Suite à une adoption incontestée - à l'exception d'une sénatrice qui s'est abstenue - la loi concernant l'encadrement de la vente à distance de livre sera donc mise en oeuvre. Par cette dernière, le législateur a souhaité interdire le cumul du rabais de 5 % sur l'expédition de livres et de la gratuité des frais de port. Autrement dit, acheter sur internet des livres coûtera plus cher qu'aujourd'hui. Si fait.
Le 27/06/2014 à 15:29 par Nicolas Gary
Publié le :
27/06/2014 à 15:29
La ministre de la Culture, présente à la Chambre pour les discussions, s'est félicitée de l'adoption de cette proposition de loi. Contrairement à ce que précise le ministère, le vote ne s'est pas fait à l'unanimité, puisque Nathalie Goulet (Orne - UDI) s'est abstenue. Une précision qui aura son importance. La PPL portait deux enjeux : la régulation de la vente de livres, et « la modernisation du contrat d'édition à l'heure du numérique ». Et après, n'oublions pas de rappeler que la ministre ne souhaite pas moderniser le droit d'auteur...
Sur le contrat d'édition, rien n'est vraiment à redire, puisque ce dernier fait suite à plusieurs années de discussions entre le Conseil permanent des écrivains et la SGDL, et le Syndicat national de l'édition. « Cette loi est protectrice pour les auteurs qui voient clarifier l'environnement juridique de leurs droits s'agissant des livres numériques, suite à un travail de plusieurs années de dialogue avec les éditeurs. Elle prouve la capacité des outils du droit d'auteur à s'adapter à l'ère numérique», insiste le ministère.
Pour ce qui est de la partie concernant la vente à distance de livres, le ministère se réjouit : « Cette loi est protectrice pour la diversité des canaux de vente de livres imprimés, en réintroduisant des conditions de concurrence équitables entre les différents acteurs compte tenu du développement de la vente à distance de livres. »
Petit rappel du modus operandi
Le syndicat de la librairie française ne pouvait pas ne pas abonder dans ce sens, évoquant également l'unanimité du vote. Re-faux. D'ici une quinzaine de jours, explique le SLF, la loi devrait être promulguée. Et de détailler précisément les conditions d'application :
La loi comporte deux dispositions principales et cumulatives :
- Interdiction du rabais de 5% sur le prix des livres : la loi interdit l'application du rabais de 5% sur le prix éditeur lorsque le livre est expédié à l'acheteur. Lorsque le livre est acheté sur Internet et retiré « dans un commerce de vente au détail de livres », par exemple une librairie, le rabais de 5% peut être appliqué.
Pour un libraire disposant d'un site de vente en ligne :
o 1er cas : le client achète sur le site et se fait livrer à domicile : le libraire ne peut plus offrir le rabais de 5% ni directement ni de manière différée sur la carte de fidélité ;
o 2ème cas : le livre est acheté ou réservé sur Internet et le client vient le retirer en librairie : le libraire peut faire bénéficier ce client du rabais de 5%, directement ou en portant l'achat sur la carte de fidélité.
- Interdiction de la gratuité des frais de port : en plus de l'encadrement du rabais sur Internet, la loi interdit la gratuité des frais de port. Les deux mesures se cumulent. Si la loi indique que le détaillant peut pratiquer une décote à hauteur de 5% de ce prix de vente sur le tarif du service de livraison, elle précise que cette décote porte sur le tarif de livraison que ce détaillant établit lui-même. En conséquence, le montant des frais de port pourra être établi librement par le détaillant, mais ne pourra pas être équivalent à zéro.
Et de conclure :
Le Syndicat de la librairie française se félicite du vote de cette loi et du large consensus dont elle a fait l'objet, tous bords politiques confondus. Ce vote est l'aboutissement d'un combat qu'il mène depuis de nombreuses années pour faire reconnaître que l'expédition à domicile représente un coût que les détaillants ne peuvent pas prendre en charge sur leurs marges réduites sauf à vendre à perte. Le SLF a par ailleurs dénoncé à maintes reprises le « dumping » et la concurrence déloyale de sites de vente en ligne, particulièrement d'Amazon. Ces nouvelles dispositions vont donc permettre à un plus grand nombre d'acteurs, dont les libraires, d'assurer un développement de leurs ventes en ligne alors que celui-ci était jusqu'alors entravé par la gratuité des frais de port et par ces déséquilibres concurrentiels.
