#Roman étranger

Le coeur par effraction

James Meek

Seriez-vous capable de trahir un être cher ? Rebecca, alias Bec, est une grande chercheuse scientifique, elle travaille sur la malaria, son frère Ritchie est une ex-rock star devenue producteur de télévision. Leur père, un officier, a été tué en Irlande pour avoir refusé de trahir un informateur. Lorsque Bec refuse d'épouser le puissant directeur d'un magazine people, celui-ci se venge en menaçant Ritchie de révéler ses frasques s'il ne lui donne pas d'informations scabreuses sur sa sour. Bec est à son tour mise à l'épreuve dans son mariage avec Alex lorsqu'elle décide d'avoir un enfant malgré tout. Le frère et la sour devront choisir entre la loyauté et la trahison. Voici un grand roman classique sur des thèmes ultra contemporains. Une moderne histoire de famille, de secrets, d'amour, de mort, d'argent, à l'ère des magazines trash, des intimités devenues publiques, de la transparence sur Internet. Un impressionnant thriller moral.

Par James Meek
Chez Editions Métailié

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Genre

Littérature étrangère

 

 

la nuit, maria da graça rêvait qu’à la porte du paradis il y avait des vendeurs de souvenirs de la vie sur terre. des marchands aux boniments hauts en couleur, qui cherchaient à attirer son attention en agitant les bras comme s’ils avaient du poisson frais à vendre, s’attroupaient autour de son âme et lui proposaient pour un prix modique des objets censés atténuer le grand manque dont souffraient les morts. les derniers charlatans, pensait-elle, gênée même d’avoir à penser après sa mort, ou de se dire que c’était peut-être une bonne chose qu’on lui offre avant son entrée au paradis la possibilité d’emporter avec elle un objet, une image matérialisée, quelque chose comme la preuve d’une vie antérieure ou d’une saudade extrême. elle leur demandait de la laisser passer, elle était pressée, elle insistait, ne savait pas trop ce qu’il convenait de faire et ne pouvait rien décider, rien de rien. elle était perplexe et ne voulait pas courir le risque cupide d’avoir à s’engager dans l’éternité à partir d’un acte de possession. gagnée par une compréhensible angoisse, anxiété ou excitation d’être là pour la première fois, elle gardait l’espoir que saint pierre puisse l’éclairer et, un pied dedans et l’autre encore dehors, de pouvoir acheter le requiem de mozart, la reproduction des fresques de goya ou l’édition française de à l’ombre des jeunes filles en fleur.

les portes du paradis étaient basses, contrairement à ce à quoi on pouvait s’attendre. il fallait se pencher considérablement pour passer, et dans la foule de ceux qui se démenaient pour qu’on s’occupe d’eux, la confusion était dramatique, créant de la violence et faisant s’élever de fréquents nuages de poussière. maria da graça avait échappé aux vendeurs et elle essayait de calculer de quel côté de la place elle devait se diriger pour être sûre d’atteindre l’entrée. ce ne serait pas facile de parcourir ces cent mètres sans être bousculée, ou pire, sans être prise pour un de ces excités, et de se trouver ainsi obligée de demeurer à l’extérieur furieuse pour l’éternité.

ils ne resteraient pas ici éternellement, pensa-t-elle, ils allaient continuer vers l’enfer, traînés par l’oreille comme des mal élevés. peut-être une fourgonnette passerait-elle et les ramasserait comme des chiens errants. des hommes en sortiraient pour prendre en chasse ceux qui se trouvaient dans ce cul-de-sac, les capturant à l’aide de grands filets qui les immobiliseraient. la place serait nettoyée pour un moment.

maria da graça suivait son chemin en essayant le plus possible de longer les murs, convaincue qu’étant décédée d’une façon si terrible, elle mériterait tous les pardons et serait admise au paradis. maria da graça se présenta ainsi, j’étais employée de maison, oui, femme de ménage, comme si elle n’était femme que de temps en temps, le temps de faire le ménage. et saint pierre lui demandait, qu’est-ce que cela veut dire. et elle répondait, c’est monsieur ferreira qui m’a tuée, depuis longtemps il me faisait du mal et je me disais que cela devait arriver. saint pierre s’inclinait, la tête en arrière et le ventre en avant, et riait en disant, mais madame, cela n’a aucune importance à présent, les morts sont tous pareils, ils n’ont pas de profession et ce qu’ils ont appris à faire ne leur sert à rien, ou alors vous croyez qu’il y a ici des chambres à nettoyer. maria da graça insistait, mais je suis morte sans le vouloir, c’est le vieux, pour moi je serais encore en train de gagner ma vie, je ne suis pas femme à fuir mes obligations. le portier du paradis la regardait de très près, se retenant de rire et la fixant attentivement dans les yeux, et qu’as-tu donc fait pour mériter cela, lui demandait-il, comment peux-tu espérer le pardon si tu es restée auprès de ton prédateur quand tu aurais pu fuir. que voulait-il dire. quel provocateur ce saint pierre, quel salaud. était-il au courant de ses turpitudes, se demandait-elle. quel méchant homme qui faisait de l’entrée au paradis quelque chose de difficile. et comme tout cela avait mauvais aspect, avec ces bagarres à la porte, incessantes et bruyantes. le saint pinçait les lèvres comme pour signifier qu’il ne voulait plus parler et il ressemblait à une pierre, une pierre qui, au lieu d’être une force inerte et majestueuse, aurait roulé jusqu’au milieu de la petite porte comme pour sceller l’entrée d’un tombeau. c’était terrible si l’entrée du paradis était en tout semblable à celle de la mort. aller au paradis, pensait maria da graça, c’est mourir. cette idée la laissait stupéfaite, comme si, par nature, une chose ne pouvait en signifier une autre. elle se réveillait trempée de sueur, le cœur battant follement dans sa poitrine et sa bouche laissant passer un souffle nerveux, je ne suis pas femme à fuir mes obligations, je ne suis pas femme à fuir mes obligations.

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trad. David Fauquemberg
22/08/2013 525 pages 21,00 €
Scannez le code barre 9782864249313
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