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Genre
Histoire de France
Chapitre premier
LES OUBLIÉS DE LA FRANCE LIBRE : FEMMES, ÉTRANGERS, COLONIAUX
Les historiens commencent à s’intéresser à la place des femmes dans la Résistance. C’est peu dire, concernant les Françaises libres, que l’essentiel demeure à écrire45.
Les Français libres, dans leur écrasante majorité, sont des hommes. Henri Écochard a retrouvé 1 160 femmes engagées dans les FFL (en excluant les membres des comités), ce qui représente 3,5 % des Français libres européens et 2,2 % de l’ensemble, si l’on intègre les volontaires coloniaux. Cette proportion est certes sensiblement supérieure à celle des compagnons de la Libération (sur les 1 038 croix décernées, six – 0,5 % du total – l’ont été à des femmes), mais inférieure à celles des médaillés de la Résistance (au nombre de 40 000), dont 7 % sont des femmes. Cette forte sous-représentation féminine distingue la France libre de la Résistance intérieure. Même si les femmes ont le plus souvent été reléguées dans des fonctions subalternes au sein des réseaux et des mouvements de résistance, elles étaient au moins présentes, et l’historiographie commence à mieux saisir le rôle essentiel qui fut le leur. Ainsi, parmi les passeurs de la ligne de démarcation, Éric Alary compte presque 18 % de femmes. Les études départementales dont on dispose révèlent une proportion de femmes oscillant entre 7 et 17 % des résistants.
La proportion de femmes dans les rangs des FFL et de la Résistance intérieure (en %)46
Gard
7
Calvados
12
Ille-et-Vilaine
13
Défense de la France*
17
réseau « Zéro-France(a) »
14
passeurs de la ligne de démarcation
17,8
Forces françaises libres (FFL)
3,5
Les causes de cette quasi-absence des femmes dans les rangs de la France libre sont multiples. Le caractère fortement militaire des FFL constitue de toute évidence une raison majeure. Mais il faut considérer aussi les conditions d’engagement. Alors que l’entrée dans la Résistance intérieure pouvait, selon certaines modalités, demeurer compatible avec le maintien du cadre social ou familial habituel, le ralliement aux FFL supposait un double et irrémédiable arrachement : à l’ordre légal incarné par l’État français de Vichy, mais aussi, plus douloureusement et sans espoir de retour, à l’univers quotidien. Les Français libres ont brûlé leurs vaisseaux ; ils ont fait le choix de tout quitter, pays, métier, études, famille, et de gagner un pays étranger à une époque où la victoire finale était loin d’être acquise. Dans ces conditions, et étant donné le poids des contraintes morales et culturelles de la société française de la fin des années 1930, un tel abandon était beaucoup plus difficile pour une jeune fille d’une vingtaine d’années que pour un jeune homme du même âge.
LES FFL, LABORATOIRE D’UN CORPS MILITAIRE FÉMININ
Plus d’un millier de femmes ont néanmoins rejoint la France libre. Elles ont été employées dans divers services et, innovation considérable, elles ont été partiellement regroupées dans une force féminine calquée sur le corps similaire existant dans l’armée britannique, l’Auxiliary Territorial Service (ATS). Confrontée à l’influence anglo-saxonne, la France libre a ainsi créé la première unité féminine de l’armée française. Rappelons que lors de la Grande Guerre, de nombreuses femmes s’étaient portées volontaires pour aider et secourir soldats et blessés. Elles avaient porté l’uniforme, mais n’avaient pas été regroupées dans des unités féminines spécifiques. La situation n’était pas fondamentalement différente en 1939 : le statut du 6 août 1926 concernant les volontaires féminins, l’instruction du 3 juin 1930 réglementant l’engagement des infirmières civiles et de la Croix-Rouge dans les hôpitaux militaires et le décret du 18 mars 1938 normalisant les relations entre la Croix-Rouge française et les pouvoirs publics avaient simplement conforté le statut des infirmières de la Croix-Rouge47. La loi sur l’organisation de la nation pour le temps de guerre (11 juillet 1938) autorise les femmes à servir comme volontaires dans des sections sanitaires et de secours aux blessés. En 1939-1940, comme le rappelle Christine Levisse-Touzé, 6 000 femmes environ se retrouvent sous les drapeaux : infirmières et membres des services de santé, conductrices de véhicules sanitaires ou – innovation du décret du 21 avril 1940 – employées comme auxiliaires dans les services administratifs de l’armée. Mais elles ne forment toujours pas une unité féminine à part entière, et l’on demeure très loin des effectifs de l’armée britannique : dès le mois de septembre 1939, 17 000 Britanniques sont déjà réunies dans l’ATS et, à la fin de 1940, la conscription est étendue aux femmes en Grande-Bretagne (elles ont alors le choix entre un service militaire ou un service civil). À la fin de la guerre, plus de 400 000 Anglaises portent l’uniforme, soit 9 % des effectifs globaux des forces armées britanniques.
Extraits
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