#Roman francophone

L'Italie, Rome et moi

Philippe Ridet

"La corruption des politiques, la mafia, le Festival de la chanson de San Remo, les papes, les glissements de terrain et les tremblements de terre, la faillite de la Sicile, la fabrication des pâtes et l'élaboration des sauces, la concussion, la rétorsion, l'abus de pouvoir, la ruine des ruines de Pompéi, des adresses d'hôtels en bord de mer, des recettes de cuisine, des patrons partis de rien et qui ont bâti un empire, des chantiers qui ne finiront jamais, la fuite à l'étranger des jeunes diplômés, des pactes entre banquiers à Milan, des meurtres gratuits et des règlements de comptes à Naples, l'abandon de Cinecittà, le pull de cachemire noir de Sergio Marchionne, le patron de la Fiat, les vestes à larges revers de Lapo Elkann et les costumes stricts de son frère John, les combines du football, la chasse aux immigrés en Calabre, les sermons de Roberte Saviano, l'omniprésence de l'Eglise, le chômage, la dette et le spread, l'évasion fiscale..." Rien ou presque n'aura échappé à l'auteur de ce récit foisonnant, charmeur et si profondément original. On le refermera en pensant à Jacques Nobécourt qui avait écrit : "Méfiez-vous de ceux qui ont tout compris de l'Italie et peuvent l'expliquer clairement. Ils sont sûrement mal informés".

Par Philippe Ridet
Chez Flammarion

0 Réactions |

Editeur

Flammarion

Genre

Littérature française

1

Inventaire

 

 

 

 

On jette

 

Et en plus il pleut. Pas ce petit crachin si français, cette pluie parisienne têtue, insidieuse et un peu chiche qui humidifie plus qu’elle ne mouille. Mais des trombes d’eau s’abattant d’un ciel gris venant de la mer et qui noircit de plus en plus, là-bas, quand il va se cogner à la chaîne de Abruzzes. Rome est spongieuse, amollie, dégoulinante. Les façades des palais ruissellent comme des serpillières mal essorées. Le Tibre va de nouveau inonder ses berges, et des flaques grandes comme des mares vont se former dans les rues défoncées du centre-ville. Pourtant j’ai bien lu dix ou vingt fois que le maire (et probablement ses prédécesseurs avant lui) allait « tout faire pour mettre fin à ce scandale indigne d’une capitale ». Les mouettes qui passent sur le ciel gris semblent plus lourdes – et plus grises. Ma terrasse est inondée et le buste de Bacchus en terre cuite autour duquel s’entortille un lierre a changé de couleur. D’orange brique sous le soleil, il est passé au marron humide et froid. Une rigole coule de son œil droit. On dirait qu’il pleure. D’ailleurs, si je ne me retenais pas…

C’est l’heure du classement par le vide. On secoue les dossiers de leur poussière. Finalement, je ne garde rien. Je voulais trier, je jette. C’est plus simple, plus rapide, plus expéditif.

Le 1er janvier est la période idéale pour les grands rangements. Surtout quand on est seul. Toutes ces coupures de presse que j’ai entassées les unes sur les autres ne verront pas l’année nouvelle. Désormais je connais l’Italie – ou du moins je suis désormais assez humble pour reconnaître que je n’en sais pas grand-chose, mais elle m’est devenue familière. Je peux la conduire les yeux fermés comme une voiture sur un trajet mille fois parcouru. J’anticipe ses crises, je reconnais les signes avant-coureurs de la grippe, je veille à ne pas la brusquer, j’ai appris à ne plus me précipiter dans les polémiques d’une journée. Je la sens, je la respire. Les centaines d’articles que je m’apprête à mettre à la poubelle ne me sont plus d’aucune utilité. De toute manière, ou bien les choses n’arrivent qu’une fois ou elles se répètent à plaisir.

Un de mes lointains prédécesseurs dans ce poste, Jacques Nobécourt (1923-2011) avait écrit : « Méfiez-vous de ceux qui ont tout compris de l’Italie et peuvent l’expliquer clairement. Ils sont sûrement mal informés. » Depuis que je la connais, cette phrase est devenue mon mot de passe, mon viatique. Elle relativise mes erreurs, excuse parfois ma paresse et mon découragement. Tout est devenu plus facile et compliqué. Mes certitudes d’hier se sont évanouies. J’avais quelques idées sur le pays lorsque j’y ai débarqué il y a cinq ans. Aujourd’hui j’en ai mille, toutes contradictoires. J’ai fait ce que j’ai pu pour expliquer clairement l’Italie mais j’ai vite compris que c’était un leurre. Pour décrire ce pays, mille articles ne suffisent pas, il en faudrait soixante millions sept cent vingt mille, selon le chiffre du recensement de 2011 : un pour chaque Italien, ou davantage encore. L’autre solution ? S’en tenir aux clichés. Cela va plus vite et ils ne sont pas toujours faux. Il m’est arrivé d’y céder. Écrire un livre ? En est-il encore temps…

Commenter ce livre

 

02/10/2013 253 pages 18,00 €
Scannez le code barre 9782081311961
9782081311961
© Notice établie par ORB
plus d'informations