#Roman francophone

Des petites filles modèles...

Romain Slocombe

En 1858, la comtesse de Ségur présente Les Petites Filles modèles comme la suite des Malheurs de Sophie, et ces deux livres figurent depuis lors au coeur du répertoire classique de la littérature française pour la jeunesse. Portraits d'enfants bien nés saisis au moment où ils s'interrogent sur le bien et le mal, tableaux d'un milieu social où ne cesse de se poser la question des normes et des limites, les petites filles doivent y être "modèles" en vertu d'un idéal de comportement. Mais l'atteindre n'est pas si simple ! Et l'on a amplement pointé, au-delà des récits en apparence innocents et inoffensifs de la comtesse de Ségur, les bourgeons de l'ambiguïté. Dans son remake, Romain Slocombe les fait éclore : ses petites filles modèles deviennent les héroïnes d'un roman inquiétant et pervers, érotique et vampirique. Comme si la comtesse de Ségur avait retiré la sourdine pour écrire un ouvrage destiné à des enfants plus âgés, voire à des adultes, laissant libre cours à la progression de la cruauté. Comme si elle avait quelquefois rêvé d'être Sade, non plus comtesse mais marquise...

Par Romain Slocombe
Chez Belfond

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Editeur

Belfond

Genre

Littérature française

Ce livre est dédié à Gérard Lenne,
en nostalgie de l’Horror

 

Merci à Anne Robert (clavecin)
et Frédéric Pélassy (violon)
pour leur interprétation des Sonates pour violon et clavecin obligé
de Johann Sebastian Bach
BWV 1014, 1017 et 1019,
enregistrées en l’église de Valflaunès, Hérault
(BNL Productions, 1992)


Pour sa relecture vigilante de l’introduction, merci au Dr Philippe Charlier,
de l’équipe d’anthropologie médicale et médico-légale, UFR des Sciences médicales,
Montigny-le-Bretonneux,


Merci à Jean-Marc Berlière,
professeur d’histoire contemporaine à l’université de Bourgogne,
pour sa compétence concernant les recherches
aux archives de la Préfecture de police,


Et merci à Laurence Biberfeld et sa fille Sarah
pour l’eau bénite…

 


Le recueil de poèmes d’Henry Rigal (1883-1914) Le Laurier et les Roses a été publié par Bernard Grasset en 1909.


« On peut engager honnêtement des hôtes à prolonger leur séjour ; mais on ne doit jamais les retenir de force. »
J. B. J. de CHANTAL (Jean-Baptiste-Joseph CHAMPAGNAC),
La Civilité des jeunes personnes


« Parmi les souvenirs infantiles d’expériences vécues importantes qui entrent en scène avec une précision et une clarté égales, il y a quantité de scènes qui, lorsqu’on les contrôle – par exemple par le souvenir d’adultes – se révèlent falsifiées. »
Sigmund FREUD, « Sur les souvenirs-écrans »


« […] Si cet enfant donne un tour de vis de plus à votre émotion, que direz-vous de deux enfants ?
— Nous dirons, bien entendu, s’écria quelqu’un, que deux enfants donnent deux tours… et que nous voulons savoir ce qui leur est arrivé. »
Henry JAMES, Le Tour d’écrou

 

 

