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Autant jouer cartes sur table : je ne suis pas n’importe qui. Je ne l’ai jamais été. Solitaire, mais sociable. Taciturne, mais beau parleur. Intelligent, mais sans prétention. Plutôt beau garçon, n’ayons pas peur de la vérité, mais dénué de la vanité des bellâtres.
Si j’avais voulu, j’aurais pu devenir ingénieur. J’avais la tête aux calculs. Ou acteur de superproductions. J’avais le physique. Et mon patronyme m’y prédisposait. On verra cela plus loin. Pour l’instant, essayons de construire le discours. Ne nous laissons pas détourner par la digression. Allons.
Doté d’une voix grave et juste, qui enchantait ceux qui entendaient mes exercices d’improvisation vocale, j’ai pendant un moment incliné pour une carrière dans la chanson de variété. D’ailleurs, j’ai commencé comme vendeur de disques, il y a longtemps. C’était un signe, pour ne pas dire un symptôme.
À vrai dire, j’étais doué en tout. C’était même trop. On me donnait une boulette d’argile, je la transformais en bille ou en tête de pape, au choix, selon ce qu’on me demandait. Le résultat était toujours ressemblant : formidable ! Un pinceau, une boîte de couleurs, je suis sûr que j’aurais battu Picasso dans sa spécialité, quasi. Mais on ne m’a jamais offert le coffret du peintre en herbe. Je n’ai donc pas pu me rendre compte par moi-même. Une perte pour l’histoire de l’art.
En vérité, je me suis aperçu incidemment que j’étais très mahousse en peinture lorsque les hasards de la vie m’ont fait travailler chez un pâtissier. J’écrivais les formules sur les gâteaux, à l’occasion des anniversaires, des premières communions, des mariages, des pots de départ. Dans cette discipline, j’étais costaud. Pour le décor, je dessinais des anges à la crème, des roses au sucre, toutes sortes de sujets classiques, allégoriques ou non, et même, une fois, des pattes d’oiseaux en chocolat, pour les vingt ans du club ornithologique ardennais. Mon chef-d’œuvre. Un triomphe auprès des amis des bêtes.
Par nature, la pâtisserie, on ne peut pas lui en vouloir, limite la créativité de l’artiste, il faut le dire, ce n’est pas calomnier cette splendide activité, si utile par ailleurs, et parfaitement émouvante dans ses œuvres, mais dans les arts pâtissiers l’artiste contingente ses aptitudes. Il ne s’exprime pas à fond. Il se gâche. Il faut le savoir.
Par la suite, j’ai joué du tambour à la terrasse des bistrots, l’été, saison des aubades. J’ai vendu des jonquilles sur les marchés, et des cartes postales. Puis de la quincaillerie. En même temps, mon cerveau imaginait des modèles de haute couture, des scénarios de films américains, composait des symphonies contemporaines. J’avais ça en moi. Je l’ai toujours eu. Je suis un inventif. J’aurais dû noter tout ça. Mais j’arrête là. Je pourrais parler de mes dons pendant des heures, des jours. J’adore raconter ma vie qui n’est pas la vie de tout le monde. Du reste, je m’appelle Monroe. Comme Marilyn, exactement pareil. Mais on m’appelle Majésu. Majésu Monroe. Ce n’est pas non plus le nom de n’importe qui.
Extraits
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