carnets par Artaud, en 1947, lequel poursuit un peu plus loin : "Car ce qui reste de Coleridge dans ses poèmes est encore moins que ce qui de lui-même est resté dans sa propre vie". Ces quelques lignes disent assez la proximité profonde, intime, presque indicible en réalité, qui, à un siècle distance, lie Coleridge à Antonin Artaud. Peu de temps après le retour d'Antonin Artaud de Rodez, Henri Parisot lui demanda d'écrire une préface pour une traduction qu'il préparait de poèmes de Coleridge. Entre juillet et octobre 1946, Antonin Artaud entreprit à plusieurs reprises d'écrire cette préface sans parvenir à un texte qui le satisfasse. Finalement il envoya en novembre un texte à Henri Parisot sous forme de lettre à laquelle il donna le titre de "Coleridge le traitre". Texte sur lequel Artaud pratiqua par la suite nombreuses corrections manuscrites. Ecrit en juin 1947, au moment où il apportait les derniers remaniements de son texte, le dernier fragment présenté ici, constitue vraisemblablement l'un de ces adendas. Les deux oeuvres ont été publiées ensemble dans la revue L'Ephémère (n° 17) à l'été 1971.

03/2024

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Critique littéraire

Bibliothèque historique. Fragments Tome 1 Livres VI-X, Edition bilingue français-grec ancien

Le livre offre une édition critique, accompagnée d'une traduction et d'un commentaire philologique et historique, des livres de la deuxième pentade de Diodore de Sicile, qui fait aller le lecteur de la fin des antiquités grecques à la première guerre médique. Participant avant tout du renouveau d'intérêt qu'a connu l'oeuvre de Diodore dans les dernières décennies, cette édition entre également de façon générale dans le cadre des recherches qui se sont développées en Italie, en France, et en Belgique, dans le cadre des historiens "fragmentaires" . En effet, comme les livres des troisième et quatrième décades, les livres VI-X ne subsistent plus qu'à l'état de fragments, depuis qu'a péri, en 1453, le dernier témoin manuscrit du texte complet. Le gros des fragments se trouve dans les Excerpta Constantiniana, une collection d'extraits d'historiens de langue grecque que l'empereur byzantin Constantin VII Porphyrogénète fit compiler durant la première moitié du Xe siècle ; le reste est constitué de citations ou de paraphrases, témoignages de quelques apologistes, chronographes ou autres érudits de l'antiquité tardive et de la période byzantine, qui, pour différentes raisons, citèrent Diodore de Sicile dans leurs oeuvres. A partir de ce matériau riche et complexe, l'auteur a entrepris de reconstituer l'économie générale et le contenu de chacun des cinq livres, avec une attention particulière portée aux problèmes de chronologie : lorsque l'historien présente, au livre I, le plan d'ensemble de son enquête, en insistant sur l'unité des six premiers livres, celui-ci met en place une construction chronologique et thématique qui fait du livre VI le dernier livre "mythologique" , mais aussi le dernier livre des "archéologies grecques" . Dans la transition avec les temps olympiques (de 1184/3 à 777/6), Diodore semble suivre le modèle d'exposition défini par Apollodore d'Athènes dans ses Chronika : l'historien s'achemine donc définitivement vers le spatium historicum (introduit au livre VII), l'articulation choisie étant la fin de la guerre de Troie. Cet examen de la chronologie s'inscrit dans le cadre d'une analyse historiographique plus large. En effet, il est un point essentiel, pivot dans l'interprétation de la structure de la Bibliothèque, sur lequel Diodore se détache particulièrement de ses prédécesseurs : c'est dans la conception qu'il propose de l'histoire universelle, étudiée en détail dans l'édition. La tâche était particulièrement difficile de fondre dans une même narration le récit des épisodes survenus en tant de points de l'oecoumène (traitée comme ??? ?????), en partant des origines et rejoignant son temps, tout en respectant la méthode annalistique : comment éviter de manquer au précepte de continuité, à celui d'unité dans la composition, et enfin à celui de symétrie, que Diodore professe en tout point de l'oeuvre ? Dans les livres VI-X se trouvent certains éléments de réponse, et certaines traces de la façon dont l'historien tissa ensemble épisodes principaux et narrations de faits parallèles. Le commentaire examine en outre plusieurs questions d'exégèses théologiques, liées notamment à la doctrine évhémériste, qui trouvait un aboutissement dans la Bibliothèque historique. Les fragments de tendance évhémériste constituent du reste une parfaite illustration de la difficulté qu'il y a d'interpréter la littérature fragmentaire : le commentaire tâche de démêler soigneusement dans chaque fragment ce qu'il importe de prêter au citateur, voire aux citateurs successifs, dont la concaténation demandait à être détaillée, et ce qu'il convient de reconnaître en dernière analyse à Diodore de Sicile. Ancienne étudiante de l'université Paris-IV-Sorbonne et de l'Ecole normale supérieure de la rue d'Ulm, docteur de l'université de Paris-IV et de la Scuola Normale Superiore de Pise, Aude Cohen-Skalli enseigne depuis 2010 à l'université de Nice-Sophia Antipolis. Elle a participé à plusieurs colloques sur l'oeuvre de Diodore de Sicile et sur l'histoire de la Sicile grecque et romaine, et est l'auteur d'une dizaine d'articles sur la Bibliothèque historique de Diodore, sur l'histoire de la Sicile, sur les historiens grecs de Rome et sur des questions d'historiographie fragmentaire.

