#Bande dessinée jeunesse

Très vite ou jamais

Rita Falk

Jan et Nils ont 21 ans et sont amis depuis toujours. Un jour, Nils rate un virage à moto, et sombre dans un coma profond. Alors, pendant un an, Jan rend visite quotidiennement à son ami, espérant son réveil. Entre ses visites, il lui écrit des lettres dans lesquelles il lui confie ses espoirs, ses angoisses et lui parle de son travail aux " Oiseaux ", la clinique psychiatrique où il effectue son service civil. Ces lettres, il veut les remettre à Nils lorsque celui-ci sortira de l'hôpital, afin qu'il lui reste une trace de tout ce temps qu'il aura passé à " dormir ".

Par Rita Falk
Chez Magnard

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Editeur

Magnard

Genre

12 ans et +

VOILÀ, ÇA FAIT UN AN. Jour pour jour. À la minute près. La boucle est bouclée, my friend.

Je me revois, à cette heure-ci exactement, à genoux dans une flaque de sang. Et ce sang, c’est le tien, Nils. Tu gis sur la chaussée glacée, la tête sur le côté, pendant un temps qui me paraît éternel. Hébété, je perçois la lumière bleue des gyrophares… Le hurlement des sirènes… tous ces gens autour de nous… l’arrivée, enfin, de l’hélico…

Du sang plein la bouche, tu gargouilles :

— Et merde…

Deux mots, c’est tout, puis tu fermes les yeux. Pas tout à fait, cependant. À travers l’étroite fente de tes paupières, je cherche ton regard, plonge le mien dans les profondeurs insondables de tes pupilles. Mais des mains me tirent en arrière. D’autres te soulèvent avec précaution. Ton sang coule lentement dans le caniveau, c’est ta vie qui s’en va, emportant la mienne avec elle. Loin, très loin…

Les semaines qui ont suivi, je me les rappelle à peine. La douleur, insupportable, m’écrasait comme une chape de plomb. C’est là que j’ai commencé à t’écrire. Pour toi, j’ai couché ma vie sur le papier, et c’est ce qui m’a aidé à ne pas sombrer. Sans ça, je crois bien que j’aurais perdu la raison. Il y a certains passages que j’aurais aimé t’épargner, mon pote. Et d’autres, à l’inverse, que j’ai écrits avec des tremblements de joie dans les doigts… Ceux-là, je n’en aurais pas retranché un seul mot.

Le temps est venu maintenant de me défaire de ces lettres. Je les remettrai tout à l’heure à qui de droit, et je le ferai avec un sentiment de profonde reconnaissance. Car elles m’ont sauvé la vie.


*

* *

 

Ce que j’ai sur le cœur, c’est simple, je ne peux en parler à personne. Alors il faut que je l’écrive. Il faut que j’évacue ce trop-plein de désespoir et de colère qui m’étouffe. Une colère de dingue, Nils, tu n’imagines même pas. La rage à l’état pur.

J’ai cru que tout redeviendrait comme avant. Qu’une fois dépapilloté et débarrassé de tes bandages, tu te lèverais de ton lit, tel le Phénix qui renaît de ses cendres, qu’on sortirait tous les deux bras dessus bras dessous dans le couloir et qu’on rentrerait droit à la maison. Sauf que ça ne s’est pas passé comme ça. En fait, il ne s’est rien passé du tout. Tu es là, avec ta batterie d’appareils et toute ta tuyauterie, et tu ne remues pas le petit orteil. Tu n’es ni vivant ni mort, ne progresses ni ne régresses, tu flottes entre deux eaux. Et moi, calé sur le bord de fenêtre de cette foutue chambre d’hôpital, les yeux fixés sur le vieux marronnier dans la cour, je suis tellement en pétard contre toi que je n’arrive même pas à te regarder.

Les derniers jours, je n’ai pas eu le courage de venir te voir (prêt à parier que tu ne t’en es pas aperçu, de toute façon !). N’ai pas mis le pied dehors. N’ai eu aucun contact avec le monde extérieur.

Et puis, d’un seul coup, à force de ruminer, tout a basculé. Au lieu d’être dirigées contre toi, ma fureur et mon amertume se sont retournées contre moi. Peu à peu, je me suis rendu compte que tu n’y étais pour rien, que je ne peux m’en prendre qu’à moi-même. Si je suis déçu, c’est à cause de ma naïveté : j’ai vraiment pensé que tout irait mieux lorsqu’ils t’auraient dépiauté ; comme si tes pansements étaient la cause de tous tes maux. Absurde ! Quel imbécile j’ai été ! Je ne comprends même pas comment j’ai pu être aussi stupide.

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trad. Florence Quillet
08/04/2016 220 pages 13,90 €
Scannez le code barre 9782210962736
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