Dans le monde des algorithmes prescripteurs, Spotify vient de franchir un nouveau pas. Depuis quelque temps déjà, le service de streaming musical suggérait des dates de concerts pour les artistes d’une playlist en cours. Il suffisait de se laisser porter, d’écouter et de voir une mention apparaître avec les dates et lieux où le groupe se produirait. Maintenant, Spotify joue également la carte de la recommandation, en suggérant d’assister à des concerts d’artistes qui semblent répondre aux goûts de l’usager.
Le 17/11/2015 à 14:51 par Nicolas Gary
Publié le :
17/11/2015 à 14:51
Dédicace de Kamui Fujiwara (Dragon Quest, Ki-oon) à Japan Expo 2014
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
La fonction Discover Weekly, qui sert à constituer de nouvelles playlist, a été améliorée, pour souffler aux utilisateurs des listes de chansons qui répondent à leurs goûts. Et suivant les genres musicaux, les artistes, et les habitudes d’écoute, Spotify offre maintenant une liste de spetacles à proximité : la fonction dans l'application se nomme tout bêtement Concerts. Un outil de géolocalisation, et un moteur de recommandation affiné, et l’affaire est jouée. Et bien entendu, l’application s’adapte si l’usager décide de voyager, en mettant à jour ses propositions.
L’ensemble a été mitonné avec Songkick, service qui fournit des calendriers d’événements ainsi que la vente de tickets pour des concerts. Le rapprochement entre les deux sociétés était déjà actif, puisque Songkick pouvait ajouter les artistes favoris à la liste Spotify – mais également Apple Music, Facebook, Rdio, etc. Scandale, rien de tel n’existe pour le livre ? En réalité, si.
LesDedicaces.com : simplifier la vie de chacun
Avec plus de 6000 auteurs et 3200 lieux référencés, la société LesDedicaces.com est un site unique en son genre. « Nous avons près de 255 éditeurs et 320 libraires qui contribuent à communiquer sur des événements, des dédicaces, des rencontres, après trois ans d’existence », précise Thibault di Maria, le fondateur. Un millier d’auteurs prend également le temps de référencer ses rendez-vous avec le public, « mais, s’ils sont plus nombreux à s’inscrire, ils laissent moins d’informations que les éditeurs et libraires ».
Créée en janvier 2013, la société ne semble pas avoir de concurrents : « Je crois que nous sommes uniques au monde », plaisante le fondateur, « bien que beaucoup de sites, éparpillés sur la toile, valorisent les agendas ou les événements liés à l’édition. » Un éclatement qui n’aide pas les acteurs à savoir lequel privilégier. « Par exemple, le nombre d’auteurs est en croissance, mais nous restons à une dizaine de manifestations quotidiennement déposées. »
Pour une structure qui dépend de l’implication des acteurs, le modèle de prescription découle de l’investissement. « LesDedicaces.com n’a jamais eu pour vocation d’être un service lucratif : nous voulons avant tout simplifier la vie de chacun. » Et alors que tous les partenaires institutionnels rencontrés ont salué le projet, « j’ai surtout constaté qu’il s’agissait d’un secteur qui ne jouit pas d’une solidarité particulière. Et pour déployer des solutions comme celle de Spotify, il nous faudrait des soutiens, et de moyens, sur lesquels il n’est pas possible de compter pour l’instant ».
D'ailleurs, il est évident que la connexion qu’opère Spotify avec les agendas de concerts serait toute destinée à avoir des correspondances dans le monde du livre. Renny Aupetit, libraire parisien qui inaugurait Le Comptoir des mots, son second établissement, assurait : « En plus de travailler l’accueil, il est essentiel de faire en sorte que sa librairie soit connectée. » Et l’on ne parle pas simplement d’avoir un modem. Il s’agit tant de regrouper des forces entre libraires, que de disposer d’outils pour attirer l’attention des lecteurs.
Géolocalisation, avec une dimension éditoriale
La société Youscribe, qui a récemment lancé une offre de lecture en partenariat avec la SNCF, SNCF e-LIVRE, a pris la dimension de la géolocalisation avec cet outil. L’offre de découverte permet durant 45 jours de profiter de 5000 œuvres classiques, mais également d’extraits. Par la suite, l’usager se voit proposer un abonnement à 9,90 € pour l’accès à 100.000 titres en numérique.
Juan Pirlot de Corbion précise à ActuaLitté que ce développement a été strictement tourné vers le lecteur, avec une dimension éditoriale. « Nous présentons un catalogue de livres, selon une répartition régionale, dans toute la France. Les voyageurs peuvent être intéressés par des titres qui sont en lien avec les territoires où il voyage. » La connexion avec les événements en librairie n’est pas encore prévue. « Nous envisagerons certainement d’ici 2016 de nouveaux développements, mais qui vont plutôt dans le sens de l’éditorial. »
Robert Couse-Baker, CC BY 2.0
À ce titre, la société s’est tout de même appuyée sur des lieux – les McDonalds – dans le cadre d’une opération menée avec Monopoly. « Nous avions proposé de remporter des périodes d’abonnement de trois mois offerts, et le recrutement a été considérable. Nous comptons 100.000 nouveaux abonnés, après un mois d’opération. » Ici, le lieu servait avant tout d’espace de vente, et pas vraiment de connexion directe avec la lecture.
