ENQUÊTE – De passage récemment sur France Inter, le nouveau ministre de la Culture Frank Riester a passé en revue les dossiers à venir. Assurant que ses propres goûts se révèlent « éclectiques », il a totalement occulté, filant comme une flèche, le dossier livre et industrie de l'édition. Rien à en dire, est-ce bizarre ?
Première industrie culturelle en France, avec 2,837 milliards € réalisés en 2107 par les éditeurs (chiffre SNE), l’industrie du livre ne méritait-elle pas une messe, fût-elle radiophonique ? Le ministre aura pourtant bien énuméré la publicité pour l’audiovisuel public ou encore le soutien au Patrimoine — de toute manière, 85 % des budgets de la rue de Valois sont attribués — dans ses dossiers à venir.
Mais le livre ? À l’exception de Victor Hugo ou Philippe Sands qu'il apprécie, on n’entendra pas parler de l’édition. Ali Baddou, facétieux, lui demandera tout de même s’il a lu Modiano, référence à l’éclaboussure qui entacha le mandat de Fleur Pellerin. Alors que l’écrivain avait reçu le prix Nobel de Littérature, elle s’était montrée incapable de citer l’un de ses ouvrages. Soit.
Si Frank Riester ne l’a pas encore lu, mais semble s'y engager : il peut bien prendre quelques semaines. Mais ses affinités avec le monde de l'édition auront encore à être démontrées.
Le Contrat présidentiel de BLM
En 2016, Bruno Le Maire avait annoncé sa candidature à l’élection présidentielle. Et Franck Riester, lemairiste de la première heure, avait rejoint son état major, pour préparer la Primaire de droite. Il fut notamment chargé de produire le programme du candidat, le fameux Contrat présidentiel de 1000 pages. Riester figurait dans les petits papiers de Nicolas Sarkozy, sans avoir jamais caché son soutien à BLM — il était à ses côtés quand la présidence de Les Républicains fut soumise au vote.
Par la suite, l'actuel ministre de la Culture avait su faire part de sa déception de ne pas figurer dans le premier gouvernement monté par Édouard Philippe, après l'élection d'Emmanuel Macron — et que Le Maire a été nommé ministre de l'Économie et des Finances.
Au cours de sa campagne pour la Primaire (votes les 20 et 27 novembre 2016), différents groupes participèrent à l’élaboration des fiches techniques pour une foule de sujets, en amont de la composition du Contrat présidentiel. Le livre, cher au candidat qui venait de publier le sien (février 2016, Ne vous résignez pas!, Albin Michel), en faisait alors évidemment partie. Un document produit en avril 2016 et nommé La filière du livre : soutien, transparence et simplification recensait ainsi plusieurs points, particulièrement importants pour le développement du secteur.
Était ainsi évoqué le soutien nécessaire à la filière, « devenu une économie de best-sellers ». Et en premier lieu, le constat posé qu’« aider la filière commence par aider les auteurs ». Révolutionnaire. « Il faut également soutenir les petits éditeurs qui sont souvent les découvreurs des nouveaux talents et les librairies indépendantes qui prennent des risques en les suivant. »
Autre élément que soulignait la fiche, la nécessité de la transparence. « [L]’opacité des comptes dans le monde du livre est un anachronisme. Les outils informatiques existent, mais ne sont pas utilisés. C’est pourtant l’unique solution pour obtenir la transparence des comptes et permettre à tous une meilleure optimisation des stocks ainsi qu’une plus juste rémunération des auteurs. Pour toute information relative à sa rémunération, l’auteur reçoit de son éditeur une reddition de comptes. L’auteur n’a aucun moyen de vérification. S’il veut avoir des preuves du tirage initial, des retours, de la mise au pilon, il doit engager un rapport de force avec son éditeur », peut-on lire. Là encore, fulgurant.
