Dans un dossier paru au printemps dernier dans l’Express et signé Jérôme Dupuis et Marianne Payot, il y est question de la légitime place des femmes dans l’édition. Les métiers du livre, de tout temps, sont incarnés en grande majorité par la gent féminine, puisque 75 % des salarié(e)s de l’édition sont des femmes et 2/3 en librairies. Sans compter les forces de ventes, les représentant(e)s, qui opèrent sur le terrain.
par Stéphane Daumay
Les équipes de commerciaux, très féminisées également, animent des catalogues d’éditeurs, via leurs diffuseurs, ces derniers faisant appel aussi à une majorité de femmes dans leurs structures. La distribution/logistique adopte la même posture, sur les plateaux administratifs comme sur les chaînes de distribution, puisque de nombreuses femmes occupent des postes opérationnels et administratifs.
Le papier de l’hebdomadaire dresse le portrait de femmes dirigeantes dans l’édition. Phénomène assez récent, incarné par une génération de quadragénaires, tandis qu’auparavant « le sexe dit faible [était] confiné aux rôles de femmes de l’ombre ou de gentils bras droits ». Et analysant l’organigramme mis en avant pour illustrer le dossier, elles ne sont pas moins de 35 à œuvrer au sein de groupes éditoriaux ou éditeurs indépendants à de hautes fonctions.
Chez ces femmes puissantes, interroge le journal, « existe-t-il une sensibilité spécifique aux femmes, plus à même de détecter les succès à venir ? » En d’autres termes, les hommes seraient-ils moins prompts à déceler les titres à fort potentiel ?
Rapportons les propos d’Anne Assous, directrice de Folio, qui a perçu dès sa publication la singularité de l’ouvrage d’Elena Ferrante, L’amie prodigieuse: « Le roman était sorti en novembre 2014 dans une quasi-indifférence, notamment de la part de l’équipe de représentants à majorité masculine. J’en ai tout de suite perçu le potentiel et j’ai dit à Antoine Gallimard : “C’est une bombe atomique, je le prends en poche et je le lance.” On m’avait dit dans la maison que c’était un “livre de fille”. Folio l’a publié en janvier 2016 et ça a été un raz-de-marée, la saga a alors explosé. »
L’anecdote révèle que ces messieurs de l’équipe Littérature Gallimard (ouvrages en grand format) n’auraient pas été très inspirés par le manuscrit et peu amène à l’idée d’appuyer, pour employer le jargon du milieu du livre, les mises en place auprès des libraires, d’atteindre les quantités objectivées.
Du savoir-faire, à faire-savoir
Avant tout, c’est oublier un peu vite le discernement des libraires (hommes et femmes) qui, dans leur rôle de découvreurs de talents, identifient dès sa sortie et même sur le tard, le potentiel d’un titre, la puissance d’un auteur en devenir, d’un nouvel éditeur, participent au lancement d’une collection. Ils déclenchent du réassort pour alimenter les tables et vitrines, mettent en place des coups de cœur et communiquent sur leurs sélections.
Les libraires ont grandement contribué par la suite au succès du livre d’Elena Ferrante lors de sa parution en poche. Avec l’appui marketing de Folio, certes, et surtout leur propre envie de partager et promouvoir ce titre. Associé à l’intérêt commercial.
Aussi, parler du manque de sensibilité des hommes, des commerciaux de terrain, c’est faire endosser un costume un peu trop étriqué aux prescripteurs qu’ils sont avant tout, engagés et experts sur leurs catalogues littérature, jeunesse, pratique, BD, sciences humaines, etc. Parfois peu diserts dans leurs argumentaires de ventes, mais toujours au service des éditeurs et de leurs auteurs.
À l’image de leurs collègues féminines. Ensemble, elles forment, ils forment une prodigieuse force de vente sur le terrain du livre.
Retrouver l’article en question, publié dans l’Express le 3 mars 2020.
illustration ninocare CC 0