#Roman étranger

Grand Maître

Jim Harrison

Sur le point de prendre sa retraite au terme d'une longue carrière dans la police du Michigan, l'inspecteur Sunderson enquête sur une secte hédoniste qui a pris ses quartiers à quelques kilomètres de chez lui. Simple hurluberlu inoffensif au premier abord, le gourou se fait appeler Grand Maître. Au fil de leurs recherches Sunderson et son improbable acolyte de seize ans, Mona, découvrent un personnage bien plus sinistre qu'il n'y paraît. Lui-même poursuivi par ses propres démons, imbibé d'alcool et obsédé par les femmes, Sunderson traque sa proie des bois du Michigan jusqu'à une petite ville d'Arizona qui fourmille de criminels transfrontaliers avant d'atterrir dans le Nebraska, où les adeptes du Grand Maître espèrent s'établir pour de bon. Un chef-d'oeuvre tragicomique, étincelant d'humour et de désespoir.

Par Jim Harrison
Chez Flammarion

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Editeur

Flammarion

Genre

Littérature étrangère

 

 

 

 

 

 

PREMIÈRE PARTIE

 

 

 

 

 

Chapitre premier

 

 

L’inspecteur Sunderson marchait à reculons sur la plage en jetant parfois un regard derrière lui pour s’assurer de ne pas trébucher sur un bout de bois. Le vent du nord-ouest soufflait sans doute à plus de cinquante nœuds, et le sable lui piquait le visage et lui brûlait les yeux. Il gelait à pierre fendre. Vers l’embouchure de la rivière, là où le puissant courant percutait de plein fouet les eaux du lac Supérieur, les vagues étaient énormes et chaotiques. Dans le vacarme assourdissant du vent et des vagues, Sunderson se rappela combien il détestait le lac Supérieur, sauf quand il en voyait des images séduisantes sur un calendrier. Il était né et avait grandi dans la bourgade portuaire de Munising ; deux parents à lui, des pêcheurs professionnels, avaient trouvé la mort sur ce lac au cours des années cinquante, plongeant toute la famille dans le désespoir et la tourmente. Le drame le plus terrible de l’histoire locale était le décès de deux cent quatre-vingts personnes en mer, entre Marquette et Sault Ste. Marie. Comment trouver un tueur sympathique ? Durant sa longue carrière bientôt terminée dans la police du Michigan il n’avait jamais rencontré un seul tueur sympathique. Son ex-femme, qui avait aimé jusqu’aux manifestations les plus crues de la nature, jugeait répréhensibles les sentiments de Sunderson envers le lac Supérieur, mais jamais une tante éplorée ne l’avait serrée très fort dans ses bras à un enterrement. Sa mère, dotée de deux fils et de deux filles, avait à peine eu la place d’accueillir Bobby, le frère infirme de Sunderson, après qu’il eut perdu un pied sur une voie de chemin de fer de l’usine de pâte à papier locale.

Quand il fit demi-tour pour suivre l’étroit sentier longeant la rivière, il repéra un morceau de bois récemment calciné, dont la fibre humide et noire s’effrita entre ses doigts. Dans sa hâte de traverser la forêt jusqu’à l’embouchure de la rivière et d’y découvrir peut-être les restes du bûcher flottant, il avait omis de passer les berges au peigne fin, ce qu’il fit maintenant avec un certain plaisir, heureux d’être abrité d’un vent dont le rugissement descendait de la cime des aulnes touffus et des arbres rabougris. Il était sur la piste d’un chef de secte aux noms multiples, soupçonné de pédophilie mais échappant à toute inculpation possible, car ni la mère ni la fillette âgée de douze ans n’acceptaient de lui parler. Sunderson n’avait aucune envie de voir sa retraite gâchée par une absurde paperasserie. D’habitude, ce genre de délinquant était un oncle ou un cousin discret, parfois un voisin. Mais un chef de secte… Ça le dépassait.

Six cents mètres plus loin, il trouva une casquette de base-ball des Phoenix Suns coincée dans un barrage de branches, et la récupéra. Il réussit à se mouiller jusqu’à l’entrejambe, puis il fut pris de frissons incontrôlables et il lui sembla avoir les tempes serrées dans un étau. Il y avait une tache de sang sous la visière de la casquette, mais il n’en conclut rien. Curieusement, le matin de la fête organisée pour sa retraite, cinq jours plus tard, le labo de la police devait déterminer que ce sang venait d’un raton laveur. L’homme qu’il traquait et appelait Dwight, d’après l’un de ses sept pseudonymes connus, était tellement retors que Sunderson n’aurait pas été surpris d’apprendre qu’il s’agissait de sang d’éléphant. La casquette de base-ball des Phoenix Suns collait bien au profil du suspect, car Dwight possédait deux diplômes, sans doute des faux, de cette misérable usine à licenciés qu’était l’université de Phoenix. L’homme qui avait porté plainte pour abus sexuels, le père, avait quitté la secte pour déménager dans le sud du pays et s’installer dans l’immense ville industrielle de Flint, et il demeurait introuvable. Le chef de la secte avait manifestement mis en scène son propre suicide afin d’éviter toute recherche.

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trad. Brice Matthieussent
05/09/2012 349 pages 21,00 €
Scannez le code barre 9782081262089
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