« C'est une très bonne nouvelle pour l'édition, les librairies indépendantes, mais également les librairies virtuelles. Cela contribue non seulement à faire gagner les librairies physiques en compétitivité, mais aussi à promouvoir un marché plus équilibré et une offre plus riche en ligne. Cela pourrait être l'effet le plus notable de cette loi », considère la librairie en ligne BDfugue.com, sollicitée par ActuaLitté.
Pour approfondir
Pourquoi Amazon se moque éperdument de la loi anti-Amazon
@ActuaLitte vous plaisantez ils ont vachement peur ! ;)
— Franck Queyraud (@MemoireSilence) 15 Mai 2014
Mais voilà, dans les faits, plusieurs éléments sont à prendre en compte : d'abord, comme le soulignait la sénatrice au cours de son intervention, la loi n'était pas encore votée, que les mesures de contournement, tout à fait légales, existaient déjà. Comics Place, l'évoque avec justesse :
La solution pour contourner cette loi existe : elle s'appelle Amazon Premium.
Pour 49€ par an, vous vous abonnez à ce service qui est un abonnement illimité (et le 1er mois est gratuit).
En effet, vous pouvez commander autant livres que vous voulez, toutes les livraisons sont assurées sans surcoût et en 24h Chrono.
C'est LA solution à terme. Si les acheteurs passent par Amazon Premium, la loi sera contournée, et elle n'aura servi qu'à renforcer le pouvoir d'Amazon.
Une démonstration qui nous montre une nouvelle fois que les gens qui nous gouvernent pondent des lois sans réfléchir.
Or, si cette mesure semble portée aux nues, les critiques existent, et ne sont pas dénuées d'intérêt. Les éditions Pix'n Love, qui proposent des ouvrages dédiés au jeu vidéo et à son histoire, sont claires : cette législation va... tuer des éditeurs. « Il y a des ouvrages qui ne peuvent décemment pas être vendus dans de petites librairies faute de place. Mais les internautes risquent de fuir nos plateformes commerciales, ce qui aura un impact considérable sur le chiffre des petits éditeurs. »
Et d'ajouter, non sans ironie :
Amazon, pour ne citer qu'Amazon, c'est une formidable vitrine pour les tout petits éditeurs. Nous nous arrachons les cheveux pour que les librairies s'intéressent à nos catalogues. Mais soyons honnêtes. Celles-ci travaillent davantage avec les très grands comptes à commencer par Hachette, car les moyens de communication déployés par les géants sont tels qu'ils assurent d' "office" - et c'est le terme qui convient - du chiffre. Parfois, les librairies vont soutenir les talents locaux, mais les petits éditeurs ? C'est super rare. Et nous pouvons le démontrer plus que facilement ! Cette loi est donc une catastrophe commerciale et marketing pour les petits éditeurs.
Mais que les pouvoirs politiques et les organisations professionnelles se rassurent : il reste encore bien des choses à combattre, en prenant Amazon comme tête de turc.
Une sarbacane et des cotillons : Goliath doit trembler
C'est que, dans l'esprit, l'effort du législateur est noble. Mieux : digne. Aider les librairies, comme tout autre commerce de proximité, ne peut être une mauvaise idée. Mais avec une pareille mesure, le gouvernement met la tête dans le sable : en adoptant ce texte, on évite le véritable problème des groupes américains, GAFA, l'optimisation fiscale. Or, comme le soulignait François Fortassin, « la frontière entre optimisation fiscale et fraude est souvent très poreuse ».
Et si en séance, on parle d'une « solution peut-être insuffisante », qui serait une réponse aux géants du net, ces derniers vont avoir bien du mal à comprendre le message. À certains égards, cette approche donne l'impression de s'attaquer à la destruction d'un mur avec une sarbacane et des cotillons. Si le problème d'Amazon est fiscal, c'est la fiscalité qu'il faut attaquer, et certainement pas mettre des rustines déjà élimées pour avancer.
Approche un peu plus près...
Stéfan, CC BY NC ND 2.0
D'ailleurs, la ministre, les sénateurs, les députés ont certainement négligé un point tout aussi important que les 5 % de remise et la gratuité des frais de port. Amazon est un cybervendeur. Et à ce titre, il a déployé une solution de vente puissante : l'affiliation. Par ce biais, des sites peuvent proposer des liens de vente pour des articles, sur lesquels ils perçoivent une rémunération. On en retrouve sur des blogs personnels, sur des sites professionnels, sur des journaux en ligne, sur des réseaux sociaux liés au livre : partout, ces liens d'affiliation participent non seulement au référencement, mais également à l'augmentation des ventes et de la notoriété.
