#Essais

Les seigneurs de la terre. Histoire de la colonisation israélienne des Territoires occupés

Idith Zertal, Akiva Eldar

Quatre décennies ont passé depuis la guerre de 1967 et depuis, au mépris du droit international qui interdit aux Etats occupants de transférer une partie de leur population dans le territoire occupé, des citoyens juifs d'Israël n'ont cessé de s'installer au-delà de ses frontières. Ce livre est la première tentative d'appréhender dans sa globalité le phénomène des colonies juives en Palestine. Il rassemble des données éparses, souvent cachées, rarement mises en perspective. Tous les gouvernements successifs d'Israël, quelle que soit leur couleur politique, des figures aussi diverses que Moshe Dayan, Shimon Peres, Ehoud Barak ont encouragé l'établissement de nouvelles colonies. Ce soutien a pris aussi bien la forme de décisions politiques et budgétaires que celle d'un laxisme caractérisé envers le non-respect de la loi. La montée en puissance du mouvement de colonisation, avec l'apparition brutale dans la sphère publique, après juin 1967, de mouvements aux modes d'action uniques, comme le Gush Emunim fait face à l'effondrement progressif des institutions étatiques. Incapable de transformer la victoire militaire de 1967 en paix, Israël s'est ainsi empêtré dans le bourbier humain, moral, social, financier et politique de la colonisation.

Par Idith Zertal, Akiva Eldar
Chez Seuil

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Editeur

Seuil

Genre

Histoire internationale

Le 13 avril 2013, alors qu’Israël célébrait en grande pompe son soixante-cinquième anniversaire et le jour de l’Indépendance, les quelque quatre millions de Palestiniens vivant en Cisjordanie et à Gaza étaient en état de siège1 en vertu d’un décret spécial du ministre de la Défense israélien. Cet acte de fermeture arbitraire avait été accompli au nom de la sécurité, bien que les années précédentes eussent été les plus calmes, du point de vue sécuritaire, et les moins meurtrières du côté israélien depuis longtemps. Qui plus est, il n’y avait rien d’inédit ni d’exceptionnel à cette fermeture générale imposée aux habitants palestiniens des territoires occupés, l’espèce en danger survivant dans ces terres assiégées. Israël recourt en fait à cette mesure, qui porte non seulement sur la sortie des territoires mais aussi sur les déplacements en leur sein, à chaque fête juive et chaque fois que les forces de sécurité israéliennes l’estiment nécessaire. L’interdiction de circulation est devenue courante, elle fait partie du processus en cours de normalisation de l’occupation, de sa banalisation et de son refoulement. Ainsi, dans un geste souverain, les Palestiniens et leur sort tragique, la face sombre de l’histoire triomphaliste d’Israël, étaient réduits, ne serait-ce que pour quelques jours, à l’état de fantômes, de rumeur lointaine.

Les colons juifs des territoires occupés n’étaient pas, cela va sans dire, soumis à ce décret. En ce jour de fête comme tous les autres jours de l’année, ils jouissaient de leurs droits exclusifs, de leur système juridique séparé, de leur réseau d’eau séparé, de leurs routes séparées – un système mégalomaniaque de routes à grande vitesse massacrant un somptueux paysage de montagnes douces –, et de leur affranchissement général vis-à-vis du droit, qui leur permet de continuer à confisquer les terres palestiniennes, à déraciner les oliviers, à détruire les récoltes de leurs voisins palestiniens et à les harceler quotidiennement de mille autres manières. Au cours de ces dernières années, la violence des colons a atteint un niveau sans précédent, essentiellement dans le cadre de leur campagne visant à « faire payer » au gouvernement israélien toute décision d’évacuation d’une colonie ou d’un avant-poste, aussi isolé et inhabité soit-il, comme toute mesure – extrêmement rare en réalité – paraissant destinée à restaurer la confiance des Palestiniens. Outre les Palestiniens et leurs biens, les colons ont aussi pris pour cibles les soldats et les officiers israéliens, la police et les installations militaires d’Israël. Ils ont également fait incursion dans le territoire d’Israël même et à Jérusalem-Ouest, attaquant des mosquées, des églises, des activistes pour la paix et des professeurs d’université2.

Les sondages ne cessent de confirmer que la plupart des Israéliens vivant à l’intérieur des anciennes frontières d’Israël – les frontières internationalement reconnues de 1949-1967, toujours appelées « Ligne verte », bien que les gouvernements israéliens successifs se soient appliqués à l’effacer systématiquement des cartes officielles et des manuels scolaires – souhaitent la fin de l’occupation militaire des terres palestiniennes et la résolution du conflit par l’instauration de deux États séparés, israélien et palestinien. Mais ils imaginent cette solution comme un Deus ex machina, ou plutôt ils espèrent un coup de baguette magique des Américains. Les colonies juives des territoires – qui sont toutes illégales selon le droit et les conventions internationales –, bien qu’elles ne soient situées qu’à quelques kilomètres de Tel Aviv et même de presque tout autre point d’Israël, sont considérées par la plupart des Israéliens comme une autre planète, au même titre que les Palestiniens eux-mêmes. Ils s’y rendent rarement, voire jamais, et ne se reconnaissent pas dans la vision du Grand Israël prônée par les colons. Les manifestations massives et très populaires de l’été 2011, qui ont réuni dans les rues des centaines de milliers de manifestants, essentiellement des jeunes Israéliens, contre le gouvernement et la situation économique et financière, et plus encore les élections générales qui se sont tenues en janvier 2013 ont démontré ce profond désengagement matériel et psychologique des Israéliens vis-à-vis des réalités politiques quotidiennes des colonies et de l’occupation. Ces questions indissociables figuraient loin au bas de la liste des priorités d’Israël telles qu’elles ont été exprimées à la fois au cours de l’agitation de 2011 et de la campagne électorale qui l’a suivie. Ce sont avant tout les intérêts de la classe moyenne – comme la sécurité économique et le niveau de vie, le logement, l’éducation, la réduction des inégalités en matière de revenus et de service militaire, l’environnement, la laïcisation de la sphère publique et l’amélioration du gouvernement – qui ont produit le grand vainqueur des élections : l’ancien présentateur de télévision et nouveau venu en politique Yaïr Lapid, « Monsieur Qualité de vie », qui n’a pas prononcé une seule phrase nouvelle ou intéressante concernant les colonies ou l’occupation militaire indéfiniment reconduite d’Israël dans les territoires. Comme si cela ne suffisait pas, depuis les élections, le plus proche allié du parti ultra-laïc de Yaïr Lapid, Yesh Atid (Il y a un avenir ou Le Parti de l’avenir), est le chef du parti religieux ultranationaliste, partisan de la colonisation, Habayit HaYehudi (Le Foyer juif).

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trad. Charlotte Nordmann
12/09/2013 490 pages 25,00 €
Scannez le code barre 9782021080025
9782021080025
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