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Genre
Sociologie
Introduction
L’heure hybride
La révolution numérique va-t-elle avoir raison des industries culturelles ? La question devient toujours plus brûlante à mesure que s’imposent les innovations qui bouleversent nos modes de vie et de consommation. Des libraires alarmés par le succès d’Amazon aux médias inquiets du développement de Netflix, c’est tout un secteur qui se sent aujourd’hui menacé dans son économie, dans son fonctionnement et dans sa légitimité.
Ces doutes ont même relégué au second plan les débats traditionnels sur « l’exception culturelle française », sur l’hégémonie américaine et les enjeux transatlantiques : aux États-Unis comme en Europe, les mêmes périls sont redoutés par des industries qui se voient remises en cause, de façon radicale, par des initiatives presque toutes issues d’un même univers, celui des start ups de la Silicon Valley. Des deux côtés de l’Atlantique, l’inquiétude monte avec une égale intensité, les mêmes cataclysmes sont annoncés.
Ces angoisses traduisent, en réalité, une incapacité à appréhender les bouleversements contemporains, à sortir des catégories avec lesquelles nous avons l’habitude de nous repérer, de penser et d’agir.
Nous venons d’un monde où le producteur produisait, le consommateur consommait, le dirigeant dirigeait et l’employé obéissait. Un monde où les livres, les films et les morceaux de musique appartenaient à des univers différents et hétérogènes, un monde où toute chose avait une place et surtout une nature uniques, fixées une fois pour toutes.
Ce monde n’est plus. L’apparition des technologies numériques a amorcé un mouvement de rapprochement inédit entre des univers hier hétérogènes. Le web 2.0, en permettant au plus novice des internautes d’interagir facilement sur la toile, a institutionnalisé de nouvelles pratiques qui ont fait disparaître les frontières entre producteurs et consommateurs des œuvres de l’esprit.
Ces ruptures technologiques ont rayonné bien au-delà du seul domaine numérique. Elles ont modifié en profondeur notre rapport à la culture, aux idées et même au monde. Elles n’ont pas seulement ouvert de nouvelles passerelles entre disciplines, entre supports et entre pratiques, mais également changé la place que chacun pouvait revendiquer.
Comme nous le verrons dans cet ouvrage, ce mouvement perturbe les logiques économiques, les modèles de développement et les positions individuelles. Il modifie en profondeur l’organisation de notre monde. Ses effets convergent avec ceux d’autres mouvements, comme l’étiolement de la notion de propriété, remise en cause par ce que l’économiste américain Jeremy Rifkin nomme l’« âge de l’accès1 » : une tendance qui nous pousse à privilégier l’usage des choses à leur propriété.
Ces phénomènes très puissants ne sont pas les effets d’une dilution, mais plutôt d’une recomposition des identités. Abandonnant les certitudes qui ont longtemps servi de fondement à l’organisation économique et sociale, chacun a désormais la possibilité de s’inventer une existence nouvelle, dans laquelle il peut – et même doit – exercer successivement ou simultanément des fonctions qui lui étaient autrefois interdites et en imaginer d’autres, développant ainsi des perspectives inédites.
Extraits
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