Cesare Battisti. Les coulisses obscures

PRÉFACE

Aurais-je pu, aurais-je su écrire un tel livre ?

Question que je me posai souvent lors de ma découverte de ce texte, puis au cours de ses multiples lectures, tant cette recherche m’impressionna. Il est vrai que quand je lus pour la première fois ce manuscrit en portugais, au commencement de l’année 2012, j’avais déjà effectué plus de vingt séjours au Brésil – où Cesare Battisti était incarcéré depuis 2007 –, rendu visite au prisonnier plus de quarante fois, arpenté à Brasília les couloirs du Sénat, de la Chambre des députés, des ministères, du Palais présidentiel, du Tribunal suprême, rencontré quantité de journalistes – en pure perte –, expliquant sans relâche l’histoire véritable. Puis constaté, après la libération de Battisti en juin 2011, que ses poursuivants n’avaient nullement désarmé et qu’il n’était pas encore temps pour le répit. Je pensais, bien sûr, à un livre : à un livre « total », qui expose enfin la masse des vérités enfouies sur cette terrible affaire, depuis son origine italienne, trente ans plus tôt, jusqu’à son éveil en France en 2004 puis son embrasement au Brésil, où Battisti avait fui. Un livre historien, strictement documenté, à l’opposé des livrets passionnément destructeurs et partisans qui avaient un peu partout fleuri, un livre qui puisse porter l’espoir de convaincre ceux qui souhaiteraient savoir. Ou bien au moins un livre qui, tel un tournant sur le chemin, dresserait l’équitable et loyal état des lieux de cette trop longue histoire. Projet d’envergure, rigoureux, et savant. Après huit années de bataille, sans cesse perdue, sans cesse recommencée, aurais-je trouvé temps et énergie pour m’atteler à un tel grand-œuvre ? Et surtout, aurais-je su ? Disposais-je de connaissances assez pointues, moi, médiéviste, pour conter la situation trouble et tendue de l’Europe d’après-guerre, d’où émergèrent les années de plomb italiennes ? Car comment comprendre « l’affaire Battisti » sans en décrire le cadre historique et ses multiples éléments enchevêtrés ? La guerre froide, l’ingérence américaine, la Stratégie de la tension, les attentats de l’extrême droite, le réseau Gladio, la droitisation du PCI, l’âpre combat entre staliniens et nouvelle gauche, les lois « d’exception », la justice spéciale, les centaines de procès, les milliers d’incarcérations… Puis suivre l’histoire de la gauche armée, et celle du groupe des PAC en son sein. Rendre compte des milliers de pages des procès collectifs contre les PAC et Battisti. Dire et comprendre l’explosion de l’« affaire » en France, tant d’années plus tard, restituer pas à pas l’enchaînement successif des effarants événements brésiliens.

Début 2012, c’était chose faite sous la plume du professeur Carlos Lungarzo. Je restai stupéfaite devant l’exhaustivité de cet ouvrage, sa probité, et l’excellence de sa documentation. L’auteur y alliait la rigueur du mathématicien et les scrupules de l’historien, exposant tout, ne cachant rien, livrant de sorte un document d’exception sur les faces tant visibles que secrètes de l’affaire Battisti, et sur ses « pourquoi et comment ».