À l’heure où les droits des auteurs se réduisent comme peau de chagrin sous les coups de boutoir de réformes de plus en plus inégalitaires.
À l’heure où il faut une décision de la Cour de justice européenne pour que l’État français reconnaisse qu’une loi, qu’un dispositif (Hadopi ou ReLire) sont anticonstitutionnels tout en refusant la rétroactivité.
À l’heure où 40 % des auteurs reconnus professionnels par la Sécurité sociale elle-même survivent avec des revenus inférieurs au SMIC, où 180 000 autres se retrouvent sous le seuil de pauvreté.
À l’heure où les représentants du gouvernement français brillent par leur absence aux États généraux du livre.
À l’heure où le salon Livre Paris, dont le prix d’entrée ne fait qu’augmenter, préfère payer les plantes vertes plutôt que les auteurs intervenants, provoquant ainsi un tollé pour une fois médiatisé.
À l’heure où nous refusons de vivre d’amour et d’eau fraîche, on vient s’étonner que les auteurs soient en colère ! Et, croyez-moi, cette colère ne se calmera pas de sitôt.
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
La situation des créateurs est de plus en plus précaire. Quelle autre profession ne reçoit paiement qu’une à deux (pour les vrais chanceux) fois par an ? Une seule activité est aussi maltraitée, celle des agriculteurs dont on ne paie ni le travail ni le temps passé à l’exécuter, dont on ne paie, comme c’est le cas des auteurs, que le « produit ».
Et, si les « bénéfices » des 4 à 10% (0,5 à 2,5% pour les traducteurs, ou plutôt, dans la majorité des cas, les traductrices) de droits pécuniaires qu’on daigne nous offrir sur la vente de ce « produit » ne sont pas assez élevés, n’atteignent donc pas les 8 000 et quelques euros exigés par l’AGESSA, prochainement Maison des auteurs, point de couverture sociale. Par contre, les prélèvements obligatoires afférent à cette inexistante couverture sociale sont, bien sûr, imposés à tous, quels que soient les revenus.
Cette situation du créateur, si elle ne date pas d’hier, ne fait qu’empirer depuis plus de 10 ans et la baisse réelle du pouvoir d’achat consécutive à la « crise » de 2008 n’en est pas la seule responsable. Certains accusent la surproduction, avec des phrases comme « les gens ne lisent plus, ils écrivent » ; d’autres mettent en cause le numérique et le piratage ; d’autres, enfin, pointent du doigt les éditeurs et les diffuseurs qui manquent à leur devoir contractuel de promotion des livres, d’autant qu’aujourd’hui, c’est souvent le diffuseur qui dicte sa politique à l’éditeur.
Cette précarité ne date tellement pas d’hier qu’en 1975 et 1976 se créaient respectivement la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse et le Syndicat des écrivains de langue française. Qu’en 1996 la Charte obtenait le paiement des interventions des créateurs de l’écrit en bibliothèques ou dans les écoles sous forme de droits d’auteurs selon une stricte grille tarifaire qui s’applique aujourd’hui à tous les écrivains. Qu’en 2000 quelques fous fondaient le Droit du serf autour d’Ayerdhal pour créer de nouveaux contrats plus justes, lutter contre le prêt payant et tant d’autres choses. Qu’en 2008, Yves Frémion, membre historique et ancien président du SELF créait l’Observatoire du livre et de l’écrit en Île-de-France, le MOTif et imposait la rémunération des auteurs intervenant dans la région.
Et, enfin, qu’en 2014, Vincent Monadé, président du Centre national du livre (et ancien président du MOTif) conditionnait l’obtention des subventions aux festivals à la rémunération des auteurs selon une grille exponentielle tandis que, peu après, la SOFIA renchérissait en faisant appliquer quant à elle les tarifs de la Charte.
« Ça met des épinards dans la margarine » disait Ayerdhal. Eh bien non. Car nombre de salons et festivals renâclent à payer les auteurs, tout en acceptant autant de subventions que possible. Car, un événement comme Étonnants voyageurs, à Saint-Malo, reçoit 115 000 euros du CNL et fait la sourde oreille à ses invités qui osent demander l’obole. Car un autre comme les Imaginales, à Épinal, ne réussit à se tirer l’épine du pied qu’en promettant de payer tout le monde en… 2019.
Car ce même festival, ô combien festif et convivial, quand il organise une rencontre autour de la rémunération des auteurs et y invite deux représentantes de la Charte et du SELF, ne leur laisse qu’à peine la parole. Regardez à ce sujet les petits schémas réalisé par un auteur taquin assistant à cette table ronde qui a choqué bon nombre de lecteurs.
Et n’hésitez pas à en écouter la retranscription sur le site d’ActuSF (lien)
Le Salon Livre Paris a renoncé à ses plantes vertes, les Imaginales rémunèreront tous les auteurs intervenants en 2019, le CNL et le Conseil permanent des écrivains, comme la SOFIA, durcissent leurs exigences mais le statut des créateurs reste honteusement précaire et la valse des réformes sociales l’enfonce joyeusement dans les abysses de la pauvreté.
Oui, c’est profondément injuste. Contrairement à ce que disait Madame Filippetti, ce sont les écrivains qui font la littérature… pas de statut, pas de rémunération, pas de revenus, pas d’auteur… pas d’auteur, pas de livres.
Le 21 juin, un rassemblement pour les droits des auteurs aura lieu devant le Ministère de la Culture (Place Colette, 75001 Paris, métro Palais Royal) à 11h30.
L’enjeu dépasse de loin les seuls auteurs : si vous voulez continuer à lire, c’est le moment d’y aller !