Au mois de mars 2014, des travaux d’agrandissement d’un parking situé à proximité de l’église de Rennes-le-Château, dans le département de l’Aude, ont permis la mise au jour de plusieurs cercueils en plomb dont l’origine remontait au Moyen Âge. L’équipe archéologique convoquée en urgence a eu la surprise de trouver dans l’un d’entre eux la dépouille d’une femme en un état de conservation exceptionnel. Par exemple, ses cheveux gris-blond étaient intacts alors que l’on ne trouve d’ordinaire que des os et des dents. Les premières conclusions des chercheurs furent que la putréfaction avait été interrompue par l’étanchéité absolue du cercueil, dont le plomb aurait également préservé la défunte des attaques des insectes nécrophages. Mais la découverte, à côté du corps, d’un manuscrit d’aspect relativement récent, rédigé en français contemporain, est venue infirmer ce diagnostic. Le texte incluait des références, entre autres, à des événements très postérieurs au Moyen Âge, comme l’affaire Dreyfus, le naufrage du sous-marin Farfadet, la Première Guerre mondiale, l’épidémie de grippe espagnole… Et, pour ce qui est de l’histoire qu’il racontait, s’achevait au mois de novembre 1929.
En tout état de cause, il fallait faire vite : les mouches faisaient leur apparition sur le chantier. Les archéologues appelèrent l’Institut médico-légal de Montpellier, qui les informa qu’ils ne disposaient que de soixante-douze heures pour étudier le cadavre avant sa décomposition. Les responsables du laboratoire d’anthropologie moléculaire et d’imagerie de synthèse (AMIS), et un médecin légiste du CHU de Montpellier, contactés à leur tour, acceptèrent de recevoir le corps à fins d’examen. Il voyagea de Rennes-le-Château à Montpellier en camion frigorifique. Le scanner révéla que la morte n’avait pas été embaumée : tous les organes étaient présents, à l’exception du cœur, qui avait été retiré (une cicatrice en forme de T entre les seins et le long du diaphragme montrait que l’opération avait été pratiquée en entrant par le sternum). Cette pratique, courante dans les classes supérieures entre les XVIe et XVIIIe siècles, avait pour but l’inhumation de l’organe dans un reliquaire séparé, disposé en un autre lieu : souvent la tombe du conjoint du défunt.
La femme retrouvée à Rennes-le-Château avait vécu jusqu’à l’âge de cinquante-cinq ans environ – bien que paraissant plus jeune – et souffrait de calculs rénaux. Dans ses artères, des plaques de cholestérol dénotaient une alimentation trop riche. Par ailleurs, des adhérences pulmonaires montraient une atteinte par la tuberculose. Des cicatrices encore visibles sur l’épiderme semblaient avoir été causées par des brûlures, notamment aux jambes, autour de la taille, aux mains et au bras droit. Enfin, le tibia de la jambe droite et l’humérus du bras gauche portaient les traces d’anciennes fractures, parfaitement consolidées, survenues à moins de quarante ans. L’objectif initial des chercheurs était tout particulièrement, grâce à des prélévements de tissus, d’étudier les agents pathogènes, virus et bactéries, et de séquencer leur ADN, afin d’apprendre de quelle façon ils avaient muté depuis le Moyen Âge.
L’analyse en fluorescence ultraviolette d’un fragment osseux apporta une nouvelle, et considérable, surprise. Sous les UV, la fluorescence des os diminue de la périphérie vers le centre en fonction des années ; et elle disparaît dès lors qu’on ne compte plus en années, mais en siècles. Or, cette analyse, confirmée par des mesures de la densité osseuse et de l’étendue de certains composants radioactifs, indiquait un décès survenu non pas à la fin du XVe siècle, époque de fabrication du cercueil, mais aux alentours de 1930 ! Étant donné l’âge présumé de la défunte au moment de sa mort, elle serait née entre 1870 et 1880.
