Au lecteur français NOTE de l’auteur
Merci d’avoir trouvé ce livre. La perspective que ces histoires, confessions, fragments autobiographiques soient un jour publiés – en traduction, qui plus est – n’a pas cessé de m’émerveiller depuis le jour où Eric Vieljeux, le fondateur de 13e Note Éditions, m’a contacté pour me soumettre son projet, lequel s’est finalement concrétisé en devenant Notre Dame du Vide, le livre que tu tiens entre les mains, lecteur.
La plupart de ces récits remontent à mes dix années de toxicomanie dans les ghettos de Los Angeles et de Londres. Les villes obscures dissimulées derrière la joyeuse inconscience et les paillettes de façade m’étaient devenues intimement familières : cliniques de désintoxica- tion à la méthadone, centres de réadaptation, front lines – en argot local, quartiers de Londres où l’on deale ouvertement –, chambres de motel crades, ruelles sombres, dépôts d’aiguilles gérés par des volon- taires... C’est là que j’ai trouvé ma voix d’écrivain, car c’est là que j’ai complètement échappé à la société conventionnelle pour devenir un simple fantôme, un homme invisible. Le piège le plus fatal, pour un écrivain, est le sentiment d’appartenance. Avant de m’abandonner à l’addiction, j’écrivais mais je n’avais pas de voix et j’ignorais ce que je voulais dire. En frôlant la mort, en perdant tout ce que je possédais, ma santé et mon amour-propre, j’ai découvert quelque chose de beaucoup plus grand : une raison de continuer.
J’aimerais que cette traduction ajoute une dimension à ce que j’ai écrit. Que des phrases osant à peine élever la voix en anglais fassent entendre des accents clairs et purs dans cette langue française qui est, pour moi l’anglophone, celle de la poésie et du chant. Un de mes grands regrets est de n’avoir jamais vraiment pu lire certains de mes auteurs français favoris dans leur langue maternelle. Louis-Ferdinand Céline, Boris Vian, Jean Genet, Arthur Rimbaud et d’autres – dont le nom m’échappe sous l’effet de cette gueule de bois d’un vendredi matin – m’ont tous imprégné la moelle à l’époque où je me contentais de bouquiner, d’absorber et d’apprendre. Mais, les lisant en traduc- tion, je savais au fond de moi que j’en perdais la moitié.
L’ argot de la drogue, qui informe largement le rythme de mes phrases, est étroitement lié à une histoire et à une géographie spéci- fiques. J’ai aidé de mon mieux le patient auteur de la version française à rendre certaines expressions intraduisibles parce que désespéré- ment locales – le but de nos efforts étant de réussir à t’emporter, lecteur, vers des périodes et des endroits précis et à te les rendre compréhensibles, sans toutefois perdre le rythme de la narration.
À Los Angeles, les noms de lieux, les mots d’argot prenaient aux oreilles de l’Anglais que je suis une résonance exotique et poétique qu’ils ne pouvaient avoir pour un Californien d’origine. Le croise- ment d’Alvarado Street et de la Sixième Avenue, où j’ai passé de nombreuses heures à attendre l’arrivée de mon dealer sous un soleil impitoyable, avait pris pour moi une dimension presque mythique. Aujourd’hui encore, alors que je vis à New York, ces mots ont gardé le pouvoir de me transporter à travers le pays mais surtout à travers le temps, jusqu’à un carrefour où, tennis trouées, fringues crasseuses, transpirant et anxieux, pauvre et libre, j’ai dix-neuf balais pour l’éter- nité et je deviens quelque chose... quelque chose qui, à l’époque, représentait pour moi un mystère absolu. Tout ce que j’espérais, c’était la mort avant trente ans. Au lieu de quoi j’ai eu l’insolence non seule- ment de survivre, mais de trouver une raison de continuer. Mainte- nant que je suis un mari, un père et un écrivain, il y aura toujours quelque part en moi ce gamin de dix-neuf ans paumé, en manque, qui attendait jadis son dealer à un coin de rue. Waiting. Always waiting...
Extraits
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