Ah, l'homme « aux semelles de vent », ce cher Arthur, si rimbaldien : comment est-il possible que la postérité littéraire se soit tant fourvoyée sur ton cas ? Selon le chercheur Eddie Breuil, c'est par erreur, voire négligence involontaire, que le recueil de poésies a été livré à l'Histoire de la littérature, avec le nom d'Arthur Rimbaud, apposé sur sa couverture.
Le 29/10/2014 à 16:22 par Nicolas Gary
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29/10/2014 à 16:22
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Metro Centric, CC BY 2.0
Les Illuminations, poèmes en prose et vers libres, auraient été rédigés entre 1872 et 1875, selon la tradition, et une première publication partielle est intervenue en 1886. La critique s'est longuement méprise, fortement influencée par la soeur du poète carolomacérien : celle-ci voulait qu'Une saison en enfer soit le dernier livre d'Arthur, et tenta de faire passer les Illuminations, pour une oeuvre de prime jeunesse. C'est à Verlaine que l'histoire littéraire a choisi de faire confiance, et ce, alors même que les deux hommes ont eu les relations passionnelles, et passionnées, que l'on sait.
Ce 31 octobre, sera donc publié un ouvrage chez Champion essais, que signe Eddie Breuil, Du nouveau chez Rimbaud. Actuellement en thèse sur l'édition critique, à l'université de Lyon, l'auteur assure remonter « aux premières traces du projet et au moment crucial que fut le compagnonnage entre Arthur Rimbaud et Germain Nouveau, commencé à Paris et prolongé quelques mois à Londres, durant lequel les manuscrits généralement recueillis dans les Illuminations ont été mis au net».
Germain Nouveau ? Ce poète français n'a pas réellement laissé de grandes traces dans la littérature hexagonale, mais il a effectivement croisé la vie du manuscrit des Illuminations, puisque Verlaine lui aurait remis, en 1875, un exemplaire de poèmes en prose, sans plus de précisions. Voilà ce qu'écrit Verlaine dans une lettre du 1er mai 1875, qui évoque, sans citer, les Illuminations :
Si je tiens à avoir détails sur Nouveau, voici pourquoi: Rimbaud m'ayant prié d'envoyer pour être imprimés des "poëmes en prose" siens, que j'avais, à ce même Nouveau, alors à Bruxelles (je parle d'il y a deux mois.)
Les textes de Nouveau ne furent, eux, publiés qu'après sa mort, Germain s'étant toujours refusé à les voir imprimés de son vivant. Aragon lui-même, qui avait le goût de la provocation, déclarera Nouveau l'égal de Rimbaud. Et ainsi, Eddie Breuil affirme, avec assurance : « Rimbaud n'est pas l'auteur des Illuminations. » La piste est peut-être excellente, mais une pareille affirmation, avec ce qu'elle contient de péremptoire peut faire jaser.
« Ce genre d'erreurs est caractéristique d'un copiste recopiant un texte dont il n'est pas l'auteur. »
Le chercheur met en avant plusieurs éléments qui soutiennent son affirmation : « L'édition de 1886 (vers et prose) réunissant des textes de provenances diverses, est non autorisée, et rien (absolument rien !) ne permet de savoir ce que renfermait les Illuminations. C'est un peu comparable avec les Pensées de Pascal (sur le plan du titre, même si de la même façon, quelques textes allographes se sont retrouvés dans les Pensées pendant 3 siècles !). »
Ensuite, voici des éléments historiques :
Nous savons depuis 1949 (Bouillane de Lacoste) que plusieurs textes (Métropolitain, Villes) portent la main de Germain Nouveau, et qu'il arrive que les écritures se suivent. Donc, ils ont été copiés (pour la plupart, car nous ne savons rien par exemple de Dévotion et Démocratie) lorsque Nouveau et Rimbaud étaient ensemble. Les deux poètes se sont ensuite séparés, et lorsque Rimbaud a revu Verlaine sorti de prison, il lui a demandé de remettre des textes en prose à Nouveau (nous ne savons pas s'il l'a fait).
Les manuscrits ont ensuite pérégriné pour être publiés par des personnes étrangères au projet. Verlaine a signé une préface, où il disait que ce sont des "vers et des proses" (actuellement on a enlevé les vers, qui sont des poèmes présents dans Une Saison pour certains). Et il les a datés : Bruxelles 1873 et Stuttgart 1875 : on a cru à un aveu, une précision, or ces dates sont les dates de prison : Bruxelles 73, Verlaine tire une balle à Rimbaud, Stuttgart 75, il retrouve brièvement Rimbaud pour la dernière fois.
Quand il est avec Rimbaud, Nouveau écrit à un ami "je t'enverrai des études pour la Renaissance, dans quelques jours (quinze ou vingt)". C'est à ce moment que les "Illuminations" sont copiées.
D'autres éléments portent sur les manuscrits. Ainsi, ceux copiés par Rimbaud sont des "mises au net" d'après l'avis de tout le monde. Il y a en outre ce qui ressemble à des erreurs de lecture, caractéristique des erreurs de copistes :
- "la main de la campagne sur mon épaule [et] nos caresses debout" (pour compagne)
- des "brèches opéradiques" (pour sporadiques)
- "l'étude, des mers enlevées" (pour étuve)
« Ce genre d'erreurs est caractéristique d'un copiste recopiant un texte dont il n'est pas l'auteur», affirme Eddie Breuil.
