Editeur
Genre
Littérature française
1
Cette nuit-là, Jérémie ne dormit guère. Il tournait, se retournait, essayant d’échapper à son rêve, un rêve tissé de sentiments contradictoires, c’était ce que décrivait le songe éveillé, maintenant. Il entendait la voix de sa mère, Lara : « Il faudrait, disait-elle à son compagnon Laurent, beau-père de Jérémie, il faut le ramener chez nous. » Ensuite, il voyait se découper, immense devant son lit, le grand-père Samuel qu’il n’avait pas revu depuis quatorze ans et qui déclarait :
-Tu dois partir désormais. Sois courageux, petit. Les choses se passeraient ainsi. Enfin, presque.
Un silence ouaté, inhabituel à cette heure, qui enserrait le jour grisâtre, finit par le réveiller tout à fait. Jérémie se leva d’un bond. Au lieu d’écarter par habitude les rideaux à la fenêtre afin de saluer, de flairer le paysage qui s’offrait à lui, il se dirigea vers la salle de bains. Là encore il négligea les gestes coutumiers, tout de suite se campa devant la glace, coupa sa
récente moustache noire, rasa une barbe de trois jours qui commençait à lui dévorer le visage et se trouva rajeuni. Curieusement, la première pensée lui venant à l’esprit fut qu’il n’avait nul besoin de découvrir au préalable le temps qu’il faisait. Pourquoi ? Parce que le « temps » était venu. Celui de ses dix-huit ans pile. Il jeta symboliquement le calen- drier à la poubelle, s’habilla chaudement, laissa un mot avec une adresse à Lara, prit enfin son sac puis, sans même déjeu- ner, il sortit.
Il quittait Nîmes, le Gard, la garrigue, son adolescence, mère et beau-père et la faculté des lettres.
Il va, non loin de Sisteron, à la ferme de Jeanne et de Samuel, ses grands-parents.
2
Jeanne n’avait pu fermer l’œil de la nuit. Une fois debout, elle resta immobile, ressentant le besoin de réfléchir avant de faire le vide. Puis elle put franchir le pas de la porte. Elle distribua la pâtée quotidienne son et pommes de terre cuites ¢ à ses poules, les observa un moment picorer avec avidité et, enfin, se sentit prête.
Il va, non loin de Sisteron, à la ferme de Jeanne et de Samuel, ses grands-parents.
Regagnant la salle de séjour, elle prit encore la peine d’allumer les fagots de bois sec dans la grande cheminée bâtie au centre de la pièce. Tandis que le feu s’embrasait brusquement, Jeanne décida du moyen de joindre son fils Daniel, la quarantaine, séparé depuis quatorze années de sa femme Lara.
Il était actuellement sans travail précis et venait d’emmé- nager dans un quartier périphérique de Valence. Le téléphone n’était pas encore installé. Alors, de sa ferme isolée, à deux cents kilomètres et trois cols de son fils, Jeanne dicta le télégramme à la poste.
Au départ de Nîmes le stop avait bien fonctionné. Et ce jusqu’à une trentaine de bornes de l’exploitation agricole de ses grands-parents. Jérémie avait ralenti le pas, son cœur s’emballait au fur et à mesure qu’il se rapprochait. Il renonça à lever le pouce, séduit par l’idée de terminer le voyage à pied.
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