Ils sont une centaine, poètes, traducteurs, universitaires, à signer un texte alarmé, préoccupés par le devenir de la maison d’édition fondée autour de Francis Combes : Le temps des cerises. Ils évoquent « un grand danger », suite à la décision des principaux actionnaires.
Depuis 1993, Le temps des cerises s’est structuré avec un collectif d’auteurs, réunis par la figure de Francis Combes. À ce jour, la maison compte près de 1000 titres à son catalogue — et nombre d’entre eux sont aujourd’hui des légendes dans la poésie française, tels Jorge Amado, Eugène Guillevic, Catherine Claude, Roger Bordier ou Pierre Bourgeade.
Nouveaux actionnaires, nouvelle vision ?
Mais voilà : fin novembre, Dominique Vidal exposait une étrange situation : selon Patricia Latour, une ouverture du capital de l’entreprise avait été décidée voilà quelques années. On se souviendra qu’en 2013, déjà, la maison avait fait face à quelques difficultés avec un montant de 42.000 € à verser à une ancienne employée, et un risque évident de dépôt de bilan.
« La position du Temps des Cerises est très particulière dans le paysage éditorial français », nous indiquait Francis Combes, aujourd’hui président de l’association L’autre livre réunissant des éditeurs indépendants.
Entraient alors Freddy Huck, de la fédération CGT de l’agro-alimentaire, et Isabelle Figuères, de Malakoff. « Ceux-ci ont tout un temps apporté leur concours en respectant les choix éditoriaux qui étaient faits et sans attendre de contrepartie financière à leur engagement », souligne Patricia Latour.
Mais voilà plusieurs mois que l’éditeur est chahuté : après le départ de Francis Combes, les associés manifestement devenus majoritaires ont écarté les propositions que le fondateur avait formulées pour la nouvelle équipe éditoriale.
« Ils ont décidé unilatéralement de nommer comme nouveau directeur un permanent du PCF, l’actuel rédacteur en chef de la revue du secteur économique de ce parti, qui est de plus secrétaire départemental du PCF dans le Lot-et-Garonne et élu à Agen », poursuit-elle, ajoutant que ce dernier « n’a ni le profil ni les compétences requises pour ce travail ».
Le Temps du Parti des Cerises ?
Que le PCF prenne l’avantage dans la maison devient impensable — quelle que soit la diversité que représentent les communistes. « Tout cela se fait sans tenir compte du collectif humain que constitue cette maison, avec ses fondateurs, ses collaborateurs et ses auteurs qui ont toujours joué un rôle essentiel dans la vie de la maison », déplore celle qui fut la directrice de la communication de la maison entre 2001 et 2005.
Le Temps des Cerises a toujours publié nombre d’écrivains, dans leur diversité, communistes, libertaires, socialistes, trotskystes, écologistes ou autres, se retrouvant pour la plupart dans un même refus de l’ultra-libéralisme, du capitalisme et de l’impérialisme dont on voit aujourd’hui les effets mortifères pour la civilisation, les libertés, la culture et même le devenir de la planète et de la vie terrestre.
Et l’on se préoccupe désormais de comprendre ce qui se trame, et ce que l’on veut faire avaler, du noyau ou de la queue, de ces fameuses cerises.
« S’agit-il seulement de reclasser un permanent (ce qui n’est pas la vocation de cette maison d’édition) ? Ou bien de l’effet collatéral de luttes de factions internes à la CGT et au PCF ? En fait, tout se passe comme si une fédération de la CGT et une section de travail du PCF avaient décidé de mettre la main sur cette maison d’édition indépendante pour réaliser un autre projet éditorial, un projet politique. »
Pour protester, voici qu’une pétition a été mise en ligne : « L’esprit initial du Temps des Cerises, fait d’engagement progressiste et d’ouverture, s’est maintenu jusqu’à aujourd’hui. Cette maison qui a toujours été résolument à gauche, n’a jamais été la maison d’édition du parti communiste ou d’une quelconque organisation politique, ni même d’une organisation syndicale, quelle qu’elle soit. »
Manifestement trop éloignée de ce que Francis Combes a pu vouloir pour sa société, les signataires demandent à corps et à cris que la nouvelle direction s’inscrive dans la mission de la maison.
crédit photo : Julien B. CC BY ND NC 2.0