Journal de Los Angeles Tome 3 : Secrets et trahisons

À I. F.

Mardi 20 décembre

J’ai erré dans les rues de New York pendant des heures. La ville me paraissait soudain plus hostile, plus brutale. Un passant pressé m’a poussée hors de son chemin. Un taxi impatient a grillé un feu rouge alors que j’allais traverser. Deux filles apprêtées m’ont reluquée de la tête aux pieds avec dédain. Le message était clair, je n’étais pas la bienvenue par ici. Comment avais-je pu croire un instant que moi, Violet Fontaine, je pouvais être heureuse ? Ma vie était plein de choses à la fois : des voyages, des amitiés profondes, des découvertes bouleversantes, une passion inassouvissable pour l’écriture, des idées fantasques qui me faisaient toujours un peu plus vibrer. Mais le bonheur ne semblait pas vouloir en faire partie. Depuis que je vivais à Los Angeles, je n’avais jamais réussi à être heureuse en amour et dans mon travail en même temps. J’avais toujours dû faire des sacrifices, accepter que ma vie soit constamment déséquilibrée, que je ne pourrais jamais tout avoir. Et maintenant, j’avais perdu les deux, définitivement. Normal que New York ne veuille pas de moi. C’était la ville de tous les rêves, de toutes les réussites, de toutes les grandes histoires d’amour. Je n’avais rien à faire ici. Dans moins de quarante-huit heures, je serais chez moi. Chez moi ! Cesdeux mots ne m’avaient jamais autant rassurée. Là-bas, je serais entourée des personnes qui me sont les plus chères. Qui me comprennent. Qui m’acceptent telle que je suis. Avec mes défauts, mes erreurs, mes failles. Peut-être que c’était cela, la solution ? Parce que, pour le moment, je ne pouvais pas me sentir plus rejetée, bafouée, déniée. Et pourtant, cette confession qu’elle m’avait faite, ce n’était que le début de ma descente aux enfers.

Vendredi 9 septembre

Et l’impensable s’est produit. L’incroyable, l’inimaginable, l’inconcevable. J’ai le souffle court et le cœur léger, les jambes chancelantes et les mains moites. Et je vois rouge. Littéralement rouge. Du rouge sang des casiers qui habillent les couloirs de mon lycée. Je m’appelle Violet Fontaine et je viens de rentrer en senior year ¹ à Albany High. Je m’appelle Violet Fontaine et je vis à Los Angeles. J’ai envie de le crier sur tous les toits. Je m’appelle Violet Fontaine, je suis en senior year à Albany High et je vis à Los Angeles. Encore. Et pour toujours ?

En tout cas, je suis bien la première surprise de ce retournement de situation. De leur côté, Zoe, Maggie et Claire, mes trois meilleures amies à Los Angeles, ignorent encore qu’en ce moment même, je devrais être en train de défaire ma valise dans ma chambre parisienne au lieu de presser le pas pour les retrouver à la cafèt’ avant le grand rush du midi. Et pour une fois, ce n’est pas moi qui ai cherché à leur faire des cachotteries. J’étais sur le point de tout leur avouer. D’admettre que je rentrais à Paris, finalement. Et que c’était mon idée, mon choix. Ça, je crois que ça aurait été le plus dur à avaler pour elles. LE point de l’histoire qu’elles n’auraient jamais pu comprendre. Moi, partir de mon plein gré ? Laisser s’évanouir dans le rétroviseur la vie rêvée que j’avais menée à Los Angeles depuis un an ? Quitter Simon, mon père spirituel, Susan, ma tante – Susan est ma tante ! Susan est ma tante ! Peut-être que si je l’écris une douzaine de fois, cela me paraîtra moins surréel ? Abandonner Noah, mon « petit copain » – hum, bon, on reviendra là-dessus plus tard – et pourtant, c’est bien vrai, j’étais prête à faire tout cela. À faire, sans rechigner, ce que ma mère attendait de moi. Prête aussi à enterrer la hache de guerre. À reprendre notre relation mère-fille là où nous l’avions laissée : enfouie sous des années de mensonges, de non-dits, de reproches, d’incompréhension. Et de regrets sans doute.