#Roman francophone

Le roi des ombres

Eve de Castro

Le Versailles de Louis XIV est un théâtre où la monarchie absolue se construit en se donnant en spectacle. C'est aussi un panier de crabes où vingt mille personnes, du plus haut au plus bas de l'échelle sociale, s'agitent dans les ors et les gravats, l'inconfort et la puanteur, les complots et les coucheries, avec pour tous le rêve de grimper vers la lumière. Le Roi des Ombres est l'aventure de ceux dont personne n'a jamais parlé. Les petits, les obscurs. Les ombres qui creusent la terre, dressent les murs, soufflent la poudre sur les perruques, massent les pieds. Celles qui, dans la boue du futur Grand Canal ou dans la chambre du roi, regardent le siècle à genoux. Louis XIV et son frère Philippe d'Orléans côtoient sans les voir ces ombres qui servent leur plaisir et leur gloire. Talentueuse et risque-tout, Nine La Vienne veut échapper au sort commun des femmes. Vaurien autodidacte, Batiste Le Jongleur se rend indispensable aux bâtisseurs du château. Ensemble, pour sortir du néant, ils vont défier les lois de leur temps. Quête éperdue de justice, de liberté, d'amour, conte baroque, Le Roi des Ombres est une plongée fascinante dans les coulisses du Grand Siècle, et un diabolique page turner.

Par Eve de Castro
Chez Robert Laffont

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Genre

Romans historiques

De dos, l'homme n'a pas grande allure. D'une taille très au-dessous du médiocre, il est à peine plus épais qu'une fillette. L'habit est gris souris, de bonne coupe, de drap lourd mais usé, et les bas gris ardoise, rapiécés en plusieurs endroits. Les pieds sont calés dans des souliers hors d'âge, beaucoup trop larges et bourrés de paille fraîche.
Cet homme qui regarde dans la cour depuis la fenêtre de sa chambre se fait appeler Ange Lacarpe. Personne ne sait si c'est là son vrai nom, mais les gens du village s'accordent à lui trouver une patience angélique et guère plus de conversation qu'un poisson. Il soigne les enfants, les tout-petits, les plus grands, et aussi, à l'occasion, parce que les temps sont rudes et que nécessité fait loi, leurs parents. Gars et matrones, jeunes et vieux, même les pauvres, ceux qui n'ont rien du tout que leur détresse et des larmes qui ne servent à personne.
Ange Lacarpe ne guérit pas toujours, mais au moins, il soulage.
Le seul qu'il ne soit pas parvenu à soulager, c'est le maître, celui qui vivait au château.
Celui qui vient de trépasser.
Les cloches de l'abbaye sonnent depuis l'aube, et les villageois découpent du drap noir pour accrocher aux fenêtres. Ils porteront le deuil non par respect dû au mort, car ce mort-là n'avait rien de respectable, mais pour son fils, qui hier comme aujourd'hui ne méritait pas le sort que la vie lui a fait.
Le nouveau maître.
Celui qui se fait nommer Ange Lacarpe connaît bien le nouveau maître. Il le connaît assez pour l'appeler : « Enfant » ou encore « Charles », ce que personne, même pas la femme Fermat, sa nourrice, ne se permet. Entre celui qui soigne les petits et cet enfant-là qui est maintenant un homme, il y a un lien que les gens du village admirent et envient.
De ce lien-là, le maître qui est mort la nuit dernière était férocement jaloux. Surtout vers la fin.
L'homme en gris ouvre sa fenêtre. La croisée résiste, l'humidité a fait gonfler le bois. Il faudrait raboter et repeindre le pourtour. Ange Lacarpe n'aura pas le temps.
L'air est tiède, presque rose. Un soir qui ressemble à une aube.
L'homme ôte sa perruque, grise également, et ébouriffe ses cheveux courts et drus. Il respire en fermant les yeux.
Voilà treize années qu'il attend cette aube.
Sous la fenêtre se trouve un coffre. Pas très large, en bois de chêne avec des ferrures compliquées. Ange Lacarpe plie les genoux, et tirant de sa poche une clef, il défait les serrures et soulève le couvercle.
Ce qui est dans le coffre n'a pas souffert, ou très peu. Il remue les sachets placés entre les épaisseurs de soie, époussette ici et là, et pour que les dentelles prennent l'air, il laisse le coffre ouvert.
Il a verrouillé la porte après le départ du jeune maître et taillé deux plumes neuves. Personne ne viendra le surprendre. La nuit qui tombe est à lui.
Il passe les mains sur son visage, puis il verse de l'esprit de vin sur un linge et se débarbouille avec soin. Pour ce qu'il va faire maintenant, il doit avoir l'âme et le visage nus.
Le moment est venu.

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18/10/2012 478 pages 21,50 €
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