#Roman francophone

Une famille très française

Maëlle Guillaud

Charlotte est en admiration devant la famille de sa meilleure amie, Jane, dont l'impeccable éducation, l'élégance et la réussite bourgeoise l'éblouissent. D'autant que Charlotte, d'origine séfarade du côté maternel, trouve les siens à la fois adorables et passablement gênants avec leur chaleureuse exubérance. Dans sa Savoie natale la générosité un rien ostentatoire de sa mère tranche. Elle en a honte. Par dessus tout ses rondeurs et sa peau mate la complexent. Elle donnerait tout pour la silhouette élancée et la blondeur de Jane et pour une mère au raffinement discret. Mais à mesure qu'elle se rapproche de cette famille tant fantasmée, la façade se fissure. Bernard, le père, lui fait des avances. Pire encore, après un délit de fuite, il menace la jeune femme de l'impliquer si elle parle à la police. Terrorisée, Charlotte garde le silence. Une fois à la Sorbonne, Charlotte élargit ses horizons : elle accepte mieux les siens et se fait de nouvelles amies, moins conformistes. A Paris, elle prend du recul et porte enfin un autre regard sur cette famille si française.

Par Maëlle Guillaud
Chez Editions Héloïse d'Ormesson

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Genre

Littérature française

À Jean-Paul et Alice qui m’ont tout donné,

à Yann qui m’a toujours accompagnée,

à Catherine qui nous a adoptés,

et à Ariel, qui un jour, peut-être, me lira.

 

 

ELLE PLISSE LES PAUPIÈRES de douleur. L’éclair s’est gravé dans sa rétine. Elle le distingue même les yeux fermés. Le fracas autour d’elle l’oppresse. La pluie martyrise l’habitacle, le vent chahute les arbres sur le bord de la route. Je suis à la place du mort, songe-t-elle, la gorge serrée. De nouveau l’obscurité. La voiture accélère. Elle voit à peine les gouttes d’eau qui s’écrasent contre le pare-brise. Il faut que je change les ampoules des phares. Son cœur tambourine. Son souffle se fait court. Je suis un esquif en pleine tempête. Le tonnerre la fait sursauter. Soudain, un trait de lumière déchire le ciel et des dizaines de filaments se cristallisent autour. Une sueur glacée ruisselle le long de son dos. La foudre vient de tomber à quelques mètres. Elle tourne la tête vers le conducteur. L’effroi lui givre l’échine. Une décharge électrique lui écorche le bout des doigts. Il n’y a personne. Et pourtant, le véhicule prend de la vitesse. Comme dans un train fantôme. Les branches brisées griffent les vitres. La carcasse tremble. Son corps vibre et ses doigts se crispent sur la poignée de la portière. Une ombre traverse le rétroviseur. Elle voudrait incliner la tête mais sa nuque est raide. Figée. Comme toute sa colonne vertébrale. Elle essaie de se lever, mais ses pieds sont collés au plancher. Prise au piège. Elle bat des paupières. Je suis en train de mourir. Ses ongles blanchissent à force de serrer le plastique. Sa gorge est trop nouée pour émettre le moindre cri. Mais pour appeler qui ? Je suis seule. Et je vais mourir. La voiture continue de filer sur cette route au milieu de nulle part. Brusquement, les roues patinent. Tête à queue. Horreur. Le bitume s’est rétréci pour n’être plus qu’un fil. Jamais la voiture ne pourra tenir sur une bande si étroite, a-t-elle juste le temps de penser avant de basculer dans le vide. Elle claque des dents. L’eau engloutit peu à peu la carcasse. Mourir noyée la terrifie. Elle essaie de bouger les bras pour décrocher sa ceinture de sécurité, mais elle est paralysée. Son corps est un poids mort, bientôt une enclume. Le liquide s’infiltre par la vitre. Recouvre ses pieds, puis ses mollets et ses cuisses. Son ventre, ses seins, ses épaules. Le lac va être mon linceul. Sa bouche est pâteuse, sa langue épaisse. L’air se raréfie. Elle étouffe.

Elle se redresse d’un bond, en sueur. La couette pèse une tonne sur ses jambes. Elle passe ses mains sur ses yeux, se masse le front. Elle est fiévreuse. Elle appuie ses doigts sur ses paupières et inspire profondément pour chasser la terreur. Elle a du mal à respirer. La culpabilité lui mord le cœur. Grignote son âme, mois après mois, année après année. Cette histoire dévore sa vie. Je ne m’en sortirai jamais… Jamais. Sa voix se casse en prononçant ces mots. Tu t’es condamnée à errer dans le néant, le vide. Et tout ça à cause d’eux. Son squelette va se disloquer, ses os se briser comme du verre, elle ne pourra pas lutter contre le poids de ces images. Toujours ce même cauchemar. Rien ne pourra te sauver. Elle fond en larmes.

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12/04/2018 205 pages 17,00 €
Scannez le code barre 9782350874487
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