Le livre des commémorations nationales, que produit chaque année le ministère de la Culture, a fait parler de lui. Cette publication, fruit d’une sélection opérée par le Haut comité des commémorations nationales, contient différents anniversaires — et les célébrations qui s’ensuivent. Une centaine de personnalités choisies, pour « être célébrées au nom de la Nation ». Mais Charles Maurras, vraiment ?
Charles Maurras
Après la récente décision d’Antoine Gallimard de suspendre la réédition des pamphlets de Céline, voici la rue de Valois qui rétropédale sur Charles Maurras.
Dans une présentation officielle, un avant-propos signé de la main de Françoise Nyssen, on apprend : « Pour illustrer la mémoire collective, les événements qui la jalonnent et les personnages qui l’animent, les Commémorations nationales ont fait appel, au titre de 2018, à plus de cent spécialistes enthousiastes. »
La présence de Charles Maurras, théoricien du « nationalisme intégral », et présenté comme un « polémiste redouté », en a pourtant fait sursauter plus d’un. De fait, Maurras (20 avril 1868 – 16 novembre 1952) revendiquait un antisémitisme guidé par l’Etat, considérant qu’être antisémite était, peu ou prou, la réponse à tous les problèmes humains.
Les exemples et citations de ses thèses, discours et autres interventions se multiplient sur les réseaux. Frédéric Potier, préfet à la tête de la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah), lance : « Commémorer c’est rendre hommage. Maurras, auteur antisémite d’extrême droite, n’a pas sa place dans les commémorations nationales 2018. »
Ce dernier était déjà intervenu pour mettre en garde les éditions Gallimard dans leur projet de réédition de Céline. Ici, pas question de laisser passer le cas Maurras. Et la Licra le suit tout de go : « Charles Maurras est frappé d’indignité nationale. Il a été condamné à la perpétuité pour haute trahison et intelligence avec l’ennemi [et appelle à] son retrait immédiat du recueil des commémorations nationales. »
C’est que le parcours littéraire de Maurras existe bel et bien, et que sa carrière politique est incontestable : ses idées, en revanche, font saigner les yeux et les oreilles. Alors, Maurras, poète et académicien, peut-être, mais de là à lui sortir le tapis rouge, la France se trompe certainement de valeurs.
Ayant rejoint L’Action française, journal prolongeant le combat haineux — ce fameux antismétisme d’Etat – Maurras mit en effet son talent littéraire au service d’une idéologie nauséabonde. On lui reconnaît d’avoir été le journaliste politique et littéraire le plus prolifique de son temps : il fut aussi un soutien affirmé au régime collaborationniste de Vichy. Et le 28 janvier 1945, il fut condamné : réclusion à perpétuité pour intelligence avec l’ennemi. Entraînant une exclusion de fait de l’Académie française.
Et pourtant, Maurras se montra un hostile opposant à la politique d’extension coloniale pratiquée par la France et les autres pays européens. On n’est pas forcément à un paradoxe près…
Dans un premier communiqué, lapidaire, diffusé en fin de journée ce 27 janvier, le ministère de la Culture prend acte de la polémique. On souligne que la « ministre s’appuie sur un travail d’historiens qui recensent des anniversaires clés de l’histoire de France. Il ne s’agit évidemment pas de célébrer le penseur d’extrême-droite qu’était Maurras, mais au contraire de connaître son rôle dans l’histoire de France ».
Et Françoise Nyssen d’insister : aucune ambiguïté n’est possible, elle exprime un « rejet total des thèses et de l’engagement de Maurras ».
Cela ne suffit pas : quelques minutes plus tard, SOS Racisme expédiait un communiqué de presse faisant état de toute l’horreur qu’incarne Maurras. « Ne laissons quiconque opérer une opération de réhabilitation de celles et de ceux qui, par leurs écrits et leurs actions, ont contribué à assombrir le siècle dernier », assène l’association.
Antidreyfusiste compulsif, détestant la République, soutien à Vichy, injurieux contre Léon Blum, « juif rabbinique […] totalement étranger à nos mœurs », les exemples se multiplieraient jusqu’à l'écœurement.
Une polémique qui enfle au point de contraindre le ministère de la Culture à un second message, en milieu de matinée. Une justification maladroite qui revient sur une autre polémique qu’en 2011, ce même Livre des commémorations avait provoquée… à cause de la présence de Louis Ferdinand Céline. Diable !
À l’époque, c’est Frédéric Mitterrand qui s’était attiré les foudres populaires. « L’indignation semble bien être la valeur indépassable de notre époque, permettant mise en demeure et tracasseries judiciaires, quand l’autocensure et la peur de déplaire n’ont pas encore fait leur travail d’assainissement », écrivait Mikael Hirsch, dans un ouvrage racontant une journée fictive dans la vie de son grand-père. On en avait même appelé à Nicolas Sarkozy pour intervenir.
Le Haut Comité revendiquait alors de ne pas célébrer que les grandes figures du passé, mais aussi les « heures sombres de l’histoire de France ». Sauf que demeure une ambiguïté, et pour la lever, la ministre assure qu’elle recevra « prochainement les membres du Haut-comité présidé par Madame Danielle Sallenave afin de questionner, ensemble, la pertinence de cette démarche mémorielle conduite au nom de l’État par des experts ».
La présence de Maurras dans le livre sera d’ailleurs supprimée, les ouvrages diffusés seront rappelés et une réimpression sans la référence à l'auteur est d’ores et déjà en cours.
« [L]a commémoration peut être vécue comme un appel à célébrer ensemble au nom de la nation. Cela conduit à des malentendus qui sont de nature à diviser la société française », note Françoise Nyssen. Et fin, donc, de la polémique : pour la seconde fois en l’espace de quelques semaines, la vox populi a obtenu qu’un ouvrage soit censuré et que des textes ne soient pas réédités.
Reste que durant le week-end, il se trouve certainement quelques universitaires et membres du fameux Haut comité en charge de cette parution pour s'être fait tirer les oreilles.