Florence Kammermann a ouvert sa librairie à Cannes voilà quelques années. Comme ses consœurs et confrères, elle a pris connaissance des mesures sanitaires de ce Confinement-2. Et de la fermeture contrainte et forcée qui s’annonce. Dans un courrier au président de la République, elle explique comment et pourquoi, elle s’apprête à déserter…

Lettre à l’attention de Monsieur le Président de la République, Emmanuel Macron aux bons soins de Monsieur l’Ambassadeur Emmanuel Bonne.
Palais de l’Elysée
Monsieur le Président,
Je vous fais une lettre que vous lirez peut-être si vous avez le temps…
Je viens vous dire que je vous désobéis et refuse de sacrifier ma librairie à l’autel de vos décisions que je juge incohérentes et illogiques. Je ne suis pas Abraham, prêt à sacrifier Isaac, vous n’êtes pas Dieu non plus. Je suis une simple libraire qui lutte pour ses livres, ses lecteurs et ses auteurs. Pour la liberté d’expression et la richesse de notre culture. Et je refuse de fermer ma porte.
Pardonnez mon affront, Monsieur le Président, mais ma démarche est noble et soutenue par de nombreux Français.
Vous avez tout pouvoir et je n’ai que ma seule plume, mes mots et livres comme armes. Mais ils ont fait leurs preuves… les mots restent, les écrits restent, le pouvoir est éphémère. Vous le savez.
Vous luttez contre un virus, vous luttez contre des terroristes, j’entends bien, vos responsabilités sont lourdes.
Monsieur le Président, je suis une Française comme une autre. J’abrite de nombreuses origines, certes. J’ai vécu 30 ans au Liban, dont la période de guerre qui a secoué ce pays entre 1975 et 1990.
J’ai, comme de nombreux Libanais, été miraculée et ai échappé aux obus de 240 mm qui ont encerclé mon immeuble où des lieux où je me trouvais… la venue de la police me signifier la fermeture de ma librairie ne me fait pas frémir. J’ai toujours rebondi. Mais j’ai peur pour notre culture, nos auteurs et nos lecteurs.
Après avoir été reporter au Proche-Orient, auteure de romans sur cette région et les problématiques religieuses notamment la montée de l’islamisme, agent immobilier par nécessité… après avoir tapé à de nombreuses portes, en vain, à l’âge de 48 ans pour trouver un emploi, j’ai pris le risque d’ouvrir ma librairie en 2017, mon rêve d’enfant, avec l’aide financière de ma famille. Car les banques n’auraient jamais cautionné une telle prise de risque. Je me suis établie à Cannes, ma ville d’adoption, que j’aime de tout mon cœur, dirigée par un Maire dont nous sommes tous fiers.
Alors que je n’avais jamais fait de restauration, pour assurer l’économie et l’équilibre financier de ma librairie, j’ai décidé d’ouvrir une partie salon de thé-restaurant. J’étais aux fourneaux et je conseillais des livres. J’avoue que la double casquette était physiquement éprouvante. Je faisais les courses, je préparais mes plats, je lisais, je commandais des livres, je conseillais, communiquais, faisais ma comptabilité et servais ! Sans salaire et sans vacances. Je dormais peu. Et je louais mon propre appartement, logeant ici ou ailleurs, pour assurer mes frais personnels. En trois ans et demi, je n’ai jamais pu me rémunérer ni cotiser à une assurance retraite.
Ma petite librairie-salon de thé s’étendait alors sur une toute petite surface de 45 m2.
Mon compagnon, Jean-Charles Hugues, a rejoint l’aventure et pour ne pas couler, nous avons fait le pari de nous agrandir en 2019. Rien ne laissait présager une crise de grande ampleur. Nous avons loué un local de 180 m2. Notre notoriété grandissait grâce à des lecteurs satisfaits et un Maire, grand défenseur du livre devant l’éternel, qui n’a eu de cesse de faire notre promotion. Pensez-vous ! La seule librairie indépendante de Cannes.
Et pour cause, les loyers de la ville du cinéma sont prohibitifs et ont fait couler tous mes confrères passés. Amazon y a également largement contribué… Nous décollions enfin lorsque la COVID 19 nous a tous frappés.
