#Roman étranger

Le plus beau pays du monde et autres nouvelles

Simon Van Booy

"Ce jour-là, George Frack reçut une lettre. Elle venait de très loin. Sur le timbre : un oiseau. Il commença par penser qu'elle lui avait été délivrée par erreur." Il ne pouvait détacher son regard de ces quelques lignes. Lui, George Frack, père d'une fillette suédoise de six ans ? Impossible. Et pourtant... Après L'amour commence en hiver et Outre-Atlantique, ces nouvelles confirment le talent poétique de Simon Van Booy, son sens aigu du détail et la tendresse délicate de son écriture.

Par Simon Van Booy
Chez Editions Autrement

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Genre

Littérature étrangère

 

 

 

 

 

 

 

Rome, un mercredi matin ensoleillé. Un jeune diplomate américain s’écroula sur un banc à l’entrée de la place Saint-Pierre.

Puis il se mit à sangloter.

Il venait de voir quelque chose et une porte oubliée tout au fond de lui s’était entrouverte.

Il pleura de plus en plus fort, au point qu’un jeune prêtre polonais en train de garer sa Vespa jaune eut envie de venir à son secours, et s’assit près de lui, sans dire un mot.

Un chien aux moustaches grisonnantes s’approcha d’eux en traînant la patte, avant de s’affaler à l’ombre. Des types discutaient, par groupes de deux ou trois, appuyés sur leur balai. Compatissant, le prêtre passa son bras autour des épaules de l’homme. Le jeune diplomate se laissa aller contre lui, des larmes glissèrent sur la soutane. Le tissu sentait un peu le feu de bois. Une vieille dame en noir, un chapelet entre les doigts, leur fit un signe de tête en passant. Elle marmonnait d’une voix trop basse pour qu’on puisse l’entendre.

Le temps que Max s’arrête de pleurer, le prêtre s’était transporté en pensée dans la salle où il aurait dû se trouver en cet instant. Un siège vide à une table. Un verre d’eau intact. De lourds rideaux traînant à terre, l’odeur de cire. La réunion avait certainement commencé. Il se disait qu’il était toujours là où on l’attendait, même s’il n’y était pas vraiment.

– Ça va aller, maintenant ? demanda-t-il. Son accent polonais s’appliquait consciencieusement à mettre sa marque sur chacun des mots anglais.

– Je suis vraiment gêné, dit Max.

Et il montra du doigt la longue rangée de statues, tout en haut des colonnes qui faisaient le tour de la place.

Le prêtre leva les yeux.

– Oui, elles sont si belles… Oh, regardez ! Il y en a une qui manque ! s’exclama-t-il. C’est absolument incroyable !

Et se tournant vers Max :

– Mais pourquoi l’absence d’une statue vous bouleverse-t-elle autant, signore Americano… vous ne l’avez tout de même pas volée ?

Max secoua la tête.

– C’est lié à mon enfance.

– J’ai toujours pensé que c’est à l’âge adulte qu’on a les clefs pour comprendre en profondeur ce qu’on a vécu, commenta le prêtre. Car au fond, tout a à voir avec l’enfance, vous ne trouvez pas ? Un gribouillage qui n’a jamais été encadré, un mot pas très gentil entendu juste avant d’aller au lit, un anniversaire oublié…

Max le coupa.

– Peut-être, mais tout n’est pas obligatoirement négatif, mon père, ne croyez-vous pas qu’il y a des moments de rédemption ?

– S’il n’y en a pas, alors Dieu m’a gâché la vie.

Les deux hommes gardèrent le silence quelques instants comme le font deux vieux amis. Le prêtre se mit à chantonner quelques notes d’un Nocturne de Chopin en comptant les nuages.

Puis un oiseau fit son apparition dans l’espace où s’était tenu autrefois l’Être divin – d’où son regard s’était dirigé vers ces gens qui tournaient en rond sur la place, mangeaient des sandwichs, prenaient des photos, nourrissaient les bébés, les oiseaux, ou encore vers un des vagabonds qui venaient parfois rôder jusque-là.

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trad. Micha Venaille
21/08/2014 169 pages 16,00 €
Scannez le code barre 9782746737877
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