Enfin, le besoin de simplification des démarches administratives, pour auteurs autant que pour éditeurs. Avec cette observation : « Les auteurs dépendent aussi bien du ministère de la Culture que du ministère des Affaires sociales. Ils ne sont ni salariés ni indépendants. » Deux ans plus tard, ces mêmes auteurs nagent en plein marasme...
Les multiples propositions portaient donc sur l’instauration d’une TVA ultra réduite, à 2,1 %, suggéraient une garantie minimale contractuelle pour les revenus des auteurs, ou encore l’instauration d’un modèle type droit de suite, comme cela existe pour les œuvres d’art. De quoi ne pas laisser le secteur de l’occasion échapper aux professionnels.
Pour le soutien aux petites et moyennes maisons d’édition, le document envisageait de créer une plateforme en open access pour le CNL, et d’étendre les pouvoirs de ce dernier. En effet, l’idée était qu’il puisse devenir un garant de la transparence des comptes, et réaliser des contrôles aléatoires sur un titre ou sur l’ensemble de l’œuvre d’un auteur. Un outil de connaissance des ventes en sortie de caisse était aussi suggéré. Son soutien à la librairie aurait également été accru.
Enfin, une modernisation du statut d’auteur avec une simplification des modes de cotisations Agessa était fortement recommandée.
Non seulement cette fiche ne sera jamais exploitée, mais, d’après plusieurs témoignages, « Franck Riester l’a littéralement mise à la poubelle ». Troublant. « La fiche, comme toutes les autres réalisées par les équipes de Bruno Le Maire, est parvenue à l’équipe de François Fillon après sa victoire à la Primaire. Mais elle n’aura pas eu beaucoup plus d’avenir », poursuit-on.
Bruno Le Maire - Sens commun, CC BY ND
Pourquoi l'actuel ministre de la Culture a-t-il de la sorte écarté cette fiche livre ? La question reste ouverte : pas si audacieuse que cela, elle posait au contraire des réflexions extrêmement lucides et justes, jusque dans le financement du CNL.
Par la suite, l’ensemble de ces documents techniques suivirent les anciens soutiens de Fillon ou Le Maire, partis rejoindre le camp Macron. Le futur président en prit-il connaissance à cette époque, ou depuis ? Ce serait souhaitable, et, plus encore, qu’on réfléchisse à leur application.
« Ce sont les membres du premier cercle autour de BLM qui se sont concertés pour valider les thèmes du programme. Car, bien entendu, il fallait opérer des choix : cette fiche Livre a carrément été balayée. Il avait même été répondu que “non, livre papier est fini, l'avenir c'est le numérique”, et que la question de la TVA était inutile. »
Bruno Le Maire aurait lui-même estimé plus prudent de ne pas s’en prendre aux éditeurs sur la transparence des comptes. « Les arguments de Franck Riester à l’Assemblée en 2015, autour des artistes-auteurs, se retrouvaient posés sur la table, pour refuser la fiche. » Une fiche trop peu orientée vers la défense des groupes éditoriaux, suggère-t-on.
Ce rejet de la question livre par le chargé du programme de BLM devient d’autant plus intéressante que Franck Riester était bien présent durant les échanges de la Commission culture du 16 septembre 2015. Or, l’ensemble des mesures et suggestions, que la fiche sur la filière du livre contenait, rappelent plusieurs points discutés dans le cadre de la loi Création, en 2015.
Et qu’une grande partie des éléments alors discutés concernait plus précisément encore la transparence des comptes et la protection des auteurs.
Riester s’était alors fortement opposé, suivant en ce sens François de Mazières, à l’article 5 de la loi Création portant sur une plus grande transparence et meilleur encadrement des contrats pour les artistes-auteurs. Précisément les sujets que ciblait alors, mais pour l'édition et les auteurs, l’amendement AC498 porté par le rapporteur, Patrick Bloche. Les Républicains avaient serré les rangs pour tenter de faire barrage.
