#Essais

Anatomie de la troisième personne

Guy Le Gaufey

" L'analyste ne s'autorise que de lui-même ", tel fut le verdict de Lacan sur la très délicate question de l'autorisation. Scandale et incompréhension garantis. Pourtant, dans cet écart grammatical discret entre " analyste " et " lui-même ", gît peut-être la source inépuisable du transfert, mis ainsi en relation, par la seule vertu de cette notion d'" autorisation ", avec la détermination centrale de la personne fictive chez Hobbes. D'où l'idée d'aller enquêter sur la troisième personne, aussi bien au niveau de la constitution de l'Etat moderne, que dans l'" irréductible ambiguïté " (Lacan dixit) du transfert. Car entre le " il " de " il a dit " et le " il " de " il pleut ", aux frontières de la persécution et du destin, psychanalyse et pouvoir d'Etat développent des stratégies incompatibles, qui les rendent sourds l'un à l'autre. Pourquoi ?

Par Guy Le Gaufey
Chez EPEL

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Editeur

EPEL

Genre

Psychologie, psychanalyse

 

 

 

 

 

Introduction

 

 

Qu’y a-t-il donc, en lui, à m’être si rebelle ? Si lointain ? Pourquoi, au moment de me parler, l’ombre de cette troisième personne (qu’il laisserait ce faisant derrière lui) viendra-t-elle discréditer ce qu’il pourrait en dire ? Car lui me fait mystère ! J’ai beau tendre les pièges les plus ingénieux pour l’amener à dévoiler enfin ce qui, à l’occasion, le fait tiers, à peine ouvre-t-il la bouche qu’inexorablement s’évapore l’essentiel de ce que, peut-être, il allait me révéler sur lui, sur cette proximité d’avec ça, que je ne connais pas. Pas bien. Pas comme lui. Et plût au ciel que je ne l’apprisse que par les histoires ! Quand me vient l’envie de laisser en moi libre voix à cette troisième personnelaquelle m’échoit plus souvent qu’à mon tour, comme à quiconque –, un léger mordillement de la lèvre inférieure me le rappelle : ça, ne sera, encore pas pour cette fois. Dès qu’il s’agit de lui, une réserve se creuse. Ni toi ni moi n’en viendrons à bout. Et qui d’autre, alors, si même pas nous ? Eux ? Il n’y faut pas compter. Comme n’importe lequel d’entre nous, chacun d’eux n’aura qu’un souci : dire « je », se ruer vers cette première personne par qui la parole se fraie un chemin, et laisser dans un éternel stand bv celle qui, par définition, ne sera invitée aux agapes de la parole que par prétérition. Lui… ne sera, jamais des nôtres ! Qu’il s’évertue à en être, s’en vienne avec nous à la chasse… il perd sa place ! Y revient ? – Trouve un chien.

 

En ce siècle qui finit, ce chien s’est beaucoup appelé « inconscient ». Sous ce nom du moins, Freud a dégagé les terres vierges où son Ich était pressé d’advenir : « Wo es war, soll lch werden ». Au cœur du sujet parlant, une nouvelle zone était ouverte, à la fois neutre (au sens grammatical du terme : aucune première personne ne l’habile), et cependant toujours à même d’envahir et entraver les avenues subjectives que Descartes avait tracées pour son ego, bien amarré à l’existence, certes, mais au prix de se retrouver plaqué sur sa propre pensée. F ne fois décollé d’une si minutieuse et constante coïncidence avec celle pensée, le Ich freudien pouvait supporter que se creusât autrement l’espace de la troisième personne. Avec lui, le neutre et le non-neutre, par qui les grammairiens s’étaient jusque-là tirés d’affaire pour calibrer cette personne, souffraient tous deux qu’un tiers terme s’introduisît en leur milan : ces représentations refoulées que je ne peux considérer comme miennes, à telles et telles occasions, il ne me sera plus permis de les tenir pour seulement étrangères. Ce qui, en moi, paye tribut à ce lui qu’il se souvient alors vaguement d’avoir été, génère un trouble spécifique. Toute une zone intermédiaire de la personnaison s’est ainsi trouvée ouverte, assez vivement pour prendre parfois des airs de séisme.

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11/02/1999 252 pages 28,00 €
Scannez le code barre 9782908855395
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