05/2012

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CD K7 Littérature

Le Maître et Marguerite

Le Maître et Marguerite, « roman-univers » au même titre que Gargantua et Pantagruel, Don Quichotte, La Guerre et la Paix, ou encore La Montagne magique et quelques autres, est incontestablement le grand oeuvre de Mikhaïl Boulgakov (1891-1940). Il l’appelle lui-même son « grand roman » . Son élaboration, son écriture ont occupé, plus ou moins secrètement, les douze dernières années de sa vie. L’étoffe dans laquelle est habilement « coupé » et façonné ce roman est un tissu serré de composantes autobiographiques et de savoirs, mais c’est un tissu dont on ne sent pas le poids. Ce « grand » roman n’est pas volumineux, comparé aux romans les plus célèbres d’un Tolstoï, d’un Dostoïevski ou d’un Victor Hugo. On vient aisément à bout de ses deux parties. Le lecteur non russe n’achoppe même pas sur le premier obstacle que constitue souvent pour lui la mémorisation des prénoms, patronymes et noms de famille, grâce à l’ingéniosité avec laquelle ils sont introduits. En Russie, actuellement, Le Maître et Marguerite est même considéré comme un « livre pour la jeunesse » : cet avatar inattendu de la grande popularité posthume dont il a toujours joui témoigne, en tout état de cause, de l’agrément et de la facilité que présente sa lecture. L’attrait le plus immédiat du roman tient à la richesse et aux rebondissements de son sujet. Le Maître et Marguerite se développe à partir d’une journée de printemps dans un quartier tranquille du Moscou soviétique des années 1920-1930. Sous le regard d’un énigmatique étranger, quantité d’événements « scandaleux », tragiques et comiques déferleront sur la population moscovite et sur quelques individus spécialement ciblés, des événements auxquels les victimes et les pouvoirs publics s’évertueront en vain à trouver des explications rationnelles, se refusant obstinément à leur attribuer une cause « magique ». Le lieu de la scène initiale a tôt fait de s’agrandir et les protagonistes de se multiplier : le cadre de l’action s’élargit à tout Moscou (centre et périphérie), à la Russie, à la Palestine et à tout l’au-delà. Un autre roman commence ici à s’imbriquer dans le roman « moscovite » ; il sera mené à son terme dans trois autres chapitres non consécutifs, ingénieusement intégrés dans le sujet contemporain. Il s’agit bien en effet d’un roman dans le roman, nourri de tout une documentation, biblique, apocryphe et légendaire, qui s’inscrit dans le genre fondé par Renan dans sa Vie de Jésus. Mais le héros en est Pilate plutôt que « Iéchoua » . L’écrivain génial qu’est le Maître, par manque de courage et d’audace, renonce à sauver son oeuvre menacée et préfère disparaître ; la téméraire Marguerite, prête à tout pour retrouver l’écrivain et son manuscrit, conclut une forme de pacte avec le fameux étranger, qui lui dit se nommer Woland, et se voit entraînée, de son plein gré, dans d’extraordinaires aventures. Si, malgré la complexité de son sujet, Le Maître et Marguerite n’est pas d’une lecture ardue, si l’on s’oriente sans effort aux croisements de sa double intrigue, cela s’explique, pensons-nous, par les talents de conteur et d’homme de théâtre que Boulgakov applique ici à sa prose romanesque. Mais comment ce roman pourrait-il être à ce point divertissant s’il ne l’avait pas été en premier lieu pour son auteur ? C’est d’abord pour se « divertir » lui-même d’une existence que des frustrations bien amères lui ont rendue insoutenable que Boulgakov entreprend, en 1928, son roman « sur le diable », d’abord sans intention, et bientôt sans espoir, de le voir jamais publier. Le Maître et Marguerite apparaît bien comme une quête à la fois passionnée et incertaine de Vérité et d’Absolu. La seule Vérité qui s’impose à l’écrivain, à laquelle il se voue avec une grande constance et un grand bonheur, c’est l’écriture. C’est, en définitive, un exploit d’écriture qui est illustré dans et par Le Maître et Marguerite, et qui s’y révèle superbement rédempteur.

01/2011

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Critique littéraire

Revue de la Bibliothèque nationale de France N° 61, octobre 2020 : Singeries

" Singeries : tableaux représentant des primates déguisés en humains dans des scènes comiques dans la France du XVIIIe siècle ; grimaces des hommes, en référence aux soi-disant mimiques de leurs cousins primates. " Une ressemblance troublante Ce dossier de la Revue de la Bibliothèque nationale de France remonte aux bases de l'histoire naturelle et de la primatologie, avec " Jocko ", petit chimpanzé que Buffon fait naturaliser assis sur un tabouret. D'emblée, c'est la ressemblance physique du singe avec l'homme qui interroge : une autre discipline s'en empare, la physiognomonie, qui entend déduire la personnalité d'un individu à partir de son apparence physique. Pour autant, Lavater, son fondateur, ne s'y intéresse que pour le maintenir à distance. se méfie des comparaisons hâtives avec les animaux et réaffirme au contraire la supériorité de l'homme (du fait de ses convictions religieuses). Il faut attendre les Lumières puis la théorie de l'évolution des espèces de Darwin (1858) pour soustraire l'homme du cadre biblique et l'insérer au sein du règne animal. L'apparition du grand singe en Europe, à travers les circuits de l'esclavage notamment, pose la question des limites de l'humain. Un imaginaire raciste se diffuse alors par l'intermédiaire des zoos humains et des spectacles de freak shows, remplacés à partir des années 1930 par l'industrie du cinéma. Les " singeries " dans les arts Dans les arts picturaux et ornementaux, la représentation du singe et plus largement de l'animal évolue : si le motif simiesque est très apprécié dans l'Antiquité, il devient plus rare dans l'imagerie chrétienne, car associé au péché et très vite relégué à un statut purement décoratif qui annonce les singeries du XVIIIe siècle, comme chez Chardin ou Grandville. Au cours du XIXe siècle, le singe est de moins en moins représenté sous une forme anthropomorphique. Influencé par la société protectrice des animaux (fondée en France en 1845), l'art animalier se renouvelle en profondeur, remettant en cause la suprématie de l'homme dans la hiérarchie naturelle. Le rapport homme-singe a beaucoup inspiré la littérature, brouillant les frontières inter-espèces. Les premiers orangs-outans, exhibés au début du XIXe siècle, comme dans la nouvelle d'Edgar Poe L'Orang-outan, nous renvoient l'image de notre propre bestialité. De même, Pierre Boulle qui publie en 1963 La Planète des singes, adapté au cinéma en 1968, s'interroge sur la nature conflictuelle et mimétique des relations entre l'homme et l'animal. Les singeries du côté des singes Le singe est-il véritablement cet imitateur divertissant que l'on s'est plu à définir au fil des siècles ? L'imitation est un processus essentiel de l'apprentissage chez les primates, comme le démontre l'expérience menée avec Nénette, orang-outan le plus célèbre de la ménagerie du Jardin des Plantes. Pour revenir sur ce mythe de singe imitateur, Sabrina Krief, primatologue et professeure au Muséum national d'histoire naturelle, spécialiste des relations entre humains et grands singes, analyse les comportements de ces derniers en Ouganda, de l'automédication à l'apprentissage. Elle milite pour la reconnaissance de la vulnérabilité des primates et de leur environnement : ces espèces doivent être mieux connues pour être mieux protégées pour leur valeur intrinsèque, et non parce qu'elles répètent des scénettes inculquées sous la contrainte du dressage. Rubriques " Autour d'une oeuvre " dédié à la première " revue du nu ", Le Nu esthétique (1902), à mi-chemin entre académisme et érotisme " Découverte " de l'art des feux d'artifice au XVIIe siècle à partir de manuscrits conservés à la BnF Une " galerie " consacrée à un passionné de théâtre, Guillot de Saix, et à son don au département des Arts du spectacle " Innovation " (à confirmer) : la naissance du patrimoine numérique (E. Bermès)

