#Roman francophone

Fleurs de ruine. Récit

Patrick Modiano

24 AVRIL 1933. Deux jeunes époux se suicident dans leur appartement parisien pour de mystérieuses raisons. Cette nuit là ils auraient fait la connaissance de deux femmes, de deux hommes, fréquenté un dancing, pénétré dans une maison pourvue d'un ascenseur rouge. Trente ans se sont écoulés. Le narrateur s'interroge sur leur histoire dont certains protagonistes semblent avoir croisé la sienne. Interrogation qui, en écho, en suscite d'autres. Fantômes entrevus, explications jamais venues. Silhouettes, prénoms, aspirés par le temps. Paris, aussi, surtout. Perdu, poursuivi, redessiné.

Par Patrick Modiano
Chez Seuil

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Editeur

Seuil

Genre

Littérature française (poches)

 

Une vieille bavarde

Un postillon gris

Un âne qui regarde

La corde d’un puits

Des lys et des roses

Dans un pot de moutarde

Voilà le chemin

Qui mène à Paris.

Ce dimanche soir de novembre, j’étais dans la rue de l’Abbé-de-l’Épée. Je longeais le grand mur de l’Institut des sourds-muets. À gauche se dresse le clocher de l’église Saint-Jacques-du-Haut-Pas. J’avais gardé le souvenir d’un café à l’angle de la rue Saint-Jacques où j’allais après avoir assisté à une séance de cinéma, au Studio des Ursulines.

Sur le trottoir, des feuilles mortes. Ou les pages calcinées d’un vieux dictionnaire Gaffiot. C’est le quartier des écoles et des couvents. Quelques noms surannés me revenaient en mémoire : Estrapade, Contrescarpe, Tournefort, Pot-de-Fer… J’éprouvais de l’appréhension à traverser des endroits où je n’avais pas mis les pieds depuis l’âge de dix-huit ans, quand je fréquentais un lycée de la Montagne-Sainte-Geneviève.

J’avais le sentiment que les lieux étaient restés dans l’état où je les avais laissés au début des années soixante et qu’ils avaient été abandonnés à la même époque, voilà plus de vingt-cinq ans. Rue Gay-Lussac – cette rue silencieuse où l’on avait jadis arraché des pavés et dressé des barricades –, la porte d’un hôtel était murée et la plupart des fenêtres n’avaient plus de vitres. Mais l’enseigne demeurait fixée au mur : Hôtel de l’Avenir. Quel avenir ? Celui, déjà révolu, d’un étudiant des années trente, louant une petite chambre de cet hôtel, à sa sortie de l’École normale supérieure, et le samedi soir y invitant ses anciens camarades. Et l’on faisait le tour du pâté d’immeubles pour voir un film au Studio des Ursulines. Je suis passé devant la grille et la maison blanche aux persiennes, dont le cinéma occupe le rez-de-chaussée. Le hall était allumé. J’aurais pu marcher jusqu’au Val-de-Grâce, dans cette zone paisible où nous nous étions cachés, Jacqueline et moi, pour que le marquis n’ait plus aucune chance de la rencontrer. Nous habitions un hôtel au bout de la rue Pierre-Nicole. Nous vivions avec l’argent qu’avait procuré à Jacqueline la vente de son manteau de fourrure. La rue ensoleillée, le dimanche après-midi. Les troènes de la petite maison de brique, en face du collège Sévigné. Le lierre recouvrait les balcons de l’hôtel. Le chien dormait dans le couloir de l’entrée.

J’ai rejoint la rue d’Ulm. Elle était déserte. J’avais beau me dire que cela n’avait rien d’insolite un dimanche soir, dans ce quartier studieux et provincial, je me demandais si j’étais encore à Paris. Devant moi, le dôme du Panthéon. J’ai eu peur de me retrouver tout seul, au pied de ce monument funèbre, sous la lune, et je me suis engagé dans la rue Lhomond. Je me suis arrêté devant le collège des Irlandais. Une cloche a sonné huit coups, peut-être celle de la congrégation du Saint-Esprit dont la façade massive s’élevait à ma droite. Quelques pas encore, et j’ai débouché sur la place de l’Estrapade. J’ai cherché le numéro 26 de la rue des Fossés-Saint-Jacques. Un immeuble moderne, là, devant moi. L’ancien immeuble avait sans doute été rasé une vingtaine d’années auparavant.

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09/05/2007 142 pages 5,70 €
Scannez le code barre 9782020259149
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