L’affaire Charles Maurras, figure de l’antisémitisme, condamné pour intelligence avec l’ennemi en 1945, rebondit. Jean-Noël Jeanneney, invité ce matin sur France Inter, tente d’élargir le débat. Historien et membre du Haut Comité qui avait choisi d’introduire Maurras dans le livre des Commémorations, il apporte un intéressant regard.
« C’est servir une certaine confusion, sur un sujet qui mérite d’être clarifié. » Distinguer commémoration et célébration est à la base de son approche : la grippe espagnole ou la destruction de la cathédrale d’Orléans, qui figure dans le livre n’invitent pas à la célébration, mais plutôt au souvenir.
« Il est utile et précieux de rappeler à la collectivité nationale ce qu’a été un personnage comme Charles Maurras », porteur de « vérités fétides », indique-t-il. De même que l’accession au pouvoir du Maréchal Pétain aurait pu être commémorée en ce qu’elle favorise la mémoire et la diffusion d’informations.
« En démocratie, il faut que les mots disent ce qu’ils ont à dire », martèle-t-il. Commémorer a peut-être pris un sens positif, et le Haut Comité, qui était passé de Célébration à Commémoration, aura certainement à trouver une meilleure appellation.
Quant à la position de la ministre, qui a décidé de faire rappeler les milliers d’exemplaires déjà distribués, et de faire supprimer la mention de Charles Maurras, l’historien ne la comprend pas. Le Comité propose et la ministre dispose : en l’état Françoise Nyssen avait agréé les choix opérés. « Est-elle très raisonnable quand elle dit qu’elle va faire réimprimer le livre ? »
Tout cela découle d’une forme d’anachronisme : le roi Saint Louis, antisémite, islamophobe et homophobe, mérite-t-il une rue à son nom ? « Est-ce qu’il faut plaquer nos points de vue d’aujourd’hui sur le passé ? Ou le public est assez grand pour considérer qu’il existe à un moment donné une sensibilité que nous pouvons ne pas rejoindre ? »
Alors, retour d’un ordre moral, de censure, ou d’autocensure ? « On ne fait pas confiance aux gens, quand on fait cela, à leur lucidité, à leur calme. »
Et de même pour la suspension sine die de la réédition des pamphlets de Céline où Antoine Gallimard avait finalement cédé à la pression populaire... « Franchement, si les leaders de l’antisémitisme se développent, ce n’est pas parce que tous les gens, qui vont dans ce sens, en particulier l’islamisme, se nourrissent de Céline. » Au contraire : éditer Céline, avec un appareil critique autour, « permet de faire réfléchir ».
L’émission est à réécouter ci-dessous.