Depuis 1995, sous l’impulsion de l’UNESCO, la journée du 23 avril commémore la mort de Cervantes, Shakespeare et Garcilaso de la Vega. Journée du livre et du droit d’auteur, certes, mais manifestement sans les auteurs. Samantha Bailly, présidente de la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse revient sur cette nouvelle crise #PayeTonAuteur.
En résumé : pour la Journée mondiale du livre et du droit d’auteur, des illustrateurs jeunesse ont reçu une invitation à participer à l’édition 2018 intitulée « Lis-moi mes droits ». Pour ces ateliers à destination des enfants, l’UNESCO sollicite « l’expertise et le savoir-faire de personnes qualifiées et d’institutions de renom », mais... ces ateliers ne sont que sur la base du volontariat. En revanche, l’UNESCO propose en échange des prestations une belle visibilité sur son site. La Charte des auteurs et des illustrateurs pour la jeunesse a pris contact avec l’UNESCO pour tenter de comprendre. Car nous privilégions toujours le dialogue.
Mais il a été répondu que ce positionnement était réfléchi et assumé, que l’UNESCO connaissait la Charte et ses recommandations de tarifs, mais que compte tenu d’un budget restreint, il avait été jugé prioritaire d’acheter les fournitures pour les ateliers plutôt que de rémunérer les auteurs.
La Charte a rappelé la situation économique et sociale très alarmante des auteurs et illustrateurs (36 % des auteurs de BD sous le seuil de pauvreté), mais nous n’avons pas été entendus. Les illustrateurs ont décliné la proposition, donc, avec le sentiment d’une réelle déconnexion de leurs problématiques, de leurs acquis, et de leur profession, tout simplement. Car les auteurs d’aujourd’hui, bien vivants, sont là.
La rémunération pour animer des ateliers ou intervenir est un acquis de très longue date, en particulier pour les auteurs jeunesse, grâce au travail de l’association et de tous les auteurs ayant depuis 1975 amorcé ce refus du travail gratuit, revendiquant la valeur de leur temps, de leur apport culturel et social, de leur expertise.
Le bénévolat est nécessaire. Moi-même, je suis bénévole dans bien des cas, pour les causes qui me tiennent à cœur. Mais sous prétexte que nous sommes des artistes auteurs, nous ne pouvons sans cesse nous voir proposer nos talents en échange de « visibilité ».
Le mouvement #payetonauteur né autour du refus de Livre Paris de rémunérer les auteurs n’est pas qu’un épiphénomène. C’est l’émanation d’une prise de conscience profonde des auteurs eux-mêmes, au-delà, d’ailleurs, du secteur jeunesse. Les symboles, cela compte. Le regard que portent les institutions sur les auteurs, cela compte. C’est signifiant.
Livre Paris symbolise l’édition dans son économie. Et Livre Paris a entendu les auteurs, ce qui est un pas absolument fondamental. L’UNESCO symbolise des valeurs fondamentales, que nous partageons : la paix doit s’appuyer sur le respect des droits et de la dignité humaine, sur la solidarité intellectuelle et morale de l’humanité. Le travail de l’UNESCO est d’agir sur les mentalités pour encourager le dialogue et la compréhension mutuelle.
« On dit que l’on mesure le degré d’humanité d’une société à la manière dont elle traite les plus vulnérables de ses membres », soulignait Irina Brokova, l’ancienne directrice générale de l’UNESCO. La vulnérabilité des auteurs français n’est plus à prouver. « Partout dans le monde, il est ainsi de notre devoir de protéger ces libertés, de promouvoir la lecture et l’écriture (...), mais aussi de protéger et de valoriser les métiers du livre et leurs acteurs » disait Audrey Azoulay, nouvelle directrice générale de l’UNESCO et ancienne ministre de la Culture française.
#payetonauteur reprend du service pour @UNESCO_fr qui paye les fournitures mais pas les interventions des auteurs pour la Journée du Livre et du droit d'auteur, fallait oser @AAzoulay @CharteAuteurs @SNACBD @Samanthabailly @sewarde @Bulledop @AdrienTomas pic.twitter.com/D2g4DMnCA9
— Elvire De Cock (@Lam_Lok) 21 avril 2018
Et si nous revenions à la source de tout ? L’auteur. Le droit d’auteur. Qu’est-ce que c’est ? Avant la Révolution française, le plus souvent, l’auteur cédait son œuvre à un exploitant qui sollicitait le privilège pour son propre compte. L’auteur ne bénéficiait donc pas des recettes dégagées par l’exploitation de son œuvre. Lors de la Révolution française, tous les privilèges sont abolis, et les droits des auteurs sont reconnus. La loi de juillet 1793 accorde aux auteurs un monopole sur l’exploitation de leurs œuvres. Durant cette période, le droit moral est créé par la jurisprudence afin de préserver le lien existant entre l’auteur et son œuvre.
Les droits d’auteur sont donc garants de la rémunération des auteurs. Quelle ironie, n’est-ce pas ?
Eh bien, encore une fois, tous ensemble, nous élevons nos voix. Pour dire ce que représente cette journée pour nous, auteurs.
Cette journée représente un héritage historique et philosophique, un éclairage bienvenu sur la situation actuelle des auteurs et illustrateurs. À l’heure où des réformes sociales se profilent, annonçant un bouleversement total de notre régime, aucune association ou syndicat d’auteurs n’a encore été consulté. Le 22 mai auront d’ailleurs lieu les Les États généraux du livre — Tome 1.
Les auteurs ne sont pas que morts.
Nous sommes là, bien vivants. Et nous comptons bien le rappeler chaque fois que cela sera nécessaire. Le droit d’auteur, c’est le droit des auteurs.