FACT-CHECKING – 13 romans de moins que l’année passée. Peut-être bien 14 ou 15, parce que des désistements surviendront certainement. Entre mi-août et octobre 2020, 511 romans à sortir – c’est du moins ce que répète allègrement toute la presse, enthousiaste ou dépitée. L’avantage, avec les chiffres, c’est qu’ils souffrent rarement l’épreuve des faits.

La liste, portant en son sein le nombre de titres publiés durant la rentrée littéraire, découle traditionnellement de la base de données Electre. Le magazine Livres Hebdo opère ainsi un "méticuleux" pointage chaque année, pour les rentrées d’automne et d’hiver. De ce sein nourricier, les médias croient détenir un blanc-seing factuel où s'engouffrer. Or, toute personne travaillant dans l’informatique le sait : quand survient un problème, contrôler l’interface entre chaise et clavier permet souvent sa résolution.
Si l’histoire autant que l'origine de cette rentrée se perd dans les recherches d’universitaires, son enjeu était bien celui des romans – parce que s’ensuivent les prix littéraires d’automne.
Dans une société de la sacro-sainte attention – ou du temps de cerveau disponible, suivant les obédiences – la rentrée apporte son lot d’articles dans la presse. Donc de communication sur les ouvrages. Au moins sur une partie.
Pour 2019, ActuaLitté avait passé les données au crible. Conclusion : sur les 524 titres annoncés, 43 n’avaient rien de commun avec des romans. S’était même glissé dans la liste un recueil de Sonnets du poète italien Bramante (XVe siècle), en édition bilingue. Ô Tempura, Ô Mauresque...
Ne pas confondre “Pleureuse en larmes et choeur d'artichaut”
De la méthodologie découle l’erreur. Mais cette sélection 2020 de 511 titres, à quoi rime-t-elle ? Rien.
Entre le 1er août et le 31 octobre, pour ratisser large donc, ActuaLitté a pu recenser au moins 980 romans de littérature blanche (hors genres, donc : exeunt SF, polar, et consorts). Les 511 ne représenteraient donc que la moitié de la production. Énorme ? Pas tant.
RENTRÉE: 30 % de romans en moins pour 2020
En 2019, sur la même période, ils étaient 1430, peu ou prou – pas loin de trois fois le nombre alors annoncé. Non seulement donc les publications de 2020 sont AMPLEMENT moindres que celle des années passées, mais plus encore, les chiffres de rentrée annuellement communiqués ne riment à rien.
Premier élément : la présence de 103 essais littéraires. Or, parmi les grands prix de la rentrée, seuls le Médicis et le Renaudot s’appliquent à retenir des essais. Le Femina aussi, allez. Pourquoi intégrer ces titres ? Allez, zou, sortons-les tout aussi arbitrairement qu’ils ont été intégrés.
L’an dernier, 82 essais et mémoires figuraient d’ailleurs dans la liste de 524 ouvrages de la rentrée - que, misérables, nous avions conservés dans notre contre-enquête. Suspects, ces essais. Certes. Mais c’est toujours mieux que lèche-cul.
Pour 2020, reprenons le calcul au plus près. 511 - 103 = 408 romans, a priori. Mais a priori seulement.
Errare humanum est...
Cette année encore, que nous réserve la liste établie ? De belles surprises. Plusieurs biographies romancées, par exemple. Genre hybride, admettons, mais il s’en trouve – et même une biographie romancée historique. Diable, le principe de littérature blanche n’est plus même respecté ?
L’an passé, un seul titre autopublié était parvenu à se glisser dans la sélection : cette année, ils sont trois – dont un témoignage. Comble : l’un des trois (qui ne s’appelle pas Gibraltar, facétieux lecteur…) est une réédition.
