#Roman francophone

Le cas Malaussène Tome 1 : Ils m'ont menti

Daniel Pennac

Sept, Mosma et Maracuja, les derniers-nés de ma tribu, n'auraient pas dû grandir. Vingt ans plus tard les voilà jetés dans un monde on ne peut plus explosif, où on kidnappe Georges Lapietà, l'homme d'affaires le plus cinglé de son espèce, où ça mitraille à tout va pour le récupérer, où les romanciers prétendent écrire au nom de la vérité vraie quand tout le monde ment à tout le monde. Tout le monde sauf moi, bien sûr. Moi, comme d'habitude, je morfle. Benjamin Malaussène

Par Daniel Pennac
Chez Editions Gallimard

0 Réactions | 26 Partages

Genre

Littérature française

26

Partages

Au Gamin

Pour Alice

et dans le souvenir

de Bernard, mon frère,

de Pierre Arènes

et de Jean Guerrin

 

 

« J’écris comme on se noie, c’est-à-dire très rarement. »

Christian MOUNIER

 

 

I


LA MEILLEURE

 

« Tu sais pas la meilleure ? »

César

 

 

1

 

Lapietà*1 ? Georges ? Tu le connais, c’est le genre de type à se rouler dans la confidence comme un chien de ferme dans la fosse à purin. (Ce mouvement hélicoïdal qui les torchonne du museau jusqu’à la queue !) Il est pareil. Il en fout partout. Alors, autant entrer tout de suite dans l’intérieur de sa tête. Il n’y a pas d’indiscrétion, lui-même a tout raconté aux gosses ce jour-là. À commencer par la minutie avec laquelle il s’est préparé pour aller toucher son chèque. Et ses bonnes raisons de ne pas arriver à l’heure : J’ai toutes les cartes en main, j’arrive à mon heure, je palpe mon fric et on se tire en vacances, voilà ce qu’il voulait faire comprendre à l’aimable comité : Ménestrier*, Ritzman*, Vercel* et Gonzalès*. Des semaines passées à choisir son déguisement avec soin. Ariana*, un bermuda ? Si je me pointais en tongs et en bermuda, tu vois leur gueule ? Et une canne à pêche ? Tuc*, démerde-toi pour me dégoter une canne à pêche ! La plus ringarde possible, un truc en bambou, genre Charlot, tu vois ? Ah ! les imaginer poireautant avec ce chèque qui leur dévorait les tripes, poireautant dans le silence lambrissé du grand salon, remâchant l’opinion qu’ils avaient de lui, Georges Lapietà, mais fermant leurs quatre gueules, vu que tous les quatre avaient la queue prise dans le même chéquier. Arrête de te pomponner, Georges, tu te mets en retard. Justement, Ariana, c’est le meilleur de l’affaire. Ah ! le silence de leur attente. Le tintement des petites cuillers dans les tasses où le sucre ne se décide pas à fondre. Le va-et-vient des yeux entre leurs montres et la porte du grand salon. Les conversations avortées et lui qui n’arrive pas. Ariana, si tu demandais à Liouchka* de nous faire un autre caoua ? Il les avait voulus là tous les quatre, c’était une condition sine qua non. Eux ou la conférence de presse, au choix. Et pourquoi pas la conférence ? Why not, au fait ? Mais parce qu’il aurait publiquement détaillé la composition du chèque ! Parce qu’il aurait filé aux journalistes la recette de la bonne entente. Non, hein ? Alors non. Lui aussi aspirait à un plaisir plus secret. À cette remise de chèque, il voulait leurs quatre tronches pour lui tout seul. Il voulait leurs quatre poignées de main. Fermes, s’il vous plaît ! Il était capable de vous obliger à serrer sa main une deuxième fois. Connu pour. Et si la deuxième fois ne suffisait pas, il vous claquait la bise, publiquement, musicalement, ce qui laissait sur votre joue une petite flaque sensible aux objectifs, comme un argenté d’escargot. Discrétion dans la remise du chèque mais franchise dans le regard. Pas d’arrière-pensées entre nous. Cinq bons gars, tout à fait au courant des règles du jeu. Et qui seront sans doute amenés à retravailler ensemble. Si, si, vous verrez. Ah ! autre chose. Leur laisser un souvenir olfactif. Qu’ils retournent à leurs affaires nimbés du parfum de son after-shave ! Pas de serrage de paluches, alors ! Une bonne accolade, plutôt ! Un abraço à la brésilienne, panse contre panse et dos claqués. Et leurs quatre costards bons à brûler. Tuc, tu me trouves l’after-shave le plus… le plus… inoubliable… dans le genre sirop… sucré… le plus… vulgaire… tenace dans la vulgarité… je t’ai bien élevé, tu sais ce qu’ils entendent par là… leur conception de la vulgarité… Voilà ! Tu m’en remplis la baignoire.

Commenter ce livre

 

05/01/2023 368 pages 9,40 €
Scannez le code barre 9782072935442
9782072935442
© Notice établie par ORB
plus d'informations