10/2020

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Littérature française

L'Autre Livre

"? Ecrivain ?? (...) Ce mot a son importance. Je ne voulais surtout pas être romancier, ni poète, ni essayiste, ni auteur de théâtre. Mais écrivain. ? " Pour Michel Butel, disparu en 2018, être écrivain, ou du moins "? apprenti écrivain ? " comme le consigne un officier méfiant durant son service militaire, signifiait essentiellement ne pas faire de l'écriture une activité cloisonnée ? : écrire sans distinction des poèmes, des contes, des nouvelles, des romans, des essais, des fragments d'essais, d'autres choses encore qui échappent à ces qualifications génétiques. A cela s'ajoute également la création de journaux, aux titres déjouant à eux seuls les attentes du champ médiatique ? : L'autre journal, Encore, l'azur ou L'impossible. Au coeur de son oeuvre éparse se trouve cependant une profonde et cohérente nécessité. Il est avant tout un écrivain qui écrit depuis "? la diagonale du désespoir ? ", au sens où il puise dans son désespoir les ressources pour lui échapper. Ainsi notait-il, dans le volume hétéroclite L'autre livre paru en 1997 qui donne son nom à cette édition complète de ses écrits ? : "? Peut-être que tout ce qui précède la mort est une affaire de lignes, d'angles, d'inclinaisons. Peut-être la vie n'est-elle qu'une géométrie variable, les sensations seulement des positions, les sentiments des directions. Et de ce lieu où nous nous attardions, de cette vie où nous fûmes si perplexes, il ne resterait que la diagonale du désespoir. ? " Autrement dit, écrire est une manière de "? se maintenir en un état de gai désespoir ? ", comme il le dit encore, en citant son amie Marguerite Duras. La littérature, pour Michel Butel, est un consentement aux diagonales, aux flux transgressant perpétuellement les identités, aux innombrables "? lignes de fuite ? " qui nous traversent, comme les nommait son compagnon de pensée Gilles Deleuze. Elle doit lutter contre l'appauvrissement de la vie, contre la mutilation de nos vies multiples ; elle doit nous rendre à la possibilité d'être toujours "? autre ? ", de vivre plusieurs vies ? : "? Il faudrait dire à chacun et à tous ? : ayez plusieurs vies, toutes ces vies mises ensemble n'en feront jamais une, la vraie. Mais du moins, nous permettent-elles d'approcher la vie qui devrait être la nôtre, celle qu'on appelle vraie, d'ailleurs sans raison. ? " Cela revient, poursuit-il en héritier du mouvement incandescent de Mai 1968, à ne rejoindre rien qui ressemble à un parti ou à une organisation politique, mais à rejoindre plutôt "? un vol d'oiseaux ? ", "? la nuée de ceux que nous aimons ? ", où se situe "? la possibilité de vie, d'action et d'espérance ? ". Cette manière de se rendre insaisissable, les trois récits qu'il publia de son vivant, rassemblés ici selon ses voeux, en sont la quête. Ces récits tiennent à la fois du roman policier, du conte philosophique, du témoignage historique. L'Autre Amour, prix Médicis en 1977, raconte une double histoire d'amour en fuite ? : entre Enneke, actrice de théâtre au destin tumultueux, et Van, gauchiste désabusé recherché par la police ? ; plus tard entre la même Enneke et Guillaume, survivant du cauchemar nazi, tous deux pressentant avoir attendu "? quelque chose comme cela depuis les années d'enfance ? ". La Figurante, parue en 1979, en est la suite ? : Helle, devenue figurante de cinéma après une enfance à fuir les persécuteurs nazis, croise sur son chemin Enneke, mais aussi l'analyste Annehilde, le peintre Simon, et enfin Haas, désespéré et révolté, selon qui "? il nous faut mener à la fois la vie et la mort ? ". Quant au récit L'Enfant, paru en 2004, il se démarque de ces tentatives romanesques, par sa brièveté envoûtante, qui est celle d'une fable ? : dans une chambre d'hôpital, un homme recueille les paroles prophétiques d'un enfant gravement malade ? ; l'enfant n'a pas de nom, il est seulement "? celui qui transmet un message mais il ignore lequel, il ne sait pas qui le lui a confié, il ne sait plus à qui le remettre ? ". L'écrivain lui-même est comme cet enfant, qui toujours "? pense à autre chose ? ". Un dernier récit, dont l'écriture fut dictée par la secousse des attentats du 11 septembre à New York, était resté à l'état de manuscrit ? ; L'Autre Histoire est publiée ici pour la première fois. Deux inconnus l'un pour l'autre, Matthias Manzon, écrivain, et Lena Zhayan, analyste, vivent une aventure brève et passionnée, alors que le monde entier et toutes les dimensions de l'existence sont ébranlés par l'effondrement des tours jumelles. Aimer, écrire, sont les seules réponses imparfaites qu'ils entrevoient à la catastrophe : "Ecris notre réponse à ce qui eut lieu, Matthias, à ce qui avait déjà eu lieu, à ce qui aura encore lieu. / Ecris-la / dans notre langue, / qui n'est ni la langue de Dieu, ni celle du Diable, ni celle du Bien, ni celle du Mal / mais / celle de la beauté du monde, / oui, cher Matthias, / je te le demande / écris / dans notre langue / celle qui louange / la beauté du monde / où nous nous sommes connus".