Un Tinder du livre, pour valoriser avant tout les catalogues
A contrario, la société Youboox considère que « des recommandations d’albums ou de concert en fonction de ses écoutes c’est ce qu’on attend d’un service de streaming dont le principal avantage est plus de découvertes et des conseils personnalisés ». L’initiative de Spotify n’est cependant pas encore dans les cartons de ce que la société développe.
Hélène Merillon, fondatrice de la structure, poursuit : « Nous avons lancé début octobre un nouvel outil de découverte, personnalisé selon les goûts. Il s’agit d’une sorte de Tinder du livre, qui propose chaque semaine une sélection de livres. » Et, bien entendu, la sélection « évoluera bientôt en fonction des livres lus par l’utilisateur ».
Contrairement à Spotify, qui cherche manifestement à enrichir les services et fonctionnalités proposées aux usagers, les opérateurs du streaming en France misent avant tout sur leur offre. La recherche d’applications qui feront parcourir le catalogue de livres numériques proposés reste primordiale.
Et pourtant, les services de géolocalisation pour trouver un livre en librairies ne manquent pas, même s’ils ne démontrent pas de façon éclatante l’intérêt du public. A l’heure où même Amazon s’appuie sur un espace physique – avant tout missionné pour collecter de nouvelles données sur les clients – pour vendre des livres, que comprendre ?
Les dédicaces sont "des métadonnées comme les autres"
« Localiser les événements en librairies, ou en bibliothèques, et les faire correspondre avec les lectures du moment représente une équation délicate », estime Guillaume Teisseire, cofondateur de Babelio. En analysant la bibliothèque des utilisateurs du réseau de lecteurs, il serait possible de dégager des champs. « Si Jean Echenoz fait partie des listes de lectures, nous informerions alors d’un événement auquel il participe doit avoir lieu. » Mais en dehors des périodes de promotion, difficile, voire terriblement improbable, de faire coïncider le moment de la lecture avec celui de la rencontre.
Un pareil outil n’est d’ailleurs pas l’enjeu principal, estime-t-il. « Produire des contenus pertinents basés sur les lectures de gens relève déjà du casse-tête – si l’on vise avant tout la pertinence. Il me semble qu’une personne de passage à Brives, à qui on propose des recettes de foie gras et de la littérature du terroir, n’a pas grand-chose à voir avec la réalité ni les attentes. »
Pourtant, l’outil ne poserait pas de problème de développement insurmontable. « Dire à un fan de science-fiction que les Utopiales se déroulent dans une quinzaine de jours, ou à un féru de littérature italienne que Paolo Di Paolo est en dédicace non loin de chez lui, cela reste assez simple. » Certes, mais à condition de constituer une base où seraient agrégées les informations nécessaires. Attendu que dans tout smartphone, un outil de géolocalisation existe, la couche matérielle est assurée. « C’est la base de données qui devient compliquée à trouver – et que LesDédicaces avaient effectivement cherché à constituer. »
Readar de Library Thing et l'application Spotify
On peut alors souligne l’existence de l’application de LibraryThing, Readar, qui s’appuie sur son outil web, Local : « Constituées par la communauté, ces listes de rendez-vous, incluant lieux et dates, fonctionnent parce qu’il y a un apport extérieur. » Readar fournit ainsi des informations sur ce qui se passe autour de soi, en matière de rencontres littéraires.
Guillaume Teisseire nuance cependant : « Les rencontres et les dédicaces intéressent seulement une partie du lectorat. Quand nous en organisons, les 400 répondants que nous avons – et qui ont lu le livre au préalable – n’affluent pas tous. »
Reste que les informations que représentent ces rencontres « sont finalement des metadonnées comme les autres. L’organisation de rencontres peut être changée en flux RSS, pour être le plus largement répandues ». La question de Thibault di Maria revient : « La résistance à laquelle se heurte en partie LesDédicaces, revient à savoir qui doit prendre le temps de remplir les informations sur un événement. »
Un journaliste littéraire technophile, de rédaction print, souligne : « Nous recevons des mails en rafale, pour indiquer la présence de tel ou tel auteur, son déplacement. Les services de presse tentent d’attirer notre attention avec un moyen qui n’est probablement plus idéal – ou a besoin d’être complété. Et pour le grand public, comme pour les journalistes, une plateforme qui centralise ces données ne manque pas d’intérêt : un maximum d’éléments, tous regroupés. Après tout, la couche de travail est celle d’un formulaire qu’il faut remplir en ligne, non ? »
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