#Essais

Penser la fin du monde

Emma Aubin-Boltanski, Claudine Gauthier

Depuis l'an 2000, l'Apocalypse constitue une thématique plus que jamais dans l'air du temps. Catastrophisme ? Angoisse civilisationnelle ? Chimère ? Espérance ? Comment comprendre cette étonnante propension humaine à penser et à préparer la fin du monde ? A travers le renouvellement périodique des figurations d'une fin dernière du monde, cet ouvrage met aussi en lumière un paradoxe : l'eschatologie est créatrice, non d'une fin toujours ajournée, mais de renouveaux aux horizons multiples, souvent susceptibles de muer en moteur d'actions dans le présent. Dans cette approche interdisciplinaire aux thématiques variées, une place spéciale est réservée à des religions zoroastrisme et samaritanisme jusque-là insuffisamment considérées par les sciences humaines et généralement tenues à l'écart des travaux comparatifs sur l'eschatologie.

Par Emma Aubin-Boltanski, Claudine Gauthier
Chez CNRS

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Editeur

CNRS

Genre

Religion

 

 

Introduction

 

Emma AUBIN-BOLTANSKI
Claudine GAUTHIER

 

Depuis l’an 2000, et le passage dans le IIIe millénaire de l’ère commune qu’il a symbolisé, l’eschatologie, entendue dans un sens large englobant tant des prophéties relatives à une fin dernière du monde que des phénomènes messianiques1, représente, incontestablement, une thématique dans l’air du temps, comme peut en témoigner une abondante production scientifique, journalistique, littéraire et cinématographique. Dans le domaine des sciences sociales l’intérêt qu’elle suscite a ressurgi à intervalles réguliers donnant lieu, à chaque fois, à des approches et à des analyses très contrastées, au rythme du renouvellement de ses objets, éminemment polymorphes. Avec la Seconde Guerre mondiale et l’explosion atomique d’Hiroshima et de Nagasaki, elle est l’occasion d’une réflexion sur la « catastrophe » et la capacité de l’homme à créer les conditions de sa propre destruction2. Dans les années 1960, la focale se déplace sur l’étude des phénomènes messianiques liés au colonialisme et au postcolonialisme qui met au contraire en avant l’aptitude humaine, régulièrement attestée au cours de l’histoire, à espérer et à initier par ce moyen des réalités et des ordres sociopolitiques nouveaux3. À la fin des années 1970 est publiée une œuvre posthume de l’anthropologue italien Ernesto de Martino4 qui propose une théorie de « la présence au monde [de l’homme] », dans « sa fragilité essentielle » et où la culture5 devient instrument d’une « reconstitution périodique et collective de l’être au monde6 ». Sa théorisation des « angoisses civilisationnelles », lues comme autant de réponses de défense historico-culturelle à l’effondrement de l’ethos, c’est-à-dire à des valeurs attachées à une conception progressiste et finalisée de l’histoire, permet la mise au point de deux concepts nouveaux – Apocalypse culturelle et Apocalypse psychopathologique7 –, grâce auxquels De Martino met en regard trois moments de l’expérience apocalyptique (les attentes millénaristes du Tiers-Monde ; l’effondrement, dans le monde occidental, des valeurs attachées à une conception progressiste et finalisée de l’histoire ; le messianisme protochrétien8). Il aboutit à une réflexion sur « l’humanisme ethnographique », au moyen duquel l’Européen inscrirait dans l’Autre une projection en miroir de sa propre angoisse de vivre, dans un monde qu’il perçoit comme finissant9.

 

Mais n’est-ce pas justement le potentiel de créativité inhérent à la nature humaine, avec le Progrès dont il est porteur, qui mène l’homme vers une angoisse qui le pousse à considérer son monde comme toujours finissant ? Et les « peurs apocalyptiques » peuvent-elles se réduire à une lecture en termes de miroir d’une contre-histoire reflétant l’incertitude fondamentale qui caractérise l’existence terrestre, et venant s’opposer à l’idée de progrès absolu10 ou, au contraire, à celle d’une « sagesse lucide11 » qui relèverait du « domaine rationnel12 » depuis que l’humanité s’est dotée des moyens techniques de son propre anéantissement… ? Cette dernière lecture reprend l’analyse, bien connue, du philosophe Günther Anders qui, au lendemain de l’explosion de Hiroshima en 1945, écrivait que l’homme était dorénavant entré dans le « temps de la fin », qu’il ne vivait plus « dans une époque, mais dans un délai13 » : un présent qui ne promet rien, car son horizon est celui d’une « apocalypse nue14 », sans royaume et sans avenir. Se définissant comme un apocalypticien ayant pour objectif d’empêcher l’apocalypse, Anders voulait « produire une angoisse utile qui situe les hommes face à leur propre finitude15 ». Dans cette perspective, la fin du monde deviendrait source d’un agir politique qui la distinguerait des « ressorts apocalyptiques traditionnels faits de craintes ou d’espérances toujours impuissantes16 ».

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03/04/2014 524 pages 25,00 €
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