L’examen du manuscrit – anonyme, écrit apparemment par une femme, intitulé (dans une intention ironique, ou subversive) : « Des petites filles modèles… », et dont le texte, en dépit de similitudes, voire de passages entiers copiés directement de la comtesse de Ségur, mais détournés de leur intention première, diffère somme toute radicalement de l’œuvre originale et, au contraire de celle-ci, ne paraît pas destiné à un public enfantin – permit de le dater de manière relativement précise. La chromatographie de l’encre et l’étude du procédé de fabrication du papier donnèrent des résultats concordants : le texte avait été rédigé entre 1925 et 1930. Pour ce qui est du lieu de sa découverte, l’analyse chimique des soudures du plomb et de traces d’éraflures dues à des outils, pratiquée ultérieurement par les techniciens de la police scientifique, démontra que le cercueil avait été forcé, puis refermé, dans la première moitié du XXe siècle.
Quelques semaines après son arrivée dans les locaux du service médico-légal du CHU de Montpellier, le cadavre, qui, grâce aux précautions prises, n’avait pas souffert des atteintes de la décomposition, disparut mystérieusement de son tiroir réfrigéré. L’enquête policière conclut à l’intervention d’étudiants en médecine facétieux, ou de collectionneurs de curiosités macabres. Jusqu’à présent le corps n’a pas été retrouvé, en dépit d’appels diffusés par la presse, et d’une certaine publicité autour de l’affaire. En revanche, le manuscrit, qui avait été entreposé à la bibliothèque du CHU, nous est parvenu intact. Des journaux et revues avides de sensationnel ont depuis fait courir la rumeur, relayée sur Internet, que la vague de décès inexpliqués, touchant presque exclusivement des femmes, qui a frappé la ville de Montpellier et ses alentours, peu après ces événements, serait liée à la disparition de la morte de Rennes-le-Château. Ces théories, dénuées de tout fondement solide, sont dues à la notoriété sulfureuse de cette commune, en rapport avec la légende du « Prieuré de Sion » colportée naguère par des journalistes anglais peu scrupuleux.
Deux édifices fortifiés situés dans le département de l’Aude, à proximité des communes de Chalabre et de Couiza, non loin de Rennes-le-Château, pourraient correspondre au château de P… où se déroule l’intrigue : le château de Puivert (XIIe et XIVe siècles), ouvert aux touristes, et le château de Pierremont (XIVe siècle), dont une partie a brûlé lors d’un incendie en 1909 ; il est actuellement dans un état de délabrement avancé. Quant aux ruines de la demeure occupée naguère par les descendants de la comtesse von K…, leur description rappelle le château dévasté de Coustaussa (XIIe, XIIIe, XVIe et XVIIe siècles), qui domine le torrent du Sals sur la route de Couiza à Rennes-les-Bains – même si quelques chercheurs insistent pour y reconnaître les restes de la forteresse d’Arques, dans les Corbières.
Enfin, concernant un élément de nature criminelle rapporté au dernier chapitre, selon les archives de la Préfecture de police consultées par nos soins, aucune disparition de femme n’a été signalée à Paris dans le voisinage du parc Monceau la nuit du 10 au 11 novembre 1929. Mais ces archives, pour les années antérieures à la Seconde Guerre mondiale, sont très lacunaires : les Allemands en ayant récupéré une partie en juin 1940, et d’autres ayant été détruites, cachées ou perdues.
Quoi qu’il en soit, à l’intérieur de l’espace littéraire, observe très justement F. Lacassin1, c’est l’écrivain qui fait la loi, à lui tout seul : par tempérament il incline, surtout lorsqu’il emprunte, à ne pas se conformer ; il transpose ou réinvente. À l’heure où nous publions ces Petites Filles modèles…, nous ignorons encore si leur histoire repose, au moins en partie, sur une quelconque réalité – autrement qu’à travers les citations de Boyer d’Argens ou de saint François de Sales, et des allusions, claires ou voilées, aux œuvres d’écrivains comme la comtesse de Ségur naturellement, mais aussi Dom Augustin Calmet, Matthew Gregory Lewis, Théophile Gautier, Bram Stoker, Sheridan Le Fanu, Octave Mirbeau, Jean Ray, ou encore Pierre Louÿs, Jean-Jacques Rousseau et le marquis de Sade – ou s’il s’agit, ce qui nous apparaît le plus vraisemblable, d’une simple mystification posthume.

Le texte qui suit est la reproduction fidèle et intégrale du manuscrit trouvé dans le cercueil, y compris la ponctuation d’origine ; seules des notes de bas de page ont été ajoutées.

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28/01/2016 297 pages 18,00 €
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