En période électorale, la démagogie ne connaît aucune limite. L’une des candidates à la mairie de Paris entend séduire l’électorat libraire avec une mesure des plus innovantes : offrir des livres aux élèves de maternelle et de primaire. Trois ouvrages, précisément, au choix audio ou papier.
La candidate emploie les mots justes, alors que le commerce du livre souffre depuis près de quatre mois de mouvements sociaux et désormais d’un virus anxiogène. Soucieuse de ce que les élèves puissent disposer d’une bibliothèque personnelle, et qu’ils entretiennent une relation de plaisir à la lecture, Agnès Buzyn souhaite engager la Mairie.
À la recherche du buzz, hein ?
« Dès septembre 2020, trois livres par an, sous format physique ou audio » seront offerts à « chaque petit Parisien, de la maternelle à la fin de l’élémentaire ». Une liste sera établie, avec le concours d’enseignants, de libraires, de bibliothécaires, d’éditeurs et d’auteurs — et rien qu’à ce niveau, on se dit que la complexité du projet fait peur.
Le courrier, adressé à certains libraires de la capitale, dont ActuaLitté a obtenu copie (voir en fin d’article), flatte « les amoureux du livre que vous êtes ». Ce sont donc eux, libraires, « et non les élus qui décideront » de la fameuse liste.
Pour obtenir son ouvrage, l’enfant « devra se rendre dans sa librairie de quartier », activité qui représentera « une sortie culturelle régulière ». Trois fois l’an, donc. Et à elle seule, cette sortie sera « capable de lui donner l’envie de la réitérer de sa propre initiative ».
On imagine parfaitement Lucas, Paulin ou Sarah, 3 ans, déclarer tout de go à leurs parents qu’ils veulent profiter de la manne instaurée par la candidate… Les études, nombreuses sur le sujet, montrent d’ailleurs que si les parents n’ont pas le goût des livres et ne manifestent pas d’envie spécifique à ce sujet, leur progéniture risque assez logiquement de ne pas s’en sentir investie non plus.
Quel coût ?
Selon l’Académie de Paris, sur l’année 2017/2018, on comptait 63.136 élèves de maternelles et 104.431 en élémentaires (incluant public et privé sous contrat). Comptons que le prix moyen d’une fiction jeunesse tourne autour de 11 € (albums, contes et romans). Et de même pour une bande dessinée.
Donc, près de 35 € par élève : sur l’année, la facture revient à 5,53 millions €.
Selon le Centre Régional d’Observation du Commerce, de l’Industrie et des Service, la capitale dénombrerait 704 librairies, qui se partageraient alors le gâteau. Soit près de 7850 € par établissement. Une librairie dispose en moyenne, toujours, d’une marge de 35 % – donc 2747 € par an, représentant 228 € mensuels.
Avec un taux de rentabilité moyen sur l’Hexagone de 1 % — autrement dit, ce qu’il reste au libraire, toutes charges payées — cela laisse dans sa poche 78,5 € pour l’année.
Un fameux coup de pouce en effet pour le petit commerce. En revanche, la chaîne du livre dans son ensemble profiterait d’une manne de plusieurs millions d’euros de chiffre d’affaire, répercutés sur les différents acteurs — dans des proportions pas bien folichonnes non plus.
La candidate affirme avoir « conscience de la fragilité des librairies indépendantes face à la rude et inégale concurrence qu’elles rencontrent désormais ». La promesse qu’au terme du mandat qui lui serait confié, « aucune librairie ne manquera à Paris », donc d’endiguer les fermetures d’établissement, ne passera certainement pas par ce genre d’approche.
Qui et comment ?
Le Syndicat national de la librairie n’était pas informé de ce projet, et nous attendons encore des précisions de Paris Librairie. La mesure semble un peu hors-sol.
Cependant, quelques précisions s’imposent : sur le modèle de ce que plusieurs mairies d’arrondissements proposent, le règlement s’effectuera certainement par chèque lire. Or, seule une centaine de librairies sur Paris les accepterait. On peut reprendre tous les calculs donc, et recommencer :
• 55.300 € par librairie
• marge de 19.355 € sur l’année, 1612 € par mois
• rentabilité annuelle de 553 €
Un peu plus intéressant, mais pas spécialement plus efficace non plus. N’ayant pas réussi à joindre le service de communication ni les responsables culture de la candidate, difficile de démêler les fils de cette opération. Et plus encore de comprendre comment tout cela va s’organiser — voire quelles sont les répercussions réellement attendues pour les librairies parisiennes.
Ensuite, les artistes auteurs pourront attester que durant son passage au ministère des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn n’a pas fait preuve d’une flagrante efficacité, quand il s’est agi de tenir les comptes à jour…
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