10/2022

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Philosophie

Socialisme utopique et socialisme scientifique. Ludwig Feuerbach et l'aboutissement de la philosophie classique allemande

Dans ce volume, nous avons réuni deux ouvrages de Friedrich Engels : Socialisme utopique et socialisme scientifique et Ludwig Feuerbach et l'aboutissement de la philosophie classique allemande. Il s'agit de deux chefs-d'oeuvre d'Engels. Dans la division du travail établie avec Marx, c'est à Engels qu'incomba en particulier le rôle de divulgateur et de polémiste. Toutefois, les textes que nous présentons ici sont à eux seuls suffisants pour prouver sa stature de théoricien. Socialisme utopique et socialisme scientifique est composé des trois derniers chapitres, consacrés au socialisme, de l'Antidühring, un texte que nous avons déjà publié dans la " Bibliothèque jeunes " en 2007. Engels y présente le parcours historique qui, partant de la société mercantile, conduit à la nécessité du communisme, en passant par le développement capitaliste. Il s'agit en effet de la présentation des bases objectives qui permettent de fonder scientifiquement les idéaux communistes. La clarté de l'argumentation dans ces chapitres est telle que la nécessité d'en préparer une publication séparée s'était imposée immédiatement. Ce texte fut publié pour la première fois en français, à la requête de Paul Lafargue. Son succès étonnant ouvrit la voie à des traductions en de nombreuses langues. La version que nous publions ici est justement reprise de la traduction qu'en fit Paul Lafargue, et qu'Engels révisa personnellement. Ludwig Feuerbach et l'aboutissement de la philosophie classique allemande est, comme l'écrit Engels lui-même, " un exposé succinct et systématique de nos rapports avec la philosophie hégélienne, de la façon dont nous en sommes sortis et dont nous nous en sommes séparés ". Cette oeuvre, poursuit Engels, lui " parut s'imposer de plus en plus " parce que, quarante ans après avoir rédigé L'Idéologie allemande et abandonné son manuscrit " à la critique rongeuse des souris " par manque d'éditeurs disponibles, ni Marx ni lui n'avaient plus trouvé le temps de revenir sur ce sujet important. C'est dans ce texte qu'Engels désigne le mouvement ouvrier comme " l'héritier de la philosophie classique allemande " et qu'il formule l'hypothèse, pleinement confirmée par les événements ultérieurs, que la science sur le terrain social ne peut avancer " avec intransigeance et sans préventions " qu'en tant qu'arme révolutionnaire de la classe ouvrière. Pour quelle raison publier ces deux ouvrages ensemble, dans cette collection, consacrée expressément aux jeunes générations ? Le marxisme n'est pas une doctrine académique, mais une arme de lutte. Marx et Engels n'étaient pas à la recherche d'une explication de l'Histoire ou d'une interprétation de la société, mais d'une théorie capable de résoudre un problème pratique, comme cela s'est d'ailleurs souvent vérifié dans le domaine des sciences naturelles. En l'occurrence, il s'agissait de porter le prolétariat au pouvoir et de le mettre en condition d'accomplir sa tâche historique : faire passer l'humanité au communisme. Le marxisme s'est maintenu, transmis et développé pour répondre aux situations changeantes et aux développements de cette lutte. Sa validité et sa force furent prouvées par la révolution d'Octobre, lorsque le prolétariat russe s'empara du pouvoir et imposa à la bourgeoisie les intérêts et la volonté de la classe ouvrière. C'est ainsi que, pour la première fois dans l'histoire, il parvint à arrêter une guerre, la Première Guerre mondiale impérialiste. La validité et la force pratique de la théorie marxiste ne sont pas un hasard. Leurs racines sont profondes, même si, souvent, elles ne sont pas mises en évidence. Le marxisme se base sur la vision du monde la plus moderne élaborée jusqu'à présent : le matérialisme qui reprend de la dialectique hégélienne le concept d'une réalité en transformation perpétuelle. Raison et volonté humaine peuvent orienter cette transformation, dans une certaine mesure qui n'est pas du tout négligeable. La dernière des onze thèses synthétiques sur Feuerbach, formulées par Marx en 1845, proclame justement : " Les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde de différentes manières ; mais ce qui importe c'est de le transformer. " Dans l'oeuvre que nous présentons ici, ce rapport entre vision du monde et " socialisme scientifique " est dans l'ordre inverse, mais cela correspond à ce qui s'est réellement produit. Ce n'est qu'en 1888 qu'Engels trouva le temps et l'occasion de revenir sur les fondements philosophiques du marxisme. Comme nous l'avons rappelé ci-dessus, l'ouvrage consacré à leur exposition n'avait pas trouvé d'éditeur (L'Idéologie allemande fut publiée à titre posthume en 1932). Ce n'est donc que depuis la parution du Ludwig Feuerbach que le grand public eut accès à une exposition organique de ces fondements. Aujourd'hui, la compréhension des bases théoriques de la science marxiste, et la conscience qu'elle s'appuie sur la vision du monde la plus moderne élaborée jusqu'à présent par l'humanité, peuvent devenir un élément de force supplémentaire pour les jeunes, à qui cet ouvrage s'adresse en particulier. S'il est vrai, comme le prévoyait Engels, que le mouvement ouvrier est l'héritier naturel de la philosophie classique allemande, les jeunes générations d'internationalistes qui sont aujourd'hui dans la lutte sont les héritières naturelles de ce legs.