Nous avons déjà subi un premier confinement. Si, aux premiers jours de celui-ci, nous avons ouvert une « librairie de garde », servant nos lecteurs par la porte arrière comme des contrebandiers, nous avons ensuite sillonné tout Cannes et ses environs pour livrer nos lecteurs.
Le chiffre d’affaire généré pendant ce premier confinement n’était que de 20 à 25 % du CA nécessaire pour couvrir nos frais. Notre trésorerie de secours a été sacrifiée à ce moment-là. Ensuite, à la levée du confinement, l’embellie et la solidarité pour le livre nous ont permis d’honorer nos engagements économiques, mais pas de reconstituer une trésorerie de secours.
Comme de nombreux commerçants indépendants, nous n’avons toujours pas pu nous rémunérer et encore moins bénéficier du chômage partiel. Les maigres subventions qui nous ont été accordées et pas encore versées étaient calculées sur la base de notre CA de l’année précédente, donc quasiment nulles.
Tout cela pour vous dire que, comme nombreux de nos confrères, comme des magasins de jouets ou des commerces indépendants divers, vos décisions tuent les petits commerces et appauvrissent des hommes, des femmes qui pourtant respectent le protocole sanitaire à la lettre. En est-il autant en grandes surfaces ?
Mais pire encore, face à l’injustice d’avoir dans un premier temps autorisé les FNAC et grandes surfaces à ouvrir leurs rayons livres… vous les avez fait fermer au lieu d’ouvrir les librairies ! Vous avez ouvert un boulevard à Amazon dont la colossale fortune du propriétaire s’est encore accrue cette année. Et ce à la veille des fêtes de fin d’année… Mais quel jeu jouez-vous ? Celui des plus riches et des plus puissants ?
En fermant les librairies, en réduisant l’accès à notre culture, s’étirera une fissure : la menace de perdre notre précieuse liberté d’expression. Journaliste, auteure de romans sur le Proche-Orient, je mesure combien les intégristes s’engouffrent dans les failles qu’ils trouvent.
Monsieur le Président, de nombreux auteurs vivent de maigres droits alors qu’ils nourrissent sans relâche nos esprits et défendent notre liberté d’expression. Ils sont également punis par vos décisions. Ce sont essentiellement les librairies qui conseillent les ouvrages des moins célèbres. Vous les achevez également.
La solution serait d’ouvrir les petits commerces, chez lesquels nous courrons bien moins de risques sanitaires et de faire fermer les grandes surfaces où tout le monde s’agglutine comme en témoignent de nombreux reportages. Mais ce serait une décision osée qui pénaliserait les plus riches. Seriez-vous prêt à la prendre ? Après tout, nous pourrions dire « chacun à son tour ». Nous avons fermé au printemps, ils fermeraient l’hiver !
Monsieur le Président, je persévèrerai dans ma lutte pour l’ouverture des librairies indépendantes et pour une des plus grandes raisons qui soit, le témoignage de personnes qui m’ont dit combien ma librairie avait changé leur vie. Des femmes seules, des veuves, des enfants, des hommes qui ont trouvé un lieu d’échange et de partage, pour lesquels des soirées dinatoires avec des auteurs, des ateliers littéraires les ont sortis de leur solitude.
Certes, il ne s’agit désormais plus que de discussions debout autour de livres entre deux ou trois personnes à plus d’un mètre de distance… mais imaginez cette dame qui vit seule et ne peut trouver personne avec qui échanger deux mots « Autour d’un livre ». Je n’avais pas choisi ce terme au hasard.
Enfin, pour défendre nos livres, remparts absolus contre l’obscurantisme et la bêtise, sauvons les librairies et les auteurs !
Nous serions tous heureux de lire votre réponse. Dans cette attente, recevez, Monsieur le Président, l’expression de ma plus pure franchise.
Florence Kammermann, libraire
Librairie Autour d’un livre…
17 rue Jean Jaurès
06 400 Cannes
Commentaires
Dominique et Frédérique Longville, le 02/11/2020 à 21:41:04
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Liger, le 03/11/2020 à 08:00:22
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Sans voix, le 03/11/2020 à 11:20:13
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Layachi, le 04/11/2020 à 17:34:58
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Liger, le 06/11/2020 à 10:31:18
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Cuberdon, le 17/11/2020 à 07:48:47
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