Editeur
Genre
Ethnologie
1
Partages
Mutisme et surdité s’installent
derrière les yeux.
Je vois le poison fleurir.
En toute sorte de paroles et de formes.
D’origine martiniquaise, né à Fort-de-France en 1925, inhumé en terre algérienne en décembre 1961, quelques mois avant l’officialisation de l’indépendance de l’Algérie, formé à la psychiatrie en France au décours de la Seconde Guerre mondiale, Frantz Fanon, de nos jours, n’est plus connu du grand public européen. Il est mort jeune, à trente-six ans, et sa vie et ses écrits sont aujourd’hui liés à la décolonisation et au tiers-mondisme. Pourtant, ses livres sont lus par des étudiants de toutes origines. Des cercles Frantz Fanon, actifs ou coquilles vides, existent un peu partout dans le monde, aux Antilles, en Algérie, en Iran ou en Afrique du Sud. Il est plus ou moins idolâtré, voire instrumentalisé, dans les universités américaines. Des cinéastes anglo-saxons lui consacrent des films, des philosophes de langue anglaise des essais biographiques.
Prononcer son nom, c’est toujours se risquer en terre inconnue, quel que soit l’âge de l’interlocuteur. Les réactions sont imprévisibles, contrastées en deux dimensions. Celle de l’interrogation et de l’ignorance absolue : « Qui est-ce, le voisin de palier ? » Ou la réminiscence : « Il a illuminé mes lectures d’adolescent ! » Ni connu, ni inconnu, ni Che Guevara, ni Sartre, ni Camus, Frantz Fanon, dans ses avancées sur le racisme, le colonialisme, le rapport oppresseur/opprimé, l’avenir des pays en voie de développement, fut un précurseur. Ses propos, sous forme de mise en garde et de cri d’alarme, prennent place dans l’actuel.
Il se trouve que les hasards de l’histoire m’ont fait côtoyer de façon très proche Frantz Fanon, dans un parcours de vie essentiel, de 1955 à 1961, le temps de son engagement dans la lutte pour l’indépendance algérienne. Nos activités professionnelles et politiques furent étroitement mêlées, depuis son arrivée en Algérie jusqu’à sa mort.
Une œuvre appartient à ceux qui la lisent, et chaque lecteur, de génération en génération, est libre de commenter et d’interpréter celle de Fanon comme il l’entend. Pourtant, retracer un parcours peut parfois contribuer à éclairer lectures et commentaires, à déplacer le point d’identification originaire et passionnel de l’interprétation de l’œuvre.
À Sartre, qui lui demandait quelques détails sur sa vie, Fanon répondait toujours que cela lui semblait superflu. Et pourtant Fanon était inconditionnellement impressionné par Sartre. Il voulait s’en faire connaître et reconnaître, il était prêt à tout dire de lui à cet homme auquel il vouait une admiration durable. Toutefois, parler de soi, ce n’était pas parler de sa vie, c’était dire ses engagements, ses passions, ses combats. Fanon affirmait à son ami Manville : on ne raconte pas son passé, on en témoigne.
L’aurait-il voulu, Fanon était de toute façon incapable de se raconter. Il avait une présence dans l’instant, intense, qui donnait corps à tout ce qu’il évoquait. Mais il s’agissait justement d’une évocation présente, sans aucun récit du passé. Ainsi les quelques bribes de vie dites personnelles surgissaient-elles en allusions courtes, rendues vives dans l’instant et aussitôt disparues. L’interroger était alors inutile. D’un bond, nous étions ailleurs.
Extraits
Commenter ce livre