« Tarif postal pour le livre. Les petits éditeurs : premiers concernés, encore oubliés. » Le constat semble évident, alors que les libraires mêmes doutent désormais du bien-fondé de la mesure. Initiée par Roselyne Bachelot pour favoriser la vente à distance, la réduction des frais postaux n’intervient que sous la forme d'un remboursement — dont on ignore combien de temps il prendra.
Et dans le même temps, on découvre que les clients, plutôt que de passer à leur librairie durant l’heure de pause qu’octroie le confinement, optent pour une commande en ligne. Transformant les librairies en entrepôt logistique… ce qu’elles ne sont pas. Olivier Thuillas, Maître de conférences en Sciences de l’information et de la communication Université Paris Nanterre, analyse les tenants et aboutissants tant sociaux qu’économiques de cette mesure, dans un texte lucide.

Sept associations d’éditeurs indépendants publient vendredi 6 novembre un communiqué de presse pour demander l’élargissement de la mesure exceptionnelle prise pour les libraires concernant les envois postaux de livre. Cette tribune souhaite à la fois relayer leurs revendications et rappeler qu’ils sont depuis 12 ans les grands oubliés de cette question des tarifs postaux, qui les concerne pourtant au premier chef.
La période de confinement du printemps 2020 a été l’occasion de remettre sur le devant de la scène le lourd handicap causé à la chaîne du livre par l’augmentation régulière des tarifs postaux. Le reconfinement et la fermeture contestée des librairies donnent lieu cette fois-ci à une prise de décision du gouvernement visant à prendre en charge les coûts des envois postaux pour les libraires qui expédient les livres aux clients. Cette décision est salutaire pour les libraires qui souhaitent expédier quotidiennement les commandes à leur clientèle confinée.
Pour 3 cm et plus...
Cependant, elle ne répond pas à la demande de la plupart d’entre eux, qui est de pouvoir ouvrir au public en tant que commerce offrant un produit — le livre — de première nécessité. Par ailleurs, la tendance en librairie, déjà émergente à la fin du premier confinement, est la mise en place du click and collect, donc la réservation des livres sur internet ou par téléphone et le retrait devant le magasin.
Mais surtout, ce cadeau gouvernemental ne règle qu’une infime partie du problème majeur des tarifs postaux pour les envois de livre et laisse de côté, une fois encore, les premiers concernés par ce problème que sont les petits éditeurs, en particulier ceux qui assurent seuls leur distribution.
LIBRAIRIE: une réouverture en toute sécurité ?
Revenons un peu en arrière : la hausse des tarifs postaux commence à s’accentuer dès la fin des années 2000, avec la quasi-obligation pour les éditeurs d’envoyer leurs livres en Colissimo dès lors qu’ils dépassent les 3 cm d’épaisseur et sont ainsi privés du tarif « lettre ». Une première mobilisation a lieu en 2007-2008, à l’initiative de plusieurs petits éditeurs, en particulier de Daniel Delort, de l’Atelier du Gué, afin que soit instauré un tarif préférentiel pour l’envoi de livre, quel que soit son expéditeur.
De nombreux parlementaires sont approchés et sensibilisés, plusieurs réunions ont lieu réunissant La Poste, le ministère de la Culture, le Syndicat national de l’édition (SNE), le Centre national du livre (CNL), le Syndicat de la librairie française (SLF). Il apparaît que La Poste pourrait en effet mettre en place ce tarif préférentiel à la condition que l’État compense le manque à gagner important pour La Poste, au moment où le marché du courrier postal commence sa lente, mais régulière dégringolade. Devant les difficultés à estimer le coût, probablement plusieurs dizaines de millions d’euros par an, et face aux réticences de Bercy, le projet est enterré.
Au nord, toujours plus au nord
La question revient dans l’actualité en 2016 avec toujours une mobilisation des petits éditeurs en région, en particulier portée par l’association des éditeurs du Nord–Pas-de-Calais, devenus ensuite les éditeurs des Hauts-de-France. Ces derniers profitent chaque année de leur présence au Salon du livre de Paris pour sonner l’alarme de la hausse régulière des tarifs postaux et expliquent fort bien que la question concerne tous les professionnels du livre, mais que les premiers concernés sont les petits éditeurs autodistribués.
Nombre de ces derniers vont en effet chaque jour à La Poste pour expédier leurs livres aux libraires ou aux clients directement : ne bénéficiant pas des services d’un distributeur, ils n’ont pas d’autre choix que de passer par la Poste et se retrouvent pris à la gorge. Cette nouvelle mobilisation donne de nouveau lieu à plusieurs réunions parisiennes, avec les mêmes acteurs nationaux autour de la table, cette fois-ci incluant aussi la Fédération interrégionale du livre et de la lecture, les structures régionales pour le livre étant sensibles aux questions concernant les petits éditeurs en région.
Si le SNE prétend représenter aussi bien les petits que les grands éditeurs, la négociation avec La Poste s’oriente pourtant rapidement vers la question de l’envoi des livres en service de presse, qui représente un coût d’envois postaux important pour les éditeurs, en particulier pour les plus gros. Les négociations aboutissent finalement en 2016 à la création du service Fréquencéo éditeurs, qui permet d’obtenir un tarif avantageux pour l’envoi en nombre d’un même livre à des destinataires différents : c’est donc bien l’envoi de service de presse (on dit SP) qui sera facilité.
Une fois encore, les petits éditeurs sont renvoyés dans leur lointaine province, encore devraient-ils être bien contents que leur bureau de poste ne fermât pas....
Lors du premier confinement, les éditeurs des Hauts-de-France, toujours actifs et militants sur cette question, parviennent à sensibiliser leur président de région, Xavier Bertrand, qui soutient publiquement leur revendication de tarif postal « spécial livre ». Le ministère de la Culture s’empare de nouveau de la question, et remet autour de la table les mêmes La Poste, CNL, SNE et SLF.
Et cette fois-ci, ce sont les libraires que l’on va aider à envoyer les livres aux clients, même s’ils sont nombreux à refuser de le faire, préférant le click and collect qui permet de maintenir le contact avec le client plutôt que de tenter de courir après Amazon et la Fnac, qui ont déjà pris tellement d’avance sur la livraison à domicile.
Alors oui, Fréquencéo éditeurs aide bien les maisons d’édition — essentiellement les plus grosses qui ont la plus grosse production et peuvent envoyer des centaines de SP d’un seul titre ; alors oui les libraires ont bien besoin qu’on prenne en charge leurs frais postaux dans cette période difficile. Mais les premiers concernés par la hausse des tarifs postaux et par la mise en place d’un tarif livre, ce sont les petits éditeurs.
Faisons en sorte que cette fois-ci, ils puissent enfin être autour de la table pour que la solution trouvée réponde à leurs problèmes.
par Olivier Thuillas, Pôle métiers du livre et de l’édition de Saint-Cloud,
Master métiers du livre et de l’édition.
Master métiers du livre et de l’édition.
crédit photo : Toto @ Matinino CC BY ND NC 2.0
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