#Essais

L'odeur du si bémol. L'univers des hallucinations

Oliver Sacks

Vous est-il déjà arrivé de voir quelque chose qui n'était pas vraiment là. De vous entendre appelé par votre nom dans une maison vide ? D'avoir l'impression que quelqu'un vous suivait puis de vous retourner sans rien découvrir ? La migraine peut faire voir des arcs-en-ciel chatoyants aussi bien que de minuscules personnages lilliputiens. La malvoyance ou la cécité peut paradoxalement finir par précipiter dans un monde visuel hallucinatoire. Une simple fièvre, ou même l'acte de se réveiller ou de s'endormir, peut faire halluciner des lumières colorées, des visages détaillés ou des ogres terrifiants. Les sujets endeuillés reçoivent parfois la "visite" réconfortante de l'être cher qui les a quittés. Procédant avec son élégance, sa curiosité et sa compassion habituelles, Oliver Sacks mêle ici les récits de ses patients à ses propres expériences des psychotropes pour tenter de répondre à plusieurs questions majeures : Les hallucinations reflètent-elles l'organisation et la structure de nos cerveaux ? En quoi ont-elles influé sur le folklore et l'art de chaque culture ? Et pourquoi la capacité d'halluciner potentiellement présente chez chacun d'entre nous constitue-t-elle une facette essentielle de la condition humaine ?

Par Oliver Sacks
Chez Seuil

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Editeur

Seuil

Genre

Psychologie, psychanalyse

Le mot « hallucination » remonte au début du XVIe siècle, époque où il ne dénotait rien d’autre qu’une « errance mentale ». Ce fut le psychiatre français Jean-Étienne Dominique Esquirol qui donna son sens actuel à ce terme dans les années 1830 : avant cette date, ce qu’on qualifie aujourd’hui d’hallucinations était simplement appelé « apparitions ». Les définitions précises du vocable « hallucination » varient encore considérablement, surtout parce qu’il n’est pas toujours facile de discerner où la frontière se situe entre l’hallucination, la perception erronée et l’illusion ; mais les hallucinations sont généralement définies comme des percepts surgissant en l’absence de toute réalité extérieure – elles consistent à voir ou à entendre des choses qui ne sont pas là1.

Les perceptions sont partageables jusqu’à un certain point – nous pouvons convenir vous et moi qu’il y a un arbre là-bas ; mais, si je dis : « Je vois un arbre là » et que vous n’apercevez rien de tel, vous tiendrez mon « arbre » pour une hallucination, c’est-à-dire pour quelque chose qui, parce que seul mon cerveau ou mon esprit l’a concocté, n’est perceptible par nul autre que moi. Les hallucinations semblent pourtant très réelles à quiconque y est sujet ; elles parviennent à imiter la perception à tous égards, en commençant par la façon dont elles se projettent dans le monde extérieur.

Les hallucinations tendent à surprendre. Tout en étant quelquefois dû à son contenu – une gigantesque araignée qui se dresse au milieu de la pièce ou de minuscules personnages hauts de quinze centimètres –, ce trait tient plus fondamentalement encore à ce qu’aucune « validation consensuelle » n’est possible ; personne d’autre ne voyant ce que vous voyez, vous découvrez avec stupeur que l’araignée géante ou les gens minuscules que vous contemplez ne doivent exister que « dans votre tête ».

Quand vous vous représentez des images ordinaires – un rectangle, le visage d’un ami ou la tour Eiffel –, celles-ci restent à l’intérieur de votre crâne. Elles ne se projettent pas dans l’espace extérieur comme une hallucination, et elles sont moins détaillées qu’un percept ou qu’une production hallucinatoire : vous créez activement ces images volontaires que vous pouvez remanier à votre guise. À l’inverse, les hallucinations sont synonymes de passivité et d’impuissance : elles adviennent puis suivent un cours autonome – elles apparaissent et disparaissent à leur convenance, non à la vôtre.

Il existe une autre expérience hallucinatoire, dite parfois pseudo-hallucination, durant laquelle ce qu’on hallucine n’est pas projeté dans l’espace extérieur, mais est vu, pour ainsi dire, sur la face interne des paupières : ces sortes d’hallucinations habituellement concomitantes des états proches du sommeil sont vécues les yeux fermés. De telles hallucinations intérieures présentent pourtant toutes les autres marques du mode hallucinatoire, car elles sont involontaires, incontrôlables et peuvent se distinguer tout à fait de l’imagerie visuelle normale par leurs couleurs et leurs détails surnaturels ou par leurs formes et leurs transformations bizarres.

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trad. Christian Cler
23/01/2014 351 pages 24,00 €
Scannez le code barre 9782021079821
9782021079821
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