Justement, ces témoignages ont également la part belle : celui de Kathleen Mazouin, retraçant l’histoire d’une famille originaire d’Acadie. Ou encore, Paris-Beyrouth de Jacques Weber : l’acteur partait incarner le rôle d’un intellectuel libanais durant deux mois. Autofiction ? Pas vraiment…
À ne pas manquer, celui de Syvliane Degunst, Moi, vieille et jolie, qui à 55 ans raconte sa carrière de modèle. Effarant… témoignage ?

Facepalm - Tim Green, CC BY SA 2.0
Quant au livre de Gérard Contard, il remporte la palme : des récits d’aventures en mer, vraie-fausse biographie publiée par un spécialiste de l’aéropostale… sur les aventures d’un baroudeur des mers. Le tout agrémenté d’un cahier de photographies.
Enfin, comment passer outre Les inséparables, de Simone de Beauvoir, nouvelle d’inspiration autobiographique – certes très attendue et inédite. Mais, pour Simone qu'elle fut, faut-il passer l'éponge ?
Délices ou bêtises de Cambrai ?
Des suites ? Absolument : quatre sont référencées dans la liste des nouveautés. Là encore, si le premier tome vous avait échappé, dommage. De même que quinze recueils de nouvelles, et un sixième de courts textes « empreints de poésie et illustrés de dessins naturalistes ». Il s’agit de Nous avons de pluie assez eu – recueil ornithologique illustré, inattendu au demeurant, d’Erica Van Horn avec des dessins de Laurie Clark. Le tout traduit de l’américain par Cléa Chopard.
Si l’on apprécie l’aventure, Ultra-Graal de l’éditeur et essayiste Bertrand Lacarelle sera savoureux : sauf que le livre n’a rien d’une fiction. Il s’agit d’un récit retraçant les légendes nées autour de la quête du Graal. Mythique, certes, mais pas romanesque – sauf erreur…
Le must ? Eh bien, une fiction de l'Argentine Silvina Ocampo, traduit de l’espagnol par Anne Picard : il s’agit d’un poème autobiographique publié à titre posthume en 2006 et que devait faire paraître les éditions Des femmes-Antoinette Fouque. Malheur : il est reporté à 2021 nous affirme l’éditeur.
Qu’on ne dise en revanche pas que la rentrée littéraire est l’apanage des romans adultes : Les Arènes qui publient L’enfant, la taupe, le renard et le cheval de Charlie Mackesy (traduit de l’anglais). Un album somptueux… de littérature jeunesse, dont certes les adultes pourront se délecter, mais tout de même.
Demain, une “Rentrée livresque” ?
En tout, près de 45 titres qui dérogeraient à toute appellation de rentrée littéraire classique – si tant est que celle-ci dispose d’une acception compréhensible. Dans tous les cas, la question demeure : soit la dénomination doit se conscrire à un genre, le roman, un segment, la littérature blanche, et une période, pour avoir un tant soit peu de sens.
Soit tout ceci relève de l’escroquerie en bande désorganisée, et doit être rebaptisé Rentrée des livres, ou pire Rentrée livresque – perdant alors tout son cachet.
Corollaire : toute la profession a besoin de cet éclairage – argument parfois spécieusement employé pour justifier l’existence du salon du livre de Paris. La médiatisation donnait au livre et à la lecture une place majeure durant la semaine de l’événement.
Ici, les deux mois et demi de rentrée profitent à tous les segments, parce qu’elle représente un afflux de lecteurs en librairies. Et personne ne refuserait un peu de chiffre d'affaires en cette période.
Dossier - Les romans de la rentrée littéraire : 2020, l'année inédite
crédit photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0, rentrée “littéraire” 2019
Commentaires
Ah tout de même, le 21/08/2020 à 22:53:19
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Rose, le 22/08/2020 à 05:34:49
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Nouchka, le 22/08/2020 à 10:51:53
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Kevin Kant, le 23/08/2020 à 07:48:25
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Mu, le 23/08/2020 à 12:52:15
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Rose, le 24/08/2020 à 08:41:04
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Rose, le 24/08/2020 à 08:56:05
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myriam81, le 24/08/2020 à 16:40:01
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