11/2014

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Critique littéraire

Ce que je fus

Ecrivain roumain d'expression française, Panaït Istrati est né le 10 août 1884 à Braïla, important port céréalier dans le delta du Danube. Enfant des fleurs, Istrati ne connaît pas son père, un Céphalonite, contrebandier de tabac qui mourut alors que Panaït n'avait que neuf mois... Le certificat d'études en poche, l'adolescent quitte sa mère Joïtza, blanchisseuse d'origine paysanne, mère admirable qui voua sa vie à un fils insaisissable qui multiplie les apprentissages, exerce cent métiers puis débarque à Alexandrie, parcourt tout le Bassin méditerranéen, fasciné par l'Orient... Avide de connaître la terre - ses hommes et ses femmes - passionné de lectures, c'est en Suisse que ce vagabond autodidacte découvre les œuvres de nos Classiques et le Jean-Christophe de Romain Rolland grâce à un écrivain juif, Josué Jéhouda qu'il rencontre au sanatorium de Sylvana-sur-Lausanne où il soignait une tuberculose qui ne devait plus jamais le quitter... C'est grâce à Rolland que le destin de Panaït Istrati bascula. C'est lui qui discernera à travers la longue lettre - dernières paroles - que lui adresse Istrati en janvier 1921, la veille de sa tentative de suicide à Nice, ainsi que dans les manuscrits qui suivront, ce tumulte du génie qui habitait le vagabond déraciné... Romain Rolland exhortera Istrati à écrire pressentant chez cet oriental passionné la puissance créatrice et la violence du cœur... Une prédiction vite confirmée. En 1924, Kyra Kyralina paraît : " Il faut que je vous le dise tout de suite ! c'est formidable ! Il n'y a rien dans la littérature actuelle qui soit de cette trempe ". Kyra sera traduit en une vingtaine de langues dans le monde entier... Les œuvres se succèdent : Oncle Anghel, Mikhaïl, Codine, Présentation des Haïdoucs, Mes départs, Méditerranée, Les chardons du Baragan... Istrati a alors quarante ans. Utilisant sa nouvelle notoriété, le nouveau Gorki des Balkans, comme le nomme Romain Rolland, poursuit inlassablement son combat pour les droits de l'homme il dénonce la terreur blanche dans les Balkans, se dresse contre la condamnation à mort des anarchistes Sacco et Vanzetti, enquête et participe au procès des mineurs de Lupéni en Roumanie qu'il défend avec passion. " Qu'il me soit permis de me compter moi aussi parmi les combattants de la justice, écrit Istrati en 1925... mes camarades me demandent d'être homme avant d'être écrivain... J'adresse ma parole de lutte et d'émotion artistique à tous les peuples qui gémissent sous le joug de l'oppression internationale... Voilà ce que je vais écrire. Voilà pour qui j'écris ". Déçu par le matérialisme de l'Occident qui rend l'homme égoïste, Panaït Istrati part pour Moscou où il est officiellement invité aux fêtes célébrant le dixième anniversaire de la Révolution d'Octobre. Enthousiaste, il espère découvrir un " homme nouveau ". Il rencontre Nikos Kazantzaki avec qui il décide, au terme du voyage officiel, de poursuivre seul et à ses frais, son périple à travers toute l'URSS. Ce seront seize mois de rencontres étonnantes, de discussions passionnantes, de révélations pénibles. De désillusions... L'enthousiasme s'est brisé, c'est la révolte. En 1929, malgré les mises en garde de R. Rolland, paraît Vers l'autre flamme, Après seize mois dans l'URSS, Confession pour vaincus. Témoignage accablant sur l'Occident et le bolchevisme. Témoignage qui suscitera réactions passionnelles, attaques ignobles à l'encontre de Panaït Istrati qui dès lors se retrouvera seul - jusqu'à sa mort - seul, mais toujours solidaire des vaincus. Panaït Istrati opposant éternel s'affirme désormais homme qui n'adhère à rien. " Toi, homme nu, homme qui n'as que tes pauvres bras ou ta pauvre tête, refuse-toi à tout, à tout. Refuse de crever pour qui que ce soit. Croise les bras ! Dis à ces messieurs, d'aller eux se faire tuer, pour toutes ces patries qu'ils inventent chaque siècle. Et si l'envie te prend de crever quand même pour quelqu'un ou quelque chose, crève-toi pour une putain, pour un chien d'ami ou pour ta paresse. Vive l'homme qui n'adhère à rien ! " Panait Istrati meurt à Bucarest le 16 avril 1935. Essentiellement autobiographique, puissamment enracinée dans le peuple et la terre roumaine, l'œuvre de Panaït Istrati fascine le lecteur. Par-delà la vie quotidienne des personnages qui l'habitent, par-delà les passions et les souffrances des héros qui la traversent, des thèmes universels émergent de l'œuvre istratienne qui incitent à la réflexion et à la remise en cause des valeurs culturelles dominantes de notre Occident civilisé et... libéral... Amers et décapants, les quatre textes ici rassemblés renvoient - par leur actualité incandescente - les artistes à l'essence de l'art, les politiques à l'exigence de l'éthique, l'homme... au miroir de la dignité. C.G.

