Soucieux d’apporter aux auteurs les meilleurs renseignements possibles dans leur propre défense, le SNAC, Syndicat National des Auteurs et des Compositeurs, vient également de faire parvenir aux 751 députés européens un texte en français et anglais, pour rappeler à tous certains principes du droit d’auteur. « Il nous semble utile de vous communiquer dès à présent cette action, pour vous fournir les éléments d’information sur les débats qui se dérouleront ces prochains jours et mois sur le droit d’auteur », indique le SNAC.
Le 03/07/2015 à 15:46 par La rédaction
Publié le :
03/07/2015 à 15:46
Nous reproduisons ici, dans son intégralité le courrier adressé aux parlementaires européens.
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Un vent d’inquiétude souffle sur les auteurs et le monde de la création. Récemment, les instances européennes ont annoncé un projet de réforme du droit d’auteur dans la société de l’information ; ce projet laisse transparaître une critique générale du droit d’auteur.
Le président de la Commission européenne qualifie le droit d’auteur de « barrière ». Le texte de la lettre de mission qu’il a adressée au Commissaire en charge de l’économie numérique et du droit d’auteur indique : « Les règles du droit d’auteur devraient être modernisées durant la première partie de ce mandat, à la lumière de la révolution numérique, des nouveaux comportements des consommateurs et de la diversité culturelle européenne. »
La « modernisation » ici évoquée signifie-t-elle une minoration du droit d’auteur comme instrument juridique ? Qu’il ne soit plus permis aux auteurs européens de créer des œuvres et de vivre de ce métier ? Que les industries culturelles européennes soient entravées pour générer de l’économie réelle ?
Les industries culturelles européennes représentent une force économique et un ensemble d’entreprises qui ont réalisé environ 540 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2012. Elles sont source d’emplois pour plus de 7 millions de personnes.
En dehors des géants d’Internet (les GAFA), personne n’aurait rien à gagner d’une économie dans laquelle la culture et la création, richesse linguistique comprise, seraient de plus en plus absentes.
Le droit d’auteur est le moteur de la création. Depuis plus de deux siècles, le droit d’auteur a démontré sa capacité à s’adapter aux avancées technologiques. S’il n’était pas essentiel, le droit d’auteur n’aurait pas résisté : il se serait effondré. Le droit d’auteur est moderne : il s’adapte, en gardant la même philosophie, les mêmes objectifs.
L’Europe a déjà « légiféré » dans le domaine du droit d’auteur et des secteurs des industries culturelles. Certaines directives sont trop récentes pour que leurs effets soient déjà connus. Il serait contre-productif de rajouter des textes juridiques sans en faire une évaluation précise.
Le droit d’auteur n’entrave pas les nouveaux comportements des internautes : dans l’économie numérique, chacun jouit déjà de plus de liberté, de plus de diversité et d’un meilleur accès aux savoirs et aux contenus protégés par le droit d’auteur.
Pour les auteurs et pour le monde de la création, la question est de savoir pourquoi et comment moderniser les règles de droit d’auteur.
Réformer ne veut pas dire supprimer, il s’agit de construire sans commencer par détruire. La nécessité des réformes doit être évaluée, ainsi que ses justifications objectives et ses mérites réels.
Des études juridiques et économiques sont un préalable à toute évolution : mesure de la situation dans chacun des états membres, des impacts de la modification des règles juridiques,
En particulier sur les créateurs européens et les moyens pour eux d’exercer leurs activités de création.
Or ce travail préalable n’a pas été envisagé dans le récent rapport remis par Julia Reda, la députée européenne (par ailleurs représentante du parti des Pirates) sur l’évaluation de la directive 2001/29 du 22 mai 2001, relative à l’Harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information.
Harmonisation d’un cadre juridique : les enjeux
Le droit d’auteur et le copyright relèvent de règles juridiques distinctes, qui visent d’abord à établir un rapport d’équilibre entre la protection de l’auteur et la protection du titulaire des droits d’exploitation sur une œuvre. Ces deux régimes coexistent pour le moment pacifiquement et efficacement en Europe.
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Mais chacune de ces philosophies juridiques ayant sa propre logique, elles ne sont pas « solubles » dans une seule directive européenne. Saper certains fondements du droit d’auteur ou du copyright, c’est risquer de détruire une construction juridique, source de richesses.
Pour harmoniser le cadre juridique applicable au droit d’auteur et à la protection de la propriété sur les œuvres de l’esprit, il faut mettre l’auteur au centre de la réflexion et garantir un renforcement de la protection des auteurs et du sort réservé aux métiers de créateurs.
Une « sous législation européenne », par rapport à des législations nationales, affaiblirait la protection des auteurs et les métiers de créateurs, y compris dans des pays n’appartenant pas à l’Union européenne.
L’Union européenne n’aurait aucun bénéfice réel à attendre si elle envisageait de mettre en place dans sa législation sur la propriété intellectuelle un nivellement par le bas.
Être auteur est un métier
L’auteur est un travailleur intellectuel. Une œuvre originale est la marque et le prolongement de la personnalité de l’auteur ; l’œuvre qu’il a créée est l’expression de sa pensée et de son art.
