Essix
Rollan rôdait autour du magasin de l’apothicaire, en prenant soin de ne pas se faire voir. Une bannière à l’effigie d’Essix, le faucon, protecteur de l’Amaya, flottait à l’entrée, comme pour presque tous les commerces de la ville. Cachés entre les beaux bâtiments aux façades de stuc, Smarty et Red ne le quittaient pas des yeux. Il leur fit signe de ne pas attirer l’attention sur lui. Saisissant le message, ils détournèrent la tête.
Orphelin depuis l’âge de cinq ans, Rollan avait déjà dû voler pour survivre, mais il évitait en général d’en arriver à cette extrémité. Il préférait récupérer ce dont les gens ne voulaient plus. Les riches se débarrassaient de toutes sortes de choses. Rollan se débrouillait pour finir leurs repas et s’approprier leurs vieux vêtements. C’était du recyclage, pas du vol.
Hélas, ce dont il avait besoin aujourd’hui, il ne pouvait pas se le procurer par ce moyen. Impossible de dénicher un fond de bouteille d’extrait de saule. C’était bien trop précieux. Mais Digger brûlait de fièvre, son état ne cessait d’empirer. Sans remède, il risquait de mourir.
Croisant les bras, Rollan fixa le sol. S’il n’aimait pas voler, ce n’était pas par respect de la loi. La plupart des bourgeois de la ville de Concorba avaient bâti leur fortune sur le dos des pauvres, prenant tout à des gens qui n’avaient presque rien, et la loi protégeait ce système injuste. Simplement, à ses yeux, voler était trop risqué. Ceux qui se faisaient prendre même pour un maigre larcin étaient sévèrement punis. Et il n’avait aucune envie de finir en prison. Les autres se moquaient de lui. Ils avaient voulu le rebaptiser Latrouille, mais ça l’énervait. En fait, il avait refusé tous les surnoms. Il était le seul gars du groupe à ne pas en avoir.
Comme il n’avait pas le temps de mendier assez d’argent pour acheter l’extrait de saule, Rollan s’était résigné à le voler ; après tout la vie d’un ami était en jeu. Mais, après avoir fait le tour du magasin, il doutait de réussir.
Aussi décida-t-il de faire d’abord appel à la générosité de l’apothicaire. L’homme n’avait pas la réputation d’être particulièrement sympathique, mais cela valait la peine de tenter le coup. Rollan se redressa de toute sa taille avant de pousser la porte.
Le propriétaire, Eloy Valdez, se tenait derrière le comptoir, en blouse blanche. D’épais favoris grisonnants encadraient son crâne dégarni. Il fixa un regard inquisiteur sur Rollan. Même vêtu de ses meilleurs habits, le garçon était trop jeune et dépenaillé pour faire un bon client.
Il se posta devant l’apothicaire avant de déclarer avec son plus beau sourire :
– Bonjour, monsieur Valdez.
Il savait que, sous la crasse, il était plutôt mignon, avec sa tignasse brune et sa peau mate. Mais il fallait énormément gratter, c’est vrai.
– Bonjour, mon garçon, répondit l’homme en le toisant d’un œil soupçonneux. Que puis-je faire pour toi ?
Extraits
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