Séparer l’homme de l’œuvre, à quelques dizaines d’années de distance, semble plus commode. Dissocier l’analyse d’un écrivain chinois sur la politique du Parti communiste devient plus complexe, quand les faits sont contemporains. De là à demander la censure d’une adaptation de son œuvre, les sénateurs américains n’ont pas hésité… Du joli, encore une fois.

Liu Cixin, auteur de science-fiction (Le problème à trois corps, trilogie publiée chez Actes Sud, traduite par Nicolas Giovanetti et Gwennaël Gaffric) avait signé pour un voyage de rêve. Les créateurs et coscénaristes de Game of Thrones portent sa série sur petit écran avec Netflix. L’aboutissement dans la carrière d’un écrivain.
Le Xinjiang, les Ouïghours et la Chine
Problème : à différentes reprises, l’auteur a cru judicieux de donner son opinion sur la situation dans le Xinjiang et la politique chinoise vis-à-vis des Ouïghours. Selon lui, Beijing tente de venir en aide et de sortir la population de la pauvreté. Or, ce peuple turcophone et à majorité musulmane sunnite subit depuis près de trois années l’oppression chinoise.
Enfermement dans des camps gouvernementaux, surveillance accrue par les autorités… des accusations que la Chine avait démenties. Beijing réfutait en effet toute séquestration — on parle ici d’endoctrinement, voire d’extermination — mais en novembre 2019, des documents attestaient qu’une répression sévère était en cours. Le président chinois Xi Jinping avait désigné cette minorité comme terroriste et séparatiste — une seule solution, éradiquer le mal.
La Jamestown Fondation pointait également une campagne de stérilisation contre la population. Toutefois, le ministère chinois des Affaires étrangères, niant en bloc, avait reconnu l’existence d’établissements et d’instituts professionnels et éducatifs.
Cinq sénateurs s'indignent
Dans un contexte d’élections présidentielles américaines, doublé par les tensions entre États-Unis et Chine durant tout le mandat de Donald Trump, les déclarations inouïes de Liu Cixin ont fait tache. Les sénateurs américains, pointant des commentaires parus dans le New Yorker en 2019, ont alors pris la mouche. Cinq d’entre eux, républicains, demandent que Netflix reconsidère son choix d’adaptation. Et ce, au prétexte que le romancier défendait le traitement infligé aux Ouïghours par le gouvernement chinois.
Interrogé à l’époque, Liu Cixin rejetait toute forme de répression : « Préféreriez-vous qu’ils puissent commettre des piratages, dans des gares, et perpétuent des attaques terroristes dans les écoles ? Au contraire, le gouvernement aide leur économie et tente de les sortir de la pauvreté. Si l’on devait assouplir un peu les règles dans le pays, les conséquences seraient terrifiantes. »
On s’en souvient, Walt Disney avait encaissé des critiques similaires des législateurs américains, à l’occasion de la production de Mulan. La version film avait été tournée dans des régions du Winjiang, et en soutien aux Ouïghours, des appels au boycott s’étaient multipliés. « Nous sommes très préoccupés par la décision de Netfix que de traiter avec un individu qui véhicule la dangereuse propagande du Parti communiste chinois », indiquent les sénateurs.
Et d’asséner : « Face à de telles atrocités, il n’existe aucun choix entrepreunarial admissible : uniquement de la complicité. »
Business, only business
Deadline a cependant mis la main sur la réponse de Dean Garfield, vice-président en charge des relations externes de Netflix, adressée aux sénateurs. D’abord en soulignant que son service n’opère pas en Chine — démonstration si nécessaire de la défiance à l’égard du régime chinois, évidemment.
« Liu Cixin est l’auteur des livres, pas le créateur de la série. Ses commentaires ne reflètent pas les opinions de Netflix ni des créateurs de cette émission, et ne font pas partie de l’intrigue ni de ses thèmes », indique-t-il. Et d’ajouter, après pas mal de langue de bois : « Nous ne sommes pas d’accord avec [les] commentaires [de Liu Cixin], qui n’ont aucun lien avec son livre ni l’adaptation par Netflix. »
Qu’un auteur soutienne — ou semble avoir soutenu, après tout, depuis 2019, Liu Cixin n’a pas repris la parole sur le sujet —, à titre personnel, la politique chinoise implique-t-il que son œuvre glorifie les traitements qualifiés d’inhumains à l’égard de la population ouïghoure ? Le Prix Hugo 2015 traite dans sa trilogie d’une rencontre entre l’humanité et une civilisation extraterrestre : est-ce une parabole à peine déguisée ?
La plateforme de streaming insiste d’ailleurs sur sa capacité à juger les projets individuels en fonction de leur mérite et non en regard des déclarations dans la presse. Peut-être ajoutera-t-on que le montant du chèque fait par Netflix pour cette adaptation se monte à 300 millions $, et qu’à ce titre, l’entreprise n’a pas vraiment à cœur de casser un accord signé.
Problème : un institut de recherche australien vient de mettre au jour 380 centres de détention présumés — contenant plus d’un million de personnes. La Chine riposte et insiste : ce ne sont que des espaces de formation professionnelle, pour éloigner de l’extrémisme religieux et aider à trouver un emploi…
illustration : KELLEPICS CC 0
Commentaires
Solon, le 01/10/2020 à 00:27:32
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Flibustier, le 03/10/2020 à 11:27:08
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Refuznik, le 26/09/2020 à 17:17:38
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Flibustier, le 26/09/2020 à 21:01:17
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