Révolution
Vincent sentit le fou rire enfler, telle une accumulation de vapeur sous le couvercle d’une Cocotte-Minute, tel un volcan sur le point d’entrer en éruption.
Il allait être écartelé.
Ses bras étaient menottés à deux locomotives diesel qui sifflaient, soufflaient et fumaient. Des nuages de fioul brûlé montaient de sous le châssis. Les locos chauffaient à tel point que la carrosserie était en train de fondre.
Il était là, debout au milieu des rails.
Les chaînes étaient longues. Les engins auraient le temps d’accélérer.
– Ha ha ha ha ha !
Il riait à gorge déployée. Parce que ça serait marrant quand ses bras seraient arrachés du tronc, quand ses chairs se déchireraient et que ses articulations sauteraient comme les ailes d’un poulet cuit à cœur et que…
– Allez, mon gars, allonge-toi. Détends-toi. Allonge-toi sur le lit.
Tchou-tchou. Tchou-tchouuuuu !
– Tout va bien se passer, Vincent.
Vincent ? Quel Vincent ? C’était pas ça son nom. C’était… C’était quoi, déjà ?
Un dragon, un de ces dragons chinois, se dressait au-dessus de lui. Une tête gigantesque. De la fumée lui sortait des naseaux. La même que celle qui s’échappait des michelines, de plus en plus épaisse à mesure que les motrices s’ébranlaient, démarraient, accéléraient.
– Doug-doug-doug ! Doug-doug-doug-doug !
Les chaînes tintaient dans le sillage des locos.
– Allez, Vincent. Prends ce cachet.
Mais lui ne pensait qu’à se débattre, qu’à libérer ses bras avant qu’ils soient arrachés, puis traînés sur les rails.
– VROAAAR !
– Alors ? Tu l’avales ce foutu cachet !
Le dragon ouvrait grand la gueule, il allait lui broyer le crâne entre ses mâchoires, jusqu’à ce que sa cervelle lui sorte par la bouche, qu’il vomisse ses méninges, que…
De dragon chinois, le monstre s’était transformé en infirmière, non, un dragon, non, non, non.
– Nooooooon !
Un implacable étau se refermait sur sa tête. Un effluve de parfum masculin lui chatouillait les narines. Des muscles aussi puissants que les anneaux d’un serpent constrictor se refermant sur sa proie lui enserraient la tête. Il avait quelque chose dans la bouche, et le dragon/infirmière lui maintenait la mâchoire fermée, en dépit de ses efforts désespérés pour hurler, appeler à l’aide.
– Keats. De l’eau, vite.
Une bouteille tomba du ciel.
Fiji Water. Reconnaissable à sa bouteille carrée. Bien sûr qu’il allait boire. Oui, dragon. Je vais boire de l’eau, bien sagement, comme un bon garçon.
– Ouvre-lui la bouche.
Mais les trains !
Vincent déglutit.
Une voix qu’il entendait très clairement, quand bien même celle-ci ne résonnait que dans sa tête, dit :
– Ils vont te tuer. Ils n’ont pas le choix. Ils vont te tuer, te tuer, le roi fou va envoyer l’empereur fou. Pour te tuer.
C’est alors que ses bras furent arrachés, que ses articulations se désolidarisèrent – Crac ! Pop ! – et il riait et il riait.
Et il avait la nausée.
Extraits
Commenter ce livre