01/1991

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Critique littéraire

Géographie. Tome 15 Livre XVII 2e partie, L'Afrique, de l'Atlantique au Golfe de Soloum, Edition bilingue français-grec ancien

Le présent volume constitue le dernier tome de la Géographie de Strabon, dont l'édition est prévue en deux fascicules - le premier sera publié ultérieurement. Ce second fascicule contient donc le chapitre 3 du livre XVII qui vient conclure l'oeuvre. Faisant suite aux pays du Nil (Egypte et Ethiopie, XVII 1-2), il s'agit d'une description de la Libye antique, troisième continent connu au Ier s. de notre ère, c'est-à-dire la côte d'Afrique du Nord de l'Atlantique au golfe de Soloum, avec une évocation de l'arrière-pays. Réalisant une synthèse des oeuvres d'Eratosthène, Artémidore et Posidonius, qu'il n'hésite pas à confronter et à critiquer, Strabon passe ainsi successivement en revue, de façon plus ethnographique que topographique, la Maurousie, la Masaesylie, la Massylie ; puis le territoire de Carthage - avec un long développement sur la 3ème Guerre Punique -, la Grande Syrte et la Cyrénaïque, étudiée essentiellement à travers sa principale production, le silphium, et ses grands hommes. A l'échelle de l'ensemble des dix-sept livres la Géographie, ce continent est réduit à la portion congrue, comme de coutume chez les Anciens, et il n'a pas l'avantage, comme l'Egypte, d'avoir été visité par l'auteur. Malgré tout, il faut enfin concéder à Strabon, homme d'étude mais possédant des amis romains de haut rang, la capacité de mettre ses connaissances à jour : certaines informations de ce chapitre sont primordiales pour la datation de l'ensemble de l'oeuvre. Dans les derniers paragraphes, Strabon évoque l'hégémonie des Romains et expose, dans un tableau d'un grand intérêt historique, l'organisation par Auguste de l'Empire romain. Cette énumération des provinces romaines permet à l'auteur à la fois de clore sa Géographie universelle en récapitulant la majeure partie du monde habité décrit dans les livres précédents, et de faire un éloge, discret mais réel, de Rome et d'Auguste. C'est également une manière de montrer que la géographie est nécessaire à l'histoire : après tout, Strabon avait conçu sa Géographie comme un complément à ses Commentaires Historiques, aujourd'hui en grande partie perdus. Le texte grec, établi par Benoît Laudenbach, a fait l'objet d'une nouvelle collation des manuscrits dans l'esprit des volumes de la série précédemment parus, y compris un important palimpseste directement consulté au Vatican. Il est assorti d'une traduction française originale. Dans la notice qui les précède, Jehan Desanges revient brièvement sur la date de rédaction du livre, son plan et les sources de l'auteur. Il a surtout accompagné le texte d'un commentaire approfondi, mettant à contribution tous les outils de la philologie et de la géographie historique les plus récents (intertextualité, archéologie, épigraphie, etc.). L'ensemble est augmenté d'index toponymiques et anthroponymiques, et devrait contenir une carte des lieux nommés dans le texte. Jehan Desanges (commentaire) Agrégé de grammaire (1953), après onze ans passés en Afrique du Nord et au Sénégal, il enseigne vingt ans à l'Université de Nantes (1964-1984) et vingt-cinq ans à la IVe Section de l'Ecole pratique des Hautes Etudes (1978-2003, Histoire de l'Afrique dans le monde gréco-romain). Depuis 2012, il est membre de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Sa bibliographie, dont le premier titre date de 1956, porte tant sur l'Afrique du Nord que sur l'Afrique nilotique et érythréenne dans l'Antiquité. Il a orienté ses recherches vers les structures tribales et les révoltes autochtones tout comme les campagnes militaires et expéditions lointaines menées par les Lagides et les Romains. Il s'est de plus adonné à l'étude de la géographie historique et de la toponymie comme à celle du peuplement (en particulier le peuplement dit éthiopien) ou des structures et découpages administratifs. Il a établi des éditions critiques et commentées ou, au moins, des études minutieuses de sources essentielles de l'Afrique antique, notamment celle du livre VI de l'Histoire naturelle de Pline l'Ancien dans la collection des Université de France. Benoît Laudenbach (édition critique, traduction) Agrégé de Lettres classiques (2003) et docteur en Etudes grecques de l'Université Paris-Sorbonne (2012), Benoît Laudenbach est actuellement professeur dans le secondaire. Helléniste et papyrologue de formation, toutes ses recherches universitaires se sont orientées sur l'édition critique et la traduction de textes et documents grecs (Les lettres de Chion d'Héraclée, traduction et commentaire, Université Rennes II ; Les Epigrammes de Posidippe de Pella (P. Mil. Vogl. VIII 309), critique de l'editio princeps, traduction, commentaire, Université de Strasbourg ; Mondes nilotique et libyque : Strabon, Géographie, XVII, Université Paris-Sorbonne). Le présent volume est le résultat d'une partie de sa thèse consacrée au livre XVII de la Géographie de Strabon.