Et d'autres éléments sont liés au fond même des poèmes
- on croit que les "villes" évoquent des délires. Mais c'est UN lieu de spectacles : "qui se meuvent sur des rails et des poulies invisibles." (c'est un indice signalant un décor). En outre, il y a des "palmiers de cuivre" : ces palmiers existent, Germain Nouveau en signale à la même époque, dans le bal Mabille, lieu qu'il connaissait. Au passage, dans sa correspondance de la même époque, Nouveau dit avoir écrit des "Villes".
- le poème "Dévotion" utilise un terme "baou - l'herbe d'été puante" du sud de la France, Nouveau enseignait le provençal.
- il y a plusieurs allusions biographiques identifiables, en particulier les deuils d'enfance, la passion pour la peinture et pour le théâtre.
Et le chercheur de conclure : « Le contenu a varié : d'abord des poèmes publiés en vrac, puis on en a rajouté, vers et prose mélangés, puis séparés, puis on a exclu les vers, puis une prose... » En somme, on serait bien avisé de considérer que l'on a peut-être bien là une erreur d'attribution initiale. Nombre de réflexions liminaires pourront être retrouvées sur son site.
Rimbaud n'est pas l'auteur des Illuminations
L'histoire de la littérature est faite d'erreurs, de rectifications, qui mettent parfois du temps à être admises. Un cas simple : les Illuminations, ce recueil non autorisé constitué par des éditeurs rassemblant des textes épars qui arrivaient sous leur main, et dont le contenu a beaucoup varié. Les manuscrits ont été copiés par les poètes Germain Nouveau et Arthur Rimbaud. Ils portent l'écriture des deux poètes et ne sont pas signés. Les universitaires ont décrété que Rimbaud était l'auteur et Nouveau le copiste. Pourquoi ? Et pourquoi pas l'inverse ?
Rimbaud, le génie, pouvait-il s'abaisser au simple rôle de copiste ? Depuis peu, on sait que Rimbaud avait déjà endossé le rôle du copiste à la même époque. Pourquoi cette hypothèse selon laquelle Nouveau serait l'auteur n'a pas été retenue ? D'autant plus que les manuscrits de la main de Rimbaud montrent des signes évidents de copiste. L'étude que nous présentons prochainement présente suffisamment de garanties pour nous permettre d'affirmer sereinement : Non ! Rimbaud n'est pas l'auteur des Illuminations !
Sur quels témoignages les critiques s'étaient-ils basés pour attribuer le recueil à Rimbaud ? Sur ceux de Verlaine qui a récupéré les manuscrits après sa sortie de prison, avec ordre de les remettre à Nouveau, qu'il ne connaissait pas. Verlaine, qui était assez loquace sur les textes de Rimbaud et au contraire particulièrement silencieux sur les Illuminations, savait-il qui était l'auteur ? L'ultime rencontre des anciens amants fut particulièrement violente, et ils n'ont pas eu l'occasion de parler de ces textes récupérés et à transmettre à l'inconnu Germain Nouveau (en photo).
La seule précision que Verlaine donne sur l'œuvre est qu'elle fut composée entre 1873 et 1875. Mais où était Verlaine entre ces dates ? En prison ! Ces dates avancées ne sont que des déductions : Verlaine avoue à demi-mot que ces textes ont été composés en son absence. Il ne sait rien à leur sujet.
Il y aura bien évidemment des conséquences pour la lecture des Illuminations, le recueil le plus hermétique à toute critique. En attribuant les poèmes à Nouveau, ceux-ci deviennent cohérents et perdent leur hermétisme. Loin de vouloir détruire une icône, celui de l'auteur du poignant recueil Une Saison en enfer et de quelques magistraux premiers poèmes, il s'agit de rappeler que le mythe du génie, constitué à partir du recueil Illuminations et de la fuite à travers les continents, n'est qu'un leurre.
Cette précipitation à attribuer à Rimbaud cet ensemble de textes en dit très long sur notre société et sur notre tendance à nous satisfaire de chimères, à voir la réalité sous un prisme déformant, à nous représenter comme un symbole de liberté celui qui est devenu un comptable zélé et un vendeur de bibelots.
Il est important de réhabiliter un poète jeté aux oubliettes et connu à travers des éditions déformées (excepté les quelques premiers vers publiés par la Société de découragement de l'escrime), mais qui offre la leçon d'un homme qui ne parvient pas à se laisser aveugler complètement par les tentations des divertissements modernes et qui a le courage de faire vivre l'oubli, la mort et tout ce qui contribue à bâtir l'essence de l'homme. Notre déni de Germain Nouveau et du véritable sens des Illuminations vaut d'être surmonté.
Publié aux éditions Honoré Champion
Paru le 01/10/2014
196 pages
Honoré Champion
29,00 €
3 Commentaires
Zeugma
25/04/2020 à 16:33
Ridicules deductions qui ne s'attachent qu'à la chronologie de faits hasardeux et non pas au style.Jamais Nouveau n'a eu cette audace. Putain d'universitaire.
Etienne CROSNIER
19/06/2021 à 10:46
Seul le style d'une œuvre peut témoigner de l'authenticité d'un auteur. Celui des Illuminations n'est en aucun cas imputable à Germain Nouveau.
François Régis
19/04/2023 à 07:29
J'en pense que cet obscur universitaire, à force d'étudier Rimbaud, en est devenu obsédé, au point de tomber dans l'effet tunnel, ses pensées allant toutes dans le même sens: s'en prendre au génie et la gloire de Rimbaud. Qui aime mal châtie mal. Ce chercheur complusif s'est aveuglé au point de publier ses propres «illuminations», par un besoin irrépressible d'accoler son nom à celui de Rimbaud. .