La reconnaissance de la propriété du créateur sur son œuvre justifie le paiement d’une rémunération en contrepartie de la cession des droits d’utilisation ou d’exploitation sur son œuvre. C’est cette reconnaissance — et la possibilité juridique de transférer des droits sur la propriété de l’auteur — qui permet à une entreprise d’investir dans l’édition ou dans la production d’une œuvre.
Aucune entreprise n’investira dans le développement d’une création (et donc dans la rémunération de son auteur) si elle n’a pas la possibilité légale d’attendre « un retour » sur ses investissements. Sans ces recettes, liées à l’exploitation ou à la diffusion d’une œuvre, l’auteur ne peut espérer aucune rémunération proportionnelle au succès de la diffusion. Aucun citoyen européen ne saurait être privé par une loi d’exception, ou faite « d’exceptions », de la juste rétribution de son travail.
« Le droit d’auteur est un droit fondamental. » (Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme — CEDH du 29 janvier 2008).
L’article 27 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 dispose que : « Chacun a le droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur. »
Composante essentielle du droit d’auteur, le droit moral, lien profond qui unit l’œuvre de l’esprit à celui qui l’a créée donne à l’auteur la capacité de rester associé à son œuvre. Il lui permet de s’opposer, s’il le veut, à toute dénaturation publique de sa pensée et de son travail créatif.
Le droit moral ne peut, ni ne doit, être détourné ou conditionné, il doit demeurer l’un des principes essentiels du droit d’auteur.
Une exception ou une limitation au droit d’auteur est une expropriation partielle de la propriété exclusive de l’auteur. Elle ne se justifie que s’il existe des motifs d’un intérêt général supérieur à un intérêt individuel légitime. Ainsi, un droit d’auteur européen ne saurait se construire sur les seules exceptions à ce droit.
Conformément à la Convention de Berne, une exception au monopole de l’auteur doit définir, a minima, le ou les cas spéciaux qui sont visés, ne doit pas porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre et ne doit pas causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur.
S’il était légitime d’envisager une exception, pour atténuer les effets de cette expropriation, il conviendrait de réfléchir aux moyens de la compenser, c’est-à-dire entre autres résolutions de rémunérer le propriétaire dépossédé.
Si l’Europe veut pérenniser la création et le patrimoine, il ne serait pas de bonne politique culturelle de mettre à la charge des auteurs et des ayants droit une obligation d’être les philanthropes de la culture ; la création d’œuvres de l’esprit n’est pas un service public.
D’ailleurs « l’exception » n’est pas un dû, même pour des entreprises qui assument des missions de « service public », dont le rôle serait plutôt de favoriser l’accès à la culture et à son renouvellement, c’est-à-dire de financer les créateurs.
L’Union européenne doit réaffirmer, et démontrer que l’Europe se fera avec les créateurs et non contre leurs droits.
Que les solutions européennes ou nationales existantes ne suffisent pas (ou plus) reste à démontrer. Des études d’impacts économiques et juridiques, ciblées, dans les différents états membres de l’Union européenne sont donc des préalables nécessaires.
Aucune exception nouvelle ou extension d’une exception existante n’est justifiable sans définitions précises usant de notions juridiques claires. Par ailleurs, les institutions en charge de la défense du patrimoine, de l’enseignement et de l’éducation, financées par des fonds publics ne peuvent considérer les contenus protégés comme « leur dû », et pour conforter leur position, promouvoir l’instauration à leur profit d’un régime d’exception à la légitime propriété des auteurs.
La question de l’économie numérique ne peut se poser au regard du seul droit d’auteur. Cette économie se crée, se développe, se valorise grâce à des transferts de valeurs et à des effets de masse.
Plus globalement la question de l’économie numérique doit se poser en appréciant :
— le partage de valeurs entre auteurs et diffuseurs de leurs œuvres,
— la lutte contre la contrefaçon et le piratage des œuvres de l’esprit,
— la responsabilité juridique des acteurs de l’Internet (réouverture de la directive 2000/31 sur le commerce électronique),
— la transparence des flux économiques,
— les règles de traitement des profits générés par les grands acteurs de l’économie numérique.
Auteurs et cessionnaires du droit d’auteur sont les sources de la richesse économique et culturelle. Les auteurs ont le droit légitime de bénéficier des revenus de leur travail et de leur métier.
Chacun doit être informé de ses droits, mais aussi de ses devoirs lorsqu’il accède licitement à une œuvre, quant à son droit d’utilisation ou de diffusion. Sans que cela ne remette en cause l’économie de certains biens culturels, il est légitime d’améliorer la portabilité des droits et l’interopérabilité des matériels.
Le droit d’auteur n’est pas en cause dans ces questions qui nécessitent avant tout le réexamen des règles du commerce électronique et celles de l’organisation des circuits de distribution des différents marchés dans les états membres de l’Union européenne.
Car l’une des questions essentielles est celle du financement des contenus culturels par les acteurs majeurs d’Internet (lobbys surpuissants à Bruxelles — Google, Amazon, Facebook, Apple) : ce sont les contenus protégés qui ont fait et font toujours la valorisation de leurs actifs.
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