05/2014

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Tourisme étranger

Rêve de Madagascar

Dans un manuscrit laissé sous une stèle de Fort-Dauphin en 1653, Etienne de Flacourt met en garde les étrangers contre les autochtones de Madagascar en écrivant : " Prends garde, étranger. Ne fais pas confiance aux habitants de cette île, leurs flatteries réservent les plus grands dangers ". Le voyage que nous offre Philippe Aimar à travers la Grande Île dément fondamentalement cette mise en garde. Les photos nous montrent la confiance qui s'établit entre les modèles et le photographe et l'attachement que ce dernier porte à la Grande Ile et à ses habitants. Les résultats constatés se rapprochent de ceux obtenus par Jean Paulhan qui avait pris la peine, il y a près de 90 ans, de partager le quotidien des Malgaches, de différentes conditions, afin de saisir le sens profond des Hainteny. Ici le photographe a adopté la même démarche et nous présente une nature attachante et un peuple des plus accueillants avec beaucoup de réalisme. Fernand Léger n'a-t-il pas défini la qualité d'une oeuvre picturale en raison directe de sa quantité de réalisme. Mais, l'interprétation d'une photographie ne peut pas être considérée comme une valeur absolue, elle est le produit d'une subjectivité particulière du regardant. Quand l'ai compulsé l'album présenté par Philippe Aimar, c'est ma propre impression devant ces oeuvres d'une rare qualité que j'essaie de faire partager à ceux qui auront le privilège de se pencher sur ces images de la Grande Ile. Le photographe a su rendre l'atmosphère et la couleur de chaque région et tirer de l'individu les spécificités qui le particularisent tout en l'intégrant dans son groupe d'appartenance. Si nous regardons cette jeune femme de la page 36, avant même de lire la notation de bas de page, rien que par sa tenue et sa coiffe nous la situons d'emblée dans l'ethnie Betsileo. Il en est de même pour la plupart des portraits pris un peu partout dans l'île. Ce qui ne manquera pas de frapper la curiosité de ceux qui ouvrent ce livre est l'itinéraire suivi par le photographe. Au lieu de se précipiter sur les lieux touristiques connus, il nous entraîne dans un parcours inédit. Après une visite prégnante chez les Merina, les Ambaniandro (ceux qui sont sous le soleil) du haut plateau central, en ayant pris soin d'éviter les sites trop vus et revus - mais qu'ils ne néglige pourtant pas (on les perçoit à travers certaines photos) - en insistant parfois sur ce que le commun des autochtones ne remarque même plus, à force de les côtoyer quotidiennement. Ainsi en va-t-il des images devenues parties intégrantes du paysage, comme ces petits marchands des bords des routes ou ces joueurs de fanorona qui s'approprient une partie de la voie, ce qui nous plonge dans un exotisme bon enfant. Le photographe porte son appareil, non directement vers l'est ou vers le nord où sont les sites touristiques les plus fréquentés, mais vers le sud. Sur sa route, il nous fait entrevoir la beauté des environs de la capitale avec ses rizières, nous montre les étals des petits producteurs de charbon de bois qui préfigurent malheureusement la déforestation. Sa première étape dans le pays des Betsileo (nombreux invincibles) est l'Isalo. Il pré-sente en quelques photos ce qui dorénavant particularise la région : la recherche des pierres précieuses avec ce que cela implique de risque, d'effort quasi-inhumain et de misère dans l'espoir. II ne se prive pourtant pas de nous faire admirer le sourire d'une jeune Vezo (ceux qui pagaient). Et, son voyage reprend toujours vers le sud, comme si le photographe voulait se mettre sur les traces d'Etienne de Flacourt, mais il délaisse Fort-Dauphin, et s'oriente délibérément vers Tuléar, le pays des Bara (qui disent que la signification de leur nom est ceux qui ont la voix grave et sourde mais que les autres connaissent pour des simples d'esprit et des naïfs) pour nous faire appécier un crépuscule sur les dunes, là où la mer, la terre et le ciel majestueusement se confondent. Avec des paysages féériques, de jour comme de nuit, et, des Antandroy (ceux des ronces) rayonnants dans la simplicité de leur quotidien le photographe-pérégrin nous fait partager son émotion cette nature d'une beauté à couper le souffle. Mais là où l'on s'attendait à le voir continuer sa route vers Morondava, il marche sur le tropique du Capricorne et se retrouve sur la côte orientale de l'île les pieds dans l'eau du canal de Pangalane s'intéressant aux occupations aquatiques des Antaisaka (ceux de des longues vallées), des Antambahoaka (ceux du peuple) et des Betsimisaraka (nombreux qui ne se séparent pas). Toamasina est suggérée par une photo du lac sur le canal de Pangalane, puis nous voilà tout de suite au pays de la vanille et des Sakalava (ceux des longues vallées) au nord est de l'île, pour nous retrouver vers le nord face à l'île de Nossy-Bé devant des paysages grandioses d'une mer d'émeraude présentant les boutres comme des bijoux précieux et d'un ciel souvent bleu à la limite possible de la couleur. Cet ouvrage de Philippe Aimar ne doit pas être vu uniquement comme une présentation de la nature mais aussi comme une étude de l'homme malgache dans un essai chaleureux et subtil. Le photographe a mis dans son travail toute sa passion et son attachement pour l'île et ses habitants. Il propose une approche originale et vivante de la société malgache mettant en évidence un réseau d'affinités et d'échanges qui le relie à un monde qui le subjugue, l'intrigue et l'attache. Je dirais même une confrontation affective de deux visions du monde différentes avec ce que cela implique de subjectivité. Chapitre après chapitre nous faisons connaissance avec les différentes ethnies malgaches. Ce qui m'a aussi ému dans ce livre c'est l'objectivité du photographe. Il ne s'est pas contenté de montrer la beauté de l'Ile avec des gens heureux, mais il fait toucher du doigt le paradoxe de la beauté et de la misère en montrant comment les Malgaches acceptent leurs destins et que les gens pauvres ne sont pas toujours tristes. Qu'attend-on d'un livre de photographies si ce n'est de nous faire connaître un pays et de nous procurer du plaisir ? Les deux objectifs sont atteints dans ce livre de Philippe Aimar et je ne puis que souhaiter à tous ceux qui l'ouvriront le même plaisir et émotion que j'ai eus en le consultant.

02/2010

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Sociologie

Revue de philologie, de littérature et d'histoire anciennes volume 93-1. Fascicule 1

