A la mémoire de ma mère
Le bouddhisme est un culte du néant.
Quel culte ! dira-t-on. Oui, sans doute, le fait est étrange, mais il est avéré.
Victor Cousin
La découverte réelle du bouddhisme est un fait très récent de l’histoire occidentale. Au moment où les orientalistes commencèrent à traduire des textes et à reconstituer les doctrines, les philosophes crurent comprendre qui était le Bouddha. Ce destructeur, à leurs yeux, niait l’existence et préconisait l’anéantissement. Pourquoi revenir sur cette erreur ancienne ?
Orientaliste : homme qui a beaucoup voyagé.
Flaubert, Dictionnaire des idées reçues.
Disons-le tout net : le bouddhisme n’est pas un culte du néant.
A nos yeux d’Occidentaux, le bouddhisme ne paraît pas – ne paraît plus, aujourd’hui – marqué par un désir d’anéantissement ni par une fascination pour la destruction. Nous sommes sensibles au contraire à sa mansuétude, à sa compassion envers toute forme de vie, à sa tolérance, à sa non-violence.
Pour nous, à présent, le bouddhisme est avant tout une thérapeutique. Guérissant la souffrance, il n’a rien à voir avec le nihilisme. Il constitue, plus qu’une religion ou une philosophie, une doctrine-médecine. Le traitement qu’il préconise mène à une délivrance fort différente du salut promis par d’autres religions. Décrire le but ultime du chemin bouddhique par des termes comme sérénité, béatitude, calme, félicité, est possible mais trompeur : les éléments utilisés pour qualifier cet au-delà sont encore empruntés à notre ici. Tout ce qu’on peut dire du nirvâna, finalement, est ceci : lorsqu’on y est entré, la souffrance a cessé à jamais. D’ailleurs, aucun des mots employés ne convient : l’opposition de l’au-delà et de l’ici n’est pas pertinente, et on n’entre pasdans le nirvâna comme dans un lieu ou dans une période… Le nirvâna est la guérison de tous les tourments suscités par le désir – sans qu’il y ait à distinguer, comme le fit la tradition philosophique occidentale, entre les désirs corporels, suscitant des passions qui égarent, et d’autre part un désir rationnel, celui qui anime la construction des systèmes conceptuels – les métaphysiques comme les sciences.
Le bouddhisme nous paraît donc thérapeutique et pragmatique : tout y est subordonné à la cessation de la souffrance. Si l’exercice de la métaphysique y contribuait, il serait recommandé. Or cet exercice est inutile. Donc il est nuisible. Il n’est pas mauvais absolument (l’idée d’un mal absolu n’a rien de bouddhique), mais relativement. Dans un texte du Canon pâli, le Bouddha dresse l’inventaire des cas où il se tait et de ceux où il parle, en fonction des combinaisons entre le vrai, l’agréable et l’utile. Ce qui est faux, inutile et désagréable, il ne le dit pas. Pas plus que ce qui est vrai et agréable, mais inutile. Il parle, en revanche, au moment opportun, de ce qui est vrai et utile, que cela soit agréable ou désagréable pour son auditeur. L’important n’est pas ici que le vrai l’emporte sur l’agrément, comme chez Socrate, mais que l’utile l’emporte même sur le vrai – ce qui signe une attitude pragmatique.
Extraits
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