Qui plus est, ces liens offrent une rémunération aux auteurs ou sociétés qui y recourent. Cela peut aller jusqu'à 10 % reversés aux Partenaires, comme l'indique Amazon. Or, chez certains blogueurs, cette rémunération paye les frais liés à leur site (hébergement, nom de domaine), où justement, ils parlent de livres et font de la recommandation. Et donc, génèrent des ventes. Le serpent n'a pas fini de se mordre la queue : les internautes qui n'allaient pas en librairie auront un réflexe simple, ne pas acheter le livre, ou diminuer le montant alloué aux achats d'ouvrages.
Et avec une année 2013 où les ventes ont encore diminué, pour la troisième année consécutive, pas certain que les éditeurs, eux, voient cela d'un bon oeil. Et moins de ventes, ce sont moins de revenus pour les auteurs, et ainsi de suite. Mais, au moins, les libraires ont été correctement bercés d'illusions.
Amazon « n'est pas simplement un opérateur dans le monde numérique, mais c'est surtout un libraire » (Vincent Montagne)
D'ailleurs, que pense, justement, le Syndicat des éditeurs, de cette législation ? Il doit être dans une situation assez délicate : en mars 2013, alors qu'Amazon décidait de ne plus participer au Salon du livre de Paris, le président du SNE avait pris position. Pas question d'abandonner les libraires, certes, mais l'absence d'Amazon au Salon était particulièrement préjudiciable. Amazon « n'est pas simplement un opérateur dans le monde numérique, mais c'est surtout un libraire », assurait Vincent Montagne.
Président du SNE, mais également grand patron du groupe éditorial BD, Média Participations (Dupuis, Le Lombard, Dargaud, entre autres), il ne peut ignorer l'importance d'Amazon dans les ventes d'ouvrages. Il expliquait avoir, au titre de président du SNE, et par conséquent, du Salon du livre, puisque la manifestation est coorganisée par Reed Expo et le SNE, écrit au président d'Amazon France, « voilà une semaine, pour regretter qu'il ne vienne pas. C'est aussi en habituant les différents acteurs, les éditeurs, à votre présence que vous vous ferez accepter d'eux de plus en plus. »
(ActuaLitté, CC BY-SA 2.0)
Le groupement de librairies Initiales avait vivement réagi à cette déclaration. « Nous espérons que cette remarque n'engage que lui, mais n'y croyons guère. Cette délicate sortie en dit long sur la fracture désormais consommée entre l'édition et la librairie indépendante. Mais ce monsieur se berce d'illusions s'il pense qu'il va pouvoir garder sa place, celle d'éditeur et celle de sa filière. Jeff Bezos l'a dit ‘les seules personnes nécessaires dans l'édition sont l'écrivain et le lecteur'. Si le libraire disparaît, la mort de l'éditeur suivra. »
Marketplace, Amazon Rachète : il reste de la poudre pour les yeux
S'étonnera-t-on de ne pas avoir vu le SNE dégainer de communiqué de presse pour saluer l'adoption de la loi encadrant la vente à distance de livres ? Alors qu'elle contient l'accord-cadre entre auteurs et éditeurs ? Mais que l'on ne recherche pas trop non plus sur le Marketplace d'Amazon : cet espace ouvert aux vendeurs tiers pourrait dévoiler que certains libraires, particulièrement importants en France, disposent d'une surface de vente au sein même des étals numériques d'Amazon.
Créé en 2003, il est particulièrement pratique pour des vendeurs, et montre combien, chez certains, les liens organiques entre librairies indépendantes et Amazon sont déjà établis. Or, Amazon est en mesure de fermer ce compte à tout moment.
Que le ministère de la Culture se rassure donc : non seulement sa législation ne servira à rien, mais surtout il lui reste encore une multitude de détails dans les offres d'Amazon qu'il pourra attaquer. Par exemple, le programme Amazon Rachète, où le marchant propose de lui expédier gratuitement des livres, en l'échange de chèques-cadeaux... n'est-ce pas une honteuse concurrence déloyale contre les bouquinistes et vendeurs d'occasions ?
Or, plus de 400.000 livres sont éligibles à ce programme. Vite, un cheval, voici une bataille !
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