RESUMES Julien Bocholier. - Le "petit Homère" de Chateaubriand Cet article propose une première édition des essais de traduction de Chateaubriand contenus dans son exemplaire de l'Iliade (chants IX à XII) conservé à la Bibliothèque nationale de France (Smith-Lesouëf, 135). Après avoir proposé une datation de ces fragments, autour de 1805, et indiqué leur probable contexte de rédaction, nous examinons d'abord le rapport de Chateaubriand au texte grec, et notamment l'intermédiaire que constituait pour lui la traduction latine contenue dans son volume ; puis, nous étudions, dans Les Martyrs et Les Natchez, les passages susceptibles d'avoir été influencés par les extraits d'Homère traduits par l'auteur. Bénédicte Chachuat. - Note à Lucain, Bellum Ciuile Le vers 43 du chant 7 du Bellum Ciuile est l'un des vers les plus discutés du poème de Lucain : les éditeurs ne s'accordent pas sur le texte à éditer et nombreux sont ceux à avoir tenté de le corriger. Il s'agira dans cet article de montrer d'abord pour quelles raisons le texte transmis par les manuscrits doit être considéré comme corrompu, ce qui aujourd'hui n'est pas admis par tous les philologues. Après avoir localisé et expliqué l'erreur, nous envisagerons ensuite les différentes solutions, jusque-là insatisfaisantes, qui ont été proposées pour remédier à cette corruption. L'étude d'une conjecture inédite permettra enfin de dégager le sens attendu du passage à défaut de pouvoir reconstituer avec certitude le texte de Lucain. Catherine Dobias-Lalou. - Retour sur les contractions e+e du dialecte cyrénéen Dans sa synthèse sur le dialecte cyrénéen publiée en 2000, l'auteur proposait pour la contraction des voyelles brèves moyennes antérieures une explication grapho-phonétique originale qui n'a guère convaincu. Il semble opportun de rouvrir le dossier avec le recul du temps, bien que la documentation nouvelle ait fourni peu d'éléments discriminants. Les exemples les plus nombreux appartiennent à deux types morphologiques, les nominatifs pluriels comme ??? ? ? et les infinitifs actifs comme ??? ? ??? . En réexaminant la place de ces formes dans leurs systèmes flexionnels respectifs, on peut finalement expliquer les uns et les autres par des remaniements morphologiques, phénomène particulièrement développé dans les présents contractes en -? ? . Le dialecte cyrénéen appartient bien au dorien "sévère" . Antoine Foucher. - Les uersus aurei chez Virgile, des Bucoliques à l'Enéide En nous appuyant sur une définition stricte du uersus aureus, nous analyserons dans cet article les structures verbales, phoniques et métriques de ce type de vers dans les trois oeuvres majeures de Virgile pour y montrer l'influence de Catulle, mais aussi les évolutions en fonction des genres pratiqués par Virgile. Nous nous intéresserons aussi aux emplois du uersus aureus dans les oeuvres de Virgile : s'il est vrai qu'il apparaît souvent devant ponctuation forte, plus largement, il contribue à la colométrie virgilienne en s'associant à des structures syntaxiques déterminées, tout comme il est indubitablement associé à des structures ou à des thèmes particuliers, tels que la description. Bruno Helly. - Les datifs en et dans les dédicaces et épitaphes thessaliennes en alphabet épichorique (VIe-Ve s. av. J. -C.) Il est connu que dans les inscriptions thessaliennes des vie et ve s. av. J. -C. en alphabet épichorique, on trouve un datif singulier -? ?? , souvent simplifié en -? ? pour les noms féminins et masculins en /-a/, et un datif singulier -o ? simplifié en -o pour les noms en /-? /. Cependant, dans de nombreuses inscriptions de cette période, en particulier dans les épitaphes, ces datifs ont souvent été interprétés comme des génitifs de substantifs masculins, Un recensement exhaustif de ces inscriptions montre que ce sont bien des datifs qui sont utilisés dans les formules funéraires, associés aux substantifs ??? ? ? , ??? ? ? , ??? ? ??? ? , ??? ? et avec des verbes comme ??? ? ??? , ??? ? ??? ? ou même le simple ??? ? . On peut tirer de l'utilisation de ces datifs en -? ?? /? ? et -o ? /-o des informations non seulement pour l'histoire du dialecte, mais aussi sur la manière dont on exprimait à cette époque le rapport des vivants et des défunts au monument funéraire. Dimitri Maillard. - César et l'apparat royal Quand le 15 février 44, à l'occasion des Lupercales, César se présente vêtu de la toge pourpre et s'assoit sur une chaise curule dorée, le dictateur réactive une tradition selon laquelle ces deux éléments n'étaient associés que pour les anciens rois. Un point vient appuyer cette hypothèse : toge pourpre et chaise curule font partie des insignes de pouvoir offerts par le Sénat aux souverains alliés. Le propos s'attache à démontrer la nature royale de ces dons, qui pourraient se fonder sur un costume antérieur à l'apparat républicain. L'incompatibilité entre la chaise curule et la pourpre est levée par César aux Lupercales ; l'ensemble n'est pas commenté par ses contemporains, du fait du diadème tendu par Antoine ce jour-là, mais César réactivait en fait l'ancien apparat royal. Sophie Minon. - Dérivation en -? ? - ou en -o ? - : critères distributionnels. Le cas des anthroponymes en ??? ? ?? - vs - ??? ? ??? ? , -? ??? ? ? L'objet de cette étude était de vérifier, en prenant l'exemple des anthroponymes composés faits par dérivation en -? ? - ou en -? -, à partir du radical ??? ? °, si les échanges, abondamment représentés dans les composés lexicaux et anthroponymiques, entre les deux voyelles, en position soit de voyelle de jonction entre leurs deux membres, soit de voyelle prédésinentielle, prouvent un caractère interchangeable qui s'expliquerait morphologiquement par différentes formes d'analogies ou bien si d'autres motivations ont pu jouer, voire interférer avec la précédente. S'il est impossible de tirer de conclusions qui vaillent pour la série de noms dans sa totalité (trop de critères interfèrent, y compris celui de la mode, parfois induite par l'existence de tel porteur prestigieux du nom), il n'est du moins guère apparu que le critère aréal/dialectal, dont on a montré qu'il avait joué par exemple dans la distribution de /a : / et de /o/ prédésinentiels pour les composés du lexique, doive être, en revanche, invoqué pour leur distribution dans les anthroponymes en -? ??? ? ? /? ? et -? ? /? ??? ? ? de l'époque alphabétique. Dans la hiérarchisation de ceux qui ont véritablement contribué à la configuration de cette famille de noms, sémantique et pragmatique viennent en premier, et l'accent pourrait avoir parfois contribué au marquage du sens, tandis que certains choix morphologiques sont apparus comme infléchis par le rythme.

02/2021