Certes, Franck Riester ne se prononçait pas sur le sujet lié au livre, mais les enjeux de transparence, d'une industrie culturelle à une autre, restent les mêmes. Il avait pourtant su défendre avec vaillance le secteur musical, en accusant la ministre de remettre en cause des accords conclus. « [L]orsqu’il n’en existe pas, vous antagonisez les professionnels de la filière, au lieu de les fédérer, ce qui devrait être votre tâche et celle du Parlement », lançait-il, pour combattre l'article 4, cette fois en séance.
Pour mémoire, l’amendement de Patrick Bloche visait à la production d’un rapport – pas une mesure bien méchante donc – balayant :
la fréquence et la forme de la reddition des comptes prévue à l’article L. 132 17 3 du code de la propriété intellectuelle,
la mise en place d’une obligation d’établissement et de transmission du compte d’exploitation des livres à un organisme tiers de confiance désigné par décret,
la mise en place d’une obligation d’envoi par l’éditeur à l’auteur d’un certificat de tirage initial, de réimpression et de réédition, et, le cas échéant, d’un certificat de pilonnage, que ce dernier soit total ou partiel,
les conditions d’un encadrement des provisions sur retour et d’une interdiction de la pratique consistant pour un éditeur à compenser les droits d’un auteur entre plusieurs de ses livres
l’opportunité d’un élargissement des compétences du médiateur du livre aux litiges opposant auteurs et éditeurs.
De la loi Création au programme de BLM, une certaine constance se retrouve. Et l'on sait, dans le livre, toute l'importance d'être constant. Nous ne sommes, à cette heure, pas parvenus à joindre le ministre pour demander des précisions et dissiper les troubles.
Un trouble que le ministre, ce 25 octobre auditionné par cette même Commission des affaires culturelles, a pu entretenir, dans un discours plus suiveur des lignes tracées par Françoise Nyssen que prospectif. Ses déclarations systématiques ne ressemblent pas à un accident de pensée. Et pour les auteurs, la petite édition ou les libraires ne se préfigurent pas de joyeuses choses pour la suite – dans le traitement des négociations par exemples.
Bien entendu, les grands groupes sont épargnés, mais lesdites positions expliquent possiblement le silence ministériel sur les sujets du livre. Une prudence excessive, pour que le passé ne ressurgisse pas ? Problème, le monde du livre a de la mémoire...
3 Commentaires
Marie
26/10/2018 à 09:30
Il a peut-être lu (au premier degré s'entend): "Interdit de rire" de David de Stephano et Sanjay Mirabeau (Xenia).
Jean d'Aillon
26/10/2018 à 10:26
Au 1er janvier 2019, les éditeurs feront le précompte sur les droits qu'ils versent à l'Urssaf (l'Agessa aura disparu). Suivant quelles règles?
La cotisation « assurance vieillesse plafonnée » sera précomptée par le diffuseur
au même titre que les autres cotisations et contributions sociales suivant un décret "à paraitre". Quand? Personne ne le sait.
Or ces cotisations étant plafonnées, il importe pour l'éditeur de savoir quelles autres cotisations ont déjà été prélevées dans l'année. Quid des auteurs ayant plusieurs éditeurs? Comment l'éditeur qui versera les droits saura-t-il que le plafond est - ou non - atteint? Personne ne le sait (en plus c'est techniquement impossible! C'est pourquoi c'était l'auteur qui faisait la déclaration sur l'année précédente.) Bref, bien des erreurs et des problèmes à venir pour les auteurs!
Référence: http://www.secu-artistes-auteurs.fr/sites/default/files/pdf/Flash infos diffuseurs et commerces d'art.pdf
Ben
08/11/2018 à 14:08
Bonjour,
"Première industrie culturelle en France, avec 2,837 milliards € réalisés en 2107 par les éditeurs (chiffre SNE)"
Le jeu vidéo a réalisé 4,3 milliards d'euro en 2017 (source : http://www.leparisien.fr/high-tech/le-jeu-video-premier-marche-culturel-en-